Tananarive
7.2
Tananarive

Roman graphique de Mark Eacersall et Sylvain Vallée (2021)

Chaque soir, Amédée, notaire à la retraite, traverse la rue pour écouter les récits de voyage de Joseph, vieux baroudeur accompli. Mais le jour où celui-ci décède subitement, Amédée ne se résignant pas à la mort de son ami, va tailler la route pour tenter de rechercher ses héritiers, un voyage qui se transformera en quête initiatique pour le vieil homme.


L’aventure, genre très apprécié dans la production littéraire à travers les siècles, existe-t-elle dans la réalité ? C’est à partir de ce questionnement que le scénario de « Tananarive » a été échafaudé, un questionnement incarné par ce flamboyant papy qu’est Joseph Seigneur, ex-légionnaire aux milles vies irradiant les grands espaces et les jungles luxuriantes d’une époque révolue. Coulant une retraite paisible dans un petit village marnais, le vieux célibataire aime à relater ses récits de voyages lointains à son voisin Amédée, qui lui voue une admiration sans bornes. Lorsque ce dernier traverse la rue pour aller écouter son ami aventurier des heures durant, il en oublierait presque de regagner le foyer conjugal, au grand dam de son épouse Françoise. Pour Amédée, notaire en retraite « avec un problème de dos », conscient que son âge avancé ne lui permettra plus de franchir les frontières de son département, les souvenirs de Joseph sont un fantastique moyen d’évasion vers des horizons désormais inaccessibles.


La mort brutale de ce dernier va fournir à Amédée le prétexte parfait pour vivre à son tour une expérience qu’il n’avait jamais osé tenter. De nouveau rallumé, notre vieux fourneau va ainsi partir à la recherche des héritiers de son ami Joseph au volant de son antique Triumph qu’il avait remisée au fond de son garage, dans un road trip échevelé qui va le mener à travers le nord de la France et la Belgique. Contrairement à ce que suggère le titre de l’album, on ne verra les contrées exotiques de Madagascar que grâce à l’imagination fertile du vieil homme qui fera également revivre Joseph pour lui servir à la fois de copilote… et de mentor…


Inspiré par une simple réplique d’Amédée, « Tananarive » joue à fond sur les contrastes, tant des lieux que des personnages. La banlieue grisâtre de Maubeuge ou la cité HLM déglinguée de Calais n’ont assurément rien pour faire rêver, et les chutes du Zambèze évoquées par ce vieux baroudeur de Joseph ne font que se fracasser piteusement sur le balai de l’employé municipal évacuant les détritus vers les égouts de la ville. Quant aux deux protagonistes, ils n’ont guère de choses en commun si ce n’est leur âge. Joseph, tout refroidi qu’il est, porte beau et respire la santé, tandis qu’Amédée se traîne, voûté sous le poids d’une vie terne et insipide.


Mark Eecersall a su produire un scénario enlevé, où humour et tendresse forment un parfait équilibre. Les personnages sont très bien campés et les dialogues ciselés font mouche, s’accordant à merveille avec le dessin vif et expressif de Sylvain Vallée, dont le talent s’était révélé avec la saga « Il était une fois en France ». Dans ce récit initiatique plein de finesse, Amédée apprendra, à travers les personnages qui l’ont fréquenté, que Joseph, un brin mythomane, n’était pas tout à fait celui qu’il prétendait être. Parallèlement, le vieil homme va révéler le meilleur de lui-même au crépuscule de sa vie, prouvant peut-être qu’il n’y a pas d’âge pour être le « héros » de sa propre existence, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’écumer le monde.


Malgré son côté parodique, l’histoire s’avère un hommage respectueux à la BD d’aventure franco-belge — non seulement à travers le contexte géographique, mais aussi le clin d’œil à Tintin. Sous ses airs de comédie déjantée, « Tananarive » soulève des tonnes de questions, notamment sur la destinée humaine et les choix qui la forgent — bien souvent, nos propres choix —, mais également sur la transmission. Non sans causticité, les auteurs démystifient les « faux aventuriers » tout en étrillant les hypocrites mesquins uniquement préoccupés par l’appât du gain et leur statut social. En somme, si l’aventure épique n’existe que dans la fiction, ne serait-elle pas plutôt une source d’inspiration métaphorique visant à conduire dignement nos existences « ordinaires » ?

LaurentProudhon
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le 26 févr. 2022

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