Rien que sur la jaquette, on nous le dit, on nous en assure pour mieux nous rassurer : Yu-Gi-Oh R a été conçu comme « une idée originale et sous la direction de Kazuki Takahashi ». C’est une hypothèse recevable, mais ça n’est pas la seule.

En bon complotiste, j’envisage des scénarios alternatifs à ceux qu’on m’enjoint à accepter docilement. Pour être franc, j’aurais comme dans l’idée que ce bon monsieur Takahashi – dont nous ne profanerons certainement pas la mémoire ici – se sera simplement contenté de signer en bas du contrat avant de laisser quelques notes à Akira Itô. Akira Itô, dont les dessins sont par ailleurs des copies conformes de ceux de Takahashi. Des dessins que j’adore soit dit en passant et ce, malgré leur rigidité et leur caractère parfois rudimentaire. Y’a un charme comme celui d’esquisses simplistes mais écrites avec le cœur. Quoi qu’il en soit, je reste persuadé qu’il n’a pas été question de tandem le temps de cette collaboration. Car quand un manga s’écrit et se dessine à deux, il n’est pas question de fournir une « idée originale » et d’opérer une « direction » sur le travail, mais de s’investir totalement dans le binôme comme cela s’est fait tant et tant.


Une fois ces quelques considérations sur la supposée Genèse de Yu-Gi-Oh R évacuées, il convient de remarquer que cette suite en cinq volumes n’a jamais été adaptée par un quelconque studio d’animation. Entendez-moi bien ou plutôt, lisez-moi correctement, je suis en train de vous dire que l’on a accepté de mettre en avant quelques immondices traumatisantes, des histoires de cartes qui se jouent en roulant à moto ou bien encore dans l’espace, mais qu’une suite sortie de la plume même de l’auteur original – paraît-il – n’a quant à elle pas décidé les animateurs à s’y intéresser ? Alors certes, Yu-Gi-Oh R n’a rien de grandiose, et c’est pécher par excès d’euphémisme que de l’écrire, mais ce que j’ai lu ici surpasse n’importe quelle autre suite animée d’au moins une atmosphère.


L’inspiration ? J’ai lu sur la jaquette que c’était une « idée originale ». J’insiste au point d’être mesquin, mais il ne s’en faudra pas plus de trois pages pour que tous, à la lecture, commencions à faire le deuil de l’originalité comme fait tangible ou bien même comme concept. La Kaiba Corporation est victime d’une attaque de Industrial Illusions comme cela fut le temps de Pegasus, mais cette fois, à l’initiative d’un disciple de Pegasus. Pourquoi Pegasus n’a-t-il jamais parlé ou mentionné du bout des lèvres ce discipline ? Parce que c’était un garçon distrait. Sans doute.


Au moins, l’intrigue ne prend pas son temps pour se poser et ne fait pas semblant. L’antagoniste a son front collé contre celui de Yugi et lui déclare la guerre à peine l’aventure entamée. L’auteur – pardon… LES auteurs – n’ont en effet plus l’embarras de présenter leurs personnages qui ont eu le temps de s’exhiber en des temps jadis.

Tenma – non, pas celui-là – s’en prend alors à Yugi à une période où la chronologie situe l’histoire après le tournoi de Battle City. Atem est donc toujours bien présent ; il ne sera pas revenu du royaume des morts pour l’occasion. Voilà qui est plaisant, car sans profaner une fin dont la conclusion était satisfaisante, Yu-Gi-Oh R trouve ainsi le moyen d’expédier les arcs filler des studios animés.


Aussi ne serons nous pas étonnés de retrouver les dieux égyptiens et la menace qui était ainsi corrélée à leur puissance. Et quoi pour les contrer ? Une grosse sphère noire : l’avatar du diable. Je n’ai rien contre les noirs et je n’ai rien contre les sphères ; mais on sent, au déballage de cette seule carte, que l’inspiration d'alors n’était pas non plus franchement optimale. Outre l’affaire des cartes d’essence divine sorties de nulle part, le design qui leur est associé est loin d’être folichon. Car Yu-Gi-Oh R s’écrit à une époque bénie où les cartes Duel Monsters, pour ce qui est de leur esthétique, avaient de la gueule. Je vous parle d’une temps qui préexiste de peu à celui des concept art aseptisés qui auront commencé à poindre avec GX ; sans parler des inqualifiables suites.

Une sphère noire pour contrer les dieux égyptiens… bon.


Cela dit, je dois admettre que Takahashi ne devait être si loin du script alors que je lisais des chapitres entiers où l’orchestration des planches et typique de sa méthode. Il a vraiment un sens du paneling original et déroutant qui porte l’intensité de ce qui nous est rapporté. Vraiment, on ne se sent dépaysé à aucun moment pour ce qui est des graphismes et de la scénographie. L’histoire non plus ne nous est pas étrangère à la méthode Takahashi, mais cela, on serait plutôt prompt à le déplorer…….. Vous reprendrez bien un scénario de damoiselle en détresse ?


Dès le premier chapitre, Tenma, grâce à des pouvoirs magiques qu’on ne parvient pas trop bien à situer et qui s’avéreront être de la Solid Vision, capture Anzu. La suite s’orchestre comme le film Tower of Death, le Kung Fu en moins. On grimpe les étages d’Industrial Illusions en vainquant un à un les treize Cards Professor et, vous savez quoi, c’est un scénario qui me botte. L’accent est placé sur les parties de carte, et le sens de l’épique reste bien présent alors que les incessants duels se poursuivent combat après combat jusqu’à la confrontation finale. Ça ne casse pas des briques, mais ça vise juste. Ce sont là les modalités d’une intrigue format Stardust Crusaders où les adversaires s’enchaînent à l’occasion d’affrontements sympathiques jusqu’à atteindre le boss final logé en bout de parcours.


Mais contrairement à des adversaires en queue-leu-leu comme il s’en trouve chez Jojo’s Bizarre Adventure, ceux-ci manquent cruellement de panache. Des figurants survalorisés, voilà pour leur lot à tous.

Expédiés très promptement pour beaucoup sans qu’une stratégie de duel se soit dessinée, ces adversaires ne trouveront pas le moyen de marquer par leurs cartes et encore moins par la seule force d’un charisme outrageusement déficitaire. Ils n’ont que des répliques cliché plein la gueule tous ces gens-là, à se gausser des discours sur l’amitié sans aucune réserve. Leur méchanceté est si grasse qu’elle rappelle celle des méchants de films d’action américain de la décennie 1980. Le ridicule de la chose est tel qu’il en devient amusant et même charmant malgré lui.


Yugi a tout de même la fâcheuse tendance d’avoir toujours sur lui les cartes qu’il faut...


Ce que j’appréciais dans Yu-Gi-Oh!, ce dont aucune suite ne prit en compte, c’est la récurrence des cartes du deck. Une fois que l’on connaissait toutes les cartes du deck de Yugi et Jôno’uchi, c’est-à-dire bien assez tôt, ceux-ci nous étonnaient en combinant ces mêmes cartes différemment en fonction des circonstances. Il y avait alors un véritable sens de l’astuce dans le jeu, ce qui ne rendait les duels que plus palpitant. D’autant que les decks n’étaient pas optimisés pour être parfaits, il n’y avait pas un thème clairement défini. Kaiba ne s’en tenait pas aux dragons seulement, il avait un arsenal de monstres-guerriers et de cartes magie et piège sans rapport avec ces deux thèmes. Yugi n’avait pas que des cartes magicien et une stratégie centrée autour d’eux, il avait des pièges et des magies diverses ainsi que des cartes monstre variés où les bêtes, les guerriers et d’autres se prêtaient à des tas de tactiques de jeu. Il en allait de même pour Jôno’uchi ; tous avaient des effets de carte simples et versatiles qui se prêtaient à des tas de situations, est c’est encore pourquoi il était si plaisant de les voir jouer. On retrouve de ça avec Yu-Gi-Oh R, mais le tout étant néanmoins tempéré par quelques cartes inopportunes. Il faudra en effet m’expliquer ce que Yugi fout avec, dans son deck, une carte qui vise spécifiquement les monstres « Vampire » quand ceux-ci se comptent sur les doigts d’une main. D’autant qu’il la tire très vite cette carte en duel, et uniquement lorsqu’il est amené à affronter un monstre de type vampire. Quand je vous dis que cet homme-là a des cartes dans sa manche.


Tenma, qui utilise son frère jumeau à mi-chemin dans la tour évoquera le chevalier d’or du Gémeau et le Grand Pope. Et ce d’autant mieux que la progression dans la tour duel après duel se veut une resucée typique de la bataille du sanctuaire.


Voir Keith Howard – pourtant mort d’une balle dans la tête lors des événements de Yu-Gi-Oh! - se faire mettre une rouste m’a amené à réfléchir au point de m’émanciper du paradigme de Duel Monsters. Techniquement, et si l’on évacue la question de la résurrection des âmes, la magie n’est pas impliquée par Tenma ; il a purement et simplement enlevé une lycéenne après avoir piraté le système informatique de la Kaiba Corportation en admettant être responsable dans les deux cas. Ceci considéré… il suffisait simplement d’appeler les flics. La force brute sera infiniment plus convaincante qu’Osiris. Là, il n’est pas question du pouvoir des objets du Millénium ou d’une quelconque dimension ésotérique ; rien en tout cas qui ne soit à l’épreuve des balles.


Cinq tomes, c’est quand même trop peu pour se permettre le luxe de rajouter un duelliste en la personne de Gekkô parmi le rang des protagonistes. Autant faire revenir un de la trame originelle ou promouvoir Honda au-delà du rang de spectateur enflammé. Le design du deck de Gekkô était néanmoins le plus agréable de tous. C’est sans doute pour ça que ses cartes n’ont jamais été adaptées par Konami…


Beaucoup de bruits pour rien au final. Et le final, n’en parlons pas. Ou plutôt, si, parlons-en. Yu-Gi-Oh R, je l’ai compris après l’avoir comparé aux films d’action des années 1980 et Death Tower, est un bête recueil de scènes d’action sans rien pour les articuler entre elles ou même les justifier. D’autant je ne vous parle pas d’une action qui fut aussi glorieuse que du temps des événements de Yu-Gi-Oh!. C’est typiquement la suite du film à gros budget qui a eu du succès. On s’en contente, il ne désavoue pas l’original, mais il reste très en-dessous et n’apporte strictement rien si ce n’est la volonté patente de capitaliser un peu plus sur la franchise. Cette fin qui survient même pas trois cases après la conclusion du dernier duel, où, sur ce qu’on devine être un freeze frame à l’américaine, se mettent à défiler les crédits… toute l’inspiration de l’œuvre y est résumée. Yu-Gi-Oh R était vide mais bruyant, assez pour que l’on croit qu’il y ait quelque chose à voir. Fausse alerte.


Un mot sur Takahashi pour finir : https://www.stripes.com/branches/army/2022-10-11/okinawa-riptide-rescue-yu-gi-oh-7646714.html


Le pouvoir de l’amitié et la propension qu’avaient ses protagonistes à se sacrifier si volontairement pour autrui n’étaient, sous sa plume, apparemment pas qu’une succession de traits et de mots creux.

Josselin-B
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le 30 juin 2023

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Josselin Bigaut

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