Après cinq années de fidélité à un comic-feuilleton que je suis depuis ses débuts en 2007 (et donc à une époque où peu de gens comprenaient ma passion pour l'œuvre de Kirkman), je viens de refermer le tome 15 avec un sourire satisfait aux lèvres. Oui, Walking Dead continue de me surprendre et de me passionner. Notamment grâce à une capacité presque hors du commun à se renouveler régulièrement tout en restant cohérent. Le projet de Kirkman ? Développer un récit jusqu'aux limites du scénaristiquement possible, en suivant un groupe de personnages et en particulier leur leader, Rick Grimes. Une bande d'hommes et de femmes tout ce qu'il y a de plus communs si ce n'est qu'ils tentent de survivre dans un monde post-apocalyptique où les morts se relèvent avec une seule idée en tête: enlacer fougueusement les vivants pour mieux leur léchouiller les entrailles.

Après ces cinq années passionnantes, donc, la série est loin d'être terminée. Mais elle a indubitablement franchi un cap. Aussi, il m'apparait essentiel de lui rendre enfin hommage à travers une critique enflammée, garantie sans spoilers.

Le premier tome est truffé des éléments les plus classiques des récits de genre. Un héros qui se réveille d'un coma qui lui a fait rater la fin du monde (dommage, il se serait sans doute bien marré), des villes mystérieusement désertées et mises à sac par leurs habitants, une gentille famille à retrouver et, surtout, des cadavres qui déambulent en trainant la patte dans le plus pur style de Romero (Walking Dead a donc résisté aux sirènes de la modernité et de ses infectés qui galopent plus vite qu'un Usain Bolt sous Salbutamol). Pourtant, très vite, le récit offre clairement une dimension supplémentaire par rapport aux sempiternelles ritournelles horrifiques : entre chaque séquence d'adrénaline, des moments posés, contemplatifs, parfois même presque poétiques. On comprend alors que l'auteur compte avant tout mettre l'accent sur l'univers intérieur de ses personnages, pari aussi osé qu'évident dans le cadre d'un récit définitivement adulte. Et effectivement, alors que Rick va rapidement rencontrer des groupes d'humains avec qui échanger plus que des râles et des vagissements, les discussions et les relations humaines vont devenir la clé essentielle du succès de Walking Dead, sans jamais pour autant abandonner la chasse au zombie. En bref, un habile exercice de jonglage entre une analyse psychologique fouillée et des séquences aussi violentes que déroutantes.

L'univers dépeint est réaliste et sans concession. Au fur et à mesure des tomes, Kirkman va de plus en plus loin dans sa représentation de la psyché humaine : alors que toutes les institutions qui dictaient les règles de la morale sont tombées en poussière, comment nos plus noires pulsions pourront-elles supporter le choc de la liberté et de la survie forcées ? Walking Dead nous fait rencontrer des gens qui ont pété plusieurs durites et qui jouent avec la vie et la mort selon de nouvelles règles démentes, des salauds de toujours qui profitent du règne du chaos pour enfin pouvoir pisser sur les ruines du monde, des gens bien qui sont obligés, pour survivre, d'accomplir des actes dont ils ne se seraient jamais cru capables...

La folie, la violence, le gore, le sadisme et le désespoir progressent selon une courbe exponentielle, et le comic propose des scènes que vous ne verrez peut-être jamais dans d'autres médias, et sûrement pas dans son adaptation télévisée (à moins de chercher à provoquer des infarctus chez les producteurs)... C'est bien simple, certains événements sont tellement inattendus qu'il m'est arrivé de rester en bug plusieurs secondes sans parvenir à tourner la page. Kirkman ose tout sans jamais sombrer dans le grotesque et, franchement, ça fait du bien. Surtout que le bonhomme conçoit sa mise en scène avec une science du cadrage à même d'imposer la surprise, voire le dégoût, qui sied à un si sombre récit. Ces passages-chocs sont d'autant mieux conçus qu'ils concernent souvent des personnages qui nous touchent, qu'on a appris à connaitre et à apprécier dans les moments de calme. La mort semble triompher à chaque fois et pourtant, Kirkman n'oublie jamais d'instiller une dose d'espoir et une certaine beauté là où on ne s'attend pas à les trouver. Ce subtile mélange entre terreur et bonheur n'a jamais cessé d'attiser ma curiosité : que va-t-il se passer par la suite ? Comment les héros vont affronter telle ou telle situation ? Comment vont-ils encaisser ça ? J'ai dévorer les dernières pages avec la même avidité que les premières et j'attends avec impatience le tome 16, alors qu'une nouvelle direction semble avoir été prise dans le récit. Un sens qui se dégage enfin au-delà du simple but de la survie.

Du côté des points négatifs, on peut regretter quelques passages un poil trop bavards alors que certains des plus mémorables événements du comic étaient des scènes... muettes (voir « Passé décomposé » et le génialissime « Ceux qui restent »). Kirkman a prouvé à travers elles qu'il arrivait à retranscrire toute la poésie et la douleur de la solitude. Pourtant, il s'évertue à garder ses personnages collés les uns aux autres au lieu de les laisser respirer de temps en temps. Un peu dommage...

Aussi, si l'idée de suivre principalement UN groupe de survivants, à savoir le groupe mené par Rick, est idéale pour faciliter l'empathie, changer de point de vue de temps en temps pourrait s'avérer payant. Kirkman ne l'a fait qu'une seule fois jusqu'à présent, dans quelques pages de l'incroyable tome 8 « Une vie de souffrance ». On ne peut qu'espérer une nouvelle tentative en ce sens pour varier encore un peu plus les plaisirs.

Impossible de terminer cette critique sans parler de la patte graphique qui a fait couler autant d'encre. En effet, après un premier tome aussi beau que maitrisé signé Tony Moore, un certain Charlie Adlard prend le relais dès le volume 2... et c'est le choc ! Sans être vraiment laid, son dessin est beaucoup plus hésitant et même parfois carrément maladroit (erreurs flagrantes de proportions, des yeux qui louchent de manière ridicule...) Le passage d'un style à l'autre s'est révélé pour moi une véritable purge, alors même que je suis habitué à voir toutes sortes de dessins peu flatteurs avec les comics d'Alan Moore et de Neil Gaiman... Fort heureusement, Adlard améliore assez vite son style au fil des années au point de devenir réellement bon (c'était pas gagné) à partir du tome 8. J'ose même dire que, à présent, son trait convient bien mieux que celui de Tony Moore ! Le seul reproche que je lui ferais serait de moins soigner ses zombies, bien qu' il semble là s'adapter au scénario de Kirkman qui banalise un peu trop ces créatures dans les derniers tomes. Pour être clair, le mort-vivant semble être devenu un prétexte de second rang, une sorte de produit industriel un peu faisandé produit en masse et qui ne fait plus vraiment peur tellement il est facile à buter... Enfin, il est possible que je force un peu le trait, et puis il ne s'agit peut-être que d'une passade.

Walking Dead a encore de belles années devant lui pour amorcer de nouveaux virages. Il l'a déjà fait. Rien ne lui fait peur, et les années s'écoulent à un rythme enivrant, berçant ma vie dans ses moments de joie et de peine, troublée par les échos existentiels d'une bande dessinée qui a déjà, en ce qui me concerne, dépassé son statut de simple divertissement.

Créée

le 11 mai 2012

Modifiée

le 7 août 2012

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Amrit

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