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C’est juché bien haut sur des poutres mitées que Tomodachi Game s’annonce. Quand, d’emblée, une mère dit à son fils que l’amitié vaut plus que l’argent, un lecteur de mangas avisé sait que du sang s’écoulera bien assez tôt depuis tous ses orifices. Et de l’un d'eux en particulier.

Une telle déclaration, avec autant de recul sur ce dont on nous aura gratifié de moraline analogues, toutes évidemment plus creuses les unes que les autres, a quelque chose d’osé. Il y a comme un parfum de provocation dans l’air. L’amitié au-dessus de tout, dans le Shônen, c’est déjà pour le moins ridicule, mais écrire ça dans un Seinen, c’est inqualifiable. Pourtant, ce sera littéralement à l’aune de ce postulat que s’érigera Tomodachi Game.


Le lecteur poursuivra son épopée dans un registre standardisé à outrance alors que la forme, très vite, épousera le fond. Des dessins qui ont si peu d’identité, c’est tout de même la honte de la profession. Quand on s’essaye à la franco-belge, nonobstant la qualité de l’œuvre, on reconnaît au moins le coup de crayon pour ce qu’il a de spécifique à son auteur. Mais ce dessin-ci, ce style qui n’en est pas un, il est à tout le monde et à personne en particulier, même s’il est signé Satô Yuuki. Voudrait-on montrer l’esquisse du « manga-moyen », avec tout ce que l’acception comporte d’impersonnel, qu’on leur montrerait Tomodachi Game. Une œuvre dont le dessin à ses débuts me rappelait même le trait de Tsutsui, mais en plus Shôneno-compatible.


Que de planches pourries sur le parcours d’un récit qui, alors que j’effectuais ce constat, ne reposait déjà que sur l’analysé de deux pages.


Les personnages sont si mal écrits que leur auteur ne cherchera pas du tout à nous les présenter pour ce qu’ils sont. Là où un auteur un minimum consciencieux mettrait ses protagonistes en scène pour que l’on se fasse progressivement une idée d’eux, Mikoto Yamaguchi ne cherche même pas à mimer l’effort : il nous les présente littéralement avec un encart chargé de quelques lignes pour nous relater leur caractère en plus d’une biographie succincte. Et croyez-moi que tout ce beau monde n’évoluera pas d’un iota pour excéder ces quelques lignes qui les constituent.


Mais jusque là, on ne s’en formalisera pas. Pas de trop en tout cas. Tomodachi Game est un mind game. Le genre est réputé pour ce qu’il a de plaisant du fait de ses jeux ingénieux et autres réflexions tortueuses dans un cadre donné. Liar Game, que l’on pourrait porter comme valeur étalon de ce genre, n’avait que ses jeux pour plaire… et avec brio. Peut-être Tomodachi Game est lui aussi un manga qui ne considère que ses personnages et son scénario comme des variables accessoires, leur préférant le sens de l’astuce. Peut-être.


Doucement, nous voilà qui bifurquons vers Doubt alors qu’une histoire de tromperie en filigrane vient maculer les murs de l’intrigue. Il y a un traître dans la bande qui nuira à l’ensemble de ce groupe d’amis. Comme pour Kaiji, c’est une histoire de dette glissée comme un bâton merdeux qui entraînera le tout venant dans la spirale des jeux infernaux.


Il faut bien le dire, le premier est savoureux dans son genre. C’est un jeu pervers comme je les aime avec ce qu’il faut de raclage de cervelle. Un jeu de tactiques intellectuelles retors qui n’a pas besoin de moyens techniques ; rien que des règles toutes simples dont on tire le meilleur parti. Typiquement, nous sommes dans l’exacte même veine de ce que Shinobu Kaitani a pu nous gratifier avec Liar Game et One Outs. À chacun de profiter du vide juridique pour composer en conséquence et donner lieu à des batailles psychologiques on ne peut plus ingénieuses. Mais il faut qu’on y ajoute du drame digne d’un sitcom avec les sentiments que suppose un triangle amoureux qui vire en plus au pentagone. Les stratégies pour contrer le traître et le forcer à se dévoiler étaient en tout cas bien pensées. Tout, à ce stade, présageait que le reste de l’aventure serait plaisant à lire.


La suite faucha mes espérances avec entrain.


Tomodachi Game aurait gagné à se stopper à la première épreuve, la suite n’ayant été qu’une vaine tentative de nous faire passer des jeux tactiques pour ce qui n’en était pas. Il n’y avait pas de stratégies, rien que des protagonistes qui simulaient la réflexion pour nous donner le sentiment que vous avions affaire à des jeux ingénieux. Mais la narration avait beau se contorsionner pour chercher à nous le faire croire, cela était de moins en moins crédible à mesure que se succédaient les épreuves. Je renouais alors avec les basses heures d’Alice in Borderland.


Je vous parle alors d’un Alice in Borderland croisé Kakegurui alors que notre bon Yuuichi cherchera minablement à incarner la figure de protagoniste sournois. Cela peut avoir son charme comme avec Hiruma, mais quand l’aspect anti-héros faussement malsain est aussi poussif, c’en est gênant à la lecture. Les faux sourires carnassiers pour nous dire, nous crier et nous répéter à l’envi que Yuuichi est un déglingo, ça ne fonctionne guère que si l’on n’a pas un seul sou de jugeote.


Les épreuves qui suivent restent supportables, mais ne tiennent debout que grâce à une narration qui les tient à bout de bras pour les faire passer pour crédibles. En réalité, les analyses de chaque situation présentées relèvent de la déduction miraculeuse pour la plupart d’entre elles et le volet tactique ne se simule que grâce à des bavardages techniques incessants. Ça se lit, mais avec tromperie sur la marchandise. Ce n’est plus à des mind games auxquels nous avons droit, mais des imitations. Des imitations qui présentent bien pour certaines ; des imitations cependant.


Le coup des personnages dont Yuuichi savait qu’ils trahiraient durant la partie de cache-cache parce qu’il a usé de son œil critique pour jauger leur personnalité… c’est de ce genre de facilités scénaristiques outrecuidantes dont seront faites les épreuves à présent. D’esprit, il n’en sera plus tellement question. Tout tiendra au caractère quasi-omniscient et omnipotent d’un personnage principal à qui tout réussit en chaque circonstance parce qu’il l’a décidé et non pas parce que le récit lui en a donné les moyens.


Ses adversaires n’auront pas grand-chose à mettre en avant non plus, tous étant d’ailleurs supposés être des génies de la psychologie et de l’ingéniosité, machiavéliques eux aussi. Et malgré ça, tous n’auront finalement vocation qu’à se faire rouler dessus par Yuuichi après avoir relevé quelques modestes remous sur un long fleuve tranquille.


L’épreuve spéciale est ridicule tant elle n’est pas inspirée. Prendre des coups et être torturé, voilà pour les règles. Quant à la partie de pierre-papier-ciseau… je crois qu’elle ne peut même pas être comparée face à celle de Kaiji. Oui, on sent que ce manga n’a pas initialement été écrit avec l’intention de se poursuivre aussi loin.


Le procès de Shibe rajoute un zeste de chantilly sur les amoncellements de ridicule dont nous fûmes précédemment couverts. La mise en scène s’accorde des libertés indues en présentant des scènes simplement invraisemblables du point de vue de la cohérence. Il ne s’est pas trouvé un témoin par exemple pour s’étonner d’un procès clandestin orchestré par un juge déguisé en mascotte. Faudra faire réviser la suspension de crédibilité, parce que récit devient méchamment cahoteux à la lecture. Et toujours avec cette moraline sur l’argent, la famille et l’amitié. De grâce, qu’on cesse de me faire rouler des yeux, je vais choper une infection oculaire à force. Et tout ça pour donner lieu à du Detective Conan à pas cher pour déterminer l’assassin véritable.


On enchaîne sur un jeu de loup-garou controuvé et faussement alambiqué qui se ponctuera sur un dénouement navrant de facilité là encore. Le coup de la révélation a posteriori… c’est une ficelle scénaristique qui, presque à coup sûr, prête le flanc à la déception. Il y avait pourtant de nombreux bons passages qui laissaient entrevoir un regain de qualité sur la durée, avec notamment de nombreux retournements de situation. Mais le soufflé n’a pas pris.

Yuuichi, artisan orfèvre à ses heures perdues, avait, dans la plus parfaite clandestinité, forgé une série de fausses clés avec les moyens du bord – c’est-à-dire presque rien – et sans se faire repérer. Coup de bol supplémentaire ; les deux génies étaient justement ceux qui possédaient une clé originale et se sont entendus entre eux… pour ne nous le révéler qu’à la toute fin, bien entendu. Si on ne parvient pas à croire à ça, toute l’épreuve – même ses meilleurs moments – est gâchée en conséquence. Tomodachi Game est décidément un manga qui se lit avec toujours en tête la phrase suivante : « I want to believe ». Parce que si on ne se force pas à croire aux stratégies invraisemblables qui s’y répandent ici par millions, on n’adhère simplement pas à ce qu’est l’œuvre sur le fond.

Puis, durant l’épreuve suivant, on calcule les cartes au Poker « parce que je suis un génie ». La narration n’essaye même plus de faire semblant de nous cacher sa fainéantise. Tel personnage est désigné comme génie, aussi, tout ce qu’il fait doit être considéré comme ingénieux, quitte à ce que cela ressemble davantage à de la magie noire qu’à un véritable calcul stratégique.


Et toujours en toile de fond cette sitcom « c’est ta faute si mon père est mort ». Pas la peine de se donner des grands airs en cherchant à mimer un scénario à partir de drame pur… Il ne faut pas se sentir obligé, surtout quand le point fort du manga a déjà la tête sous l’eau. Mieux vaut chercher à redresser la barre, quitte à négliger le reste qui ne demande d’ailleurs qu’à l’être. Les enjeux, en tout lieu, nous apparaîtront comme artificiels. Kokorogi sera d’ailleurs l’équivalent des otages féminins de Gamble Fish, toujours à moitié dénudée pour nous présenter un ecchi qui en s’assume pas des masses.


Tout est fait de sorte que même lorsque Yuuichi perd… il gagne. Mais avec une tactique secrète dont on ne saura les tenants et aboutissants qu’a posteriori… là encore. Toujours la petite révélation de fin pour faire de la scénographie à pas cher. Révélation où tout s’est passé dans la facilité et dans l’allégresse, cela va sans dire. L’issue des paris dans le paquebot aura indubitablement été la plus grosse blague de tout ce que l’intrigue a permis jusqu’à lors. Et bien entendu, tout cela avait été prévu dès le début par cet incommensurable génie qu’est Yuuichi ; de la première à la dernière étape. Le Keikaku Doori suprême ; celui auquel personne ne croit. Et tout ça parce qu’il valait opportunément 0 yens, lui donnant des possibilités que n’avaient pas les autres joueurs. Et aussi parce que les prisonniers étaient assez stupides pour signer un contrat on ne peut plus douteux lui garantissant la victoire.

Mais tout cela simule si bien la stratégie – sans jamais vraiment l’incarner – qu’on se surprend à lire malgré tout quelque chose dont on sait que le contenu est factice. C’est comme le catch à la télé, on a beau savoir que c’est faux… c’est pas pour autant qu’on ne va pas regarder en se persuadant parfois du contraire.


Battle Royale s’invite en format Canada Dry suite à la virée en paquebot. Y’aura même un phare sur l’île et des annonces quotidiennes émises par mégaphones… Surprenamment, ça se lit bien. Malgré les constantes pertes de crédibilité qui pointent à l’occasion d’une issue d’épreuve, le récit se ressaisit constamment. Les chutes mortelles s’achèvent pour mieux rebondir. Il faut en avoir dans la plume pour en être capable. Car de déceptions en déceptions, Tomodachi Game trouve le moyen de séduire malgré tout. Pour un peu, sur le tard, je me suis même laissé embrigadé par l’intrigue et ses nombreux mystères liés aux multiples protagonistes sévissant sur l’île durant l’épreuve. C’est racoleur comme ça ne pourrait l’être davantage, mais ça suffit parfois à engluer le lecteur. Cependant, j’ai persisté d’un bout à l’autre de ma lecture à me foutre ostensiblement de savoir qui était le traître du groupe Yuuichi. Cet enjeu m’apparaissait absent bien qu’omniprésent. D’ailleurs, plus je fus accablé de révélation, et moins je n’en avais cure.

D’autant que Kokorogi et sa personnalité über-maléfique justifiaient amplement que je ne m’en soucie même pas un instant. Qui en plus était alliée depuis le début avec d’autres personnages introduits de la veille. Il y a des mystères qu’il vaut mieux ne jamais révéler. C’est finalement aussi con qu’avait pu l’être Doubt, avec un antagoniste aussi fumeux par ailleurs.

Les « zombies » sur l’île n’auront absolument servi à rien tout du long si ce n’est de s’agiter comme des spectres intangibles et donc, incapables d’accomplir quoi que ce soit. L’addition était plus que superflue. Comme pour Battle Royale, on retrouvera un personnage usant des arts-martiaux pour détruire un arbre. J’aime quand tout ce qui peut se rapporter au vraisemblable et à la cohérence est ainsi pulvérisé. Il n’y a rien de tel pour mieux décrédibiliser une œuvre.


Cet arc Battle Royale n’est plus qu’un ramassis d’action sans queue ni tête après avoir trop duré et erré sans savoir où se rendre. L’intervention de Tenji marque la fin de tout tant tout ce qui entoure son arrivée n’a pas le moindre sens ni un ersatz de motivation derrière. Avec en plus le Terminator modèle Subaku pour créer un antagoniste supposé dangereux, il n’y a décidément rien à en tirer. Et puis… il y a eu cette révélation… la mère de toutes les révélations ; celle qui fait pleurer de rire aux éclats.

J’ai sincèrement eu un début de fou rire avec la soudaine révélation « Je suis Shiba Shinji, le vrai fils de Shiba Taizen ». Nom de Dieu, le coup du fils caché qui révèle son vrai visage en changeant de coupe de cheveux ; même les télénovelas vénézuéliennes n’ont plus recours à ce ressort scénaristique depuis des décennies déjà. Ça sort de nulle part : c’est prodigieux de connerie et de malfaçon. Et puis y’a un autre traître et un autre retournement de situation… y’en a d’ailleurs tellement de ces retournements qu’on chope naturellement le tournis pour finir par en dégueuler.

Enfin arrive la dernière épreuve qui se propose comme un Cluedo bavard. Il ne s’y dit évidemment que des conneries, celles-ci étant entremêlées de faux massacres. Car tout s’accepte sous l’égide du faux avec Tomodachi Game. Yuuichi y a évidemment le dernier mot après l’avoir envisagé dès qu’il avait énoncé le premier. Là encore, avec son lot de révélations en cascade pour alimenter une machine branlante qu’on entend venir de très loin.


Tomodachi Game, à l’heure où était rédigée cette critique, n’était pas encore terminé, mais il n’a rien apporté de nouveau depuis des années de parution déjà. Il n’y a rien à en attendre de sa fin si ce n’est une révélation pire encore que les précédente au point de nous paralyser la mâchoire suite à un fou-rire trop prononcé. Ce manga a sa mise en scène pour lui et sait imiter la réflexion à défaut de s’y adonner réellement. L’œuvre est alors pareille au Penseur de Rodin en ce sens où l’on croit que l’intelligence y fuse bien qu’à l’intérieur de cette caboche que l’on croit pensive, il ne s’y trouve en réalité que des minéraux inertes.

Josselin-B
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le 10 mai 2024

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Josselin Bigaut

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