Surprise Party - Monster, tome 2 par Nébal

Chronique initialement publiée sur mon blog : http://nebalestuncon.over-blog.com/2018/06/monster-vol.1-integrale-deluxe-de-naoki-urasawa.html


Critique du volume 1 de l'édition "intégrale Deluxe", comprenant les tomes 1 et 2 originaux.


Je retourne aux mangas d’Urasawa Naoki après une longue pause… et avec une autre série. Jusqu’ici, je vous parlais de 20th Century Boys, série qui a connu des hauts très hauts et des bas très bas – seulement, la récurrence de plus en plus marquée de ces derniers, et le sentiment que tout cela n’allait nulle part, m’avaient amené, la mort dans l’âme, à lâcher l’affaire avec le tome 10 « Deluxe »… Il n’en restait plus que deux, pourtant, mais je ne me le sentais pas, vraiment pas. Peut-être un jour y reviendrai-je… Mais pas tout de suite.


Cependant, je n’en avais pas forcément fini pour autant avec Urasawa Naoki – ne serait-ce que parce que mon scepticisme un peu navré concernant l’évolution de 20th Century Boys était partagé par d’autres lecteurs, qui ne manquaient cependant pas de louer d’autres BD de l’auteur, et surtout, de manière assez unanime, Monster ; plus récemment, une longue et très intéressante interview dans la revue Atom a enfoncé le clou, et je me suis dit que je pouvais bien tenter de nouveau de lire une BD de l’auteur, et que cette BD serait Monster.


Monster, au milieu des années 1990, est semble-t-il une BD qui a compté dans la carrière de l’auteur – car beaucoup plus personnelle, et beaucoup plus sombre aussi, que la plupart des mangas qu’il avait commis jusqu’alors, des mangas sportifs notamment, qui avaient remporté un immense succès au Japon. Monster, sous cet angle, était donc d’une certaine manière un pari, et même un sacré pari, et il s’est avéré payant : la BD a connu un grand succès à son tour, qui a aussi semble-t-il favorisé l’exportation des œuvres de l’auteur. On semble considérer, dès lors, que Monster est la série qui a ouvert la voie pour d’autres, comme 20th Century Boys, donc, mais aussi Pluto (une BD semble-t-il très bien notée, mais que je n’ai jamais osé lire, de peur que mon ignorance totale du matériau source chez Tezuka m’empêche de vraiment apprécier la chose…) ou plus récemment Billy Bat.


Mais Monster se singularise d’emblée par son genre et par son contexte. Si les trois autres séries citées comportent toutes des éléments relevant de l’imaginaire, et notamment de la science-fiction, Monster est, pour l’heure en tout cas, un thriller – il s’y passe assurément des choses très, très étranges, mais rien de frontalement fantastique ou SF dans l'immédiat.


Ensuite – et c’est un choix assez surprenant, pour le coup –, la BD se passe bien loin du Japon, en Allemagne, entre les années 1980 et 1990, avec la chute du mur pour point de pivot : les premiers épisodes prennent place en 1986, les suivants neuf ans plus tard – une grosse ellipse qui annonce celles de 20th Century Boys ? Ce pari de délocaliser l’intrigue était pour le coup très casse-gueule – mais je ne me sens vraiment pas de dire si Monster, à cet égard, sonne juste ou faux.


Notre héros est cependant un Japonais (faut pas déconner, non plus !), le Dr Tenma. Jeune et brillant chirurgien, il s’est expatrié et travaille dans une riche clinique de Düsseldorf, où il est de toute évidence promis à un brillant avenir. Car il n’est pas seulement brillant, il est aussi conciliant. Il obéit aux ordres, se fait piller ses travaux de recherche sans sourciller… Bon, et il va épouser la fille du patron, aussi. Il est assez effacé, finalement... Poli, aimable...


Mais un drame se produit, qui lui fait ouvrir les yeux : une nuit, la direction ordonne au médecin de déprogrammer une opération pour s’occuper en urgence d’un chanteur d’opéra – l’ouvrier truc qu’il devait opérer, confié à des mains moins habiles, ne survit pas à ce changement de planning. Tenma perçoit alors seulement combien l’ambiance à l’hôpital est délétère – seul l’argent compte, et la réputation au seul prisme de l’argent. La direction se moque bien des patients – les supérieurs et les collègues de Tenma n’ont pas la moindre éthique – jusqu’à sa fiancée qui est d’un cynisme achevé ! (C’est à vrai dire un personnage beaucoup trop détestable à mes yeux, j’y vois la principale et peut-être la seule fausse note de ce premier volume…).


Une autre nuit, l’histoire semble se répéter. On amène en urgence à l’hôpital deux enfants – d’un couple de ressortissants de l’Allemagne de l’Est, qui venaient juste de franchir la frontière… et qui ont été sauvagement assassinés sous les yeux des petits ! La fille est psychologiquement affectée, mais le petit garçon est blessé par balle, et seul un chirurgien d’exception tel que Tenma est en mesure de le sauver… Mais voilà que la direction ordonne à Tenma de laisser tomber, et de s’occuper en priorité d’un autre patient – le maire de Düsseldorf ! Tenma refuse – pas de passe-droit pour les huiles, pas après ce qui s’est passé avec l’ouvrier turc ! Le bon docteur sauve le petit garçon… et le maire meurt dans la nuit. La carrière de Tenma est foutue – on ne le vire pas, il est trop utile pour cela, mais il n’a aucun espoir de progression, ses recherches ne donneront jamais rien faute d'appui, et sa fiancée le plaque aussitôt, et très salement, pour un collègue mois tatillon en matière de morale. Qu’importe ? Tenma, dans cette rébellion, a retrouvé l’âme du vrai médecin ; le sens ultime de son métier...


Mais un autre événement se produit bientôt – une série de morts mystérieuses qui affectent la direction et le personnel de l’hôpital. Ces décès très ciblés… arrangent en fait les affaires de Tenma, d’une manière totalement inattendue ! Il peut finalement faire carrière ! Ce qui ne manque pas d’éveiller les soupçons de la police, et notamment de l’intimidant détective Runge… Lequel ne dispose cependant pas du moindre élément à charge contre le jeune et brillant chirurgien japonais.


Tout ceci ? Un long, indispensable (et très habilement conçu) prologue – qui occupe la moitié de ce volume, soit, comme pour 20th Century Boys, le premier volume « standard » de la série : cette « intégrale Deluxe » rassemble dans chaque tome deux volumes de l’édition originale.


La série prend alors son envol, après une ellipse de neuf ans. Le monde a changé autour de Tenma – le mur est tombé, l’Union soviétique s’est effondrée, la guerre froide n’est plus. Lui ? Il est toujours ce brillant chirurgien, discret mais serviable, que ses patients adorent...


Mais la rumeur de meurtres inexpliqués dans plusieurs endroits en Allemagne parvient aux oreilles du chirurgien, qui es bien obligé, une fois encore, d’ouvrir enfin les yeux, lui qui était porté à les garder éternellement fermés. Cette fois, il ne s’agit pas de l’amoralisme d’éminentes figures de sa profession, mais bien de sa responsabilité personnelle. Ces meurtres, Tenma est amené à comprendre qu’ils ont peut-être été commis… par Johann, ce petit garçon qu’il avait sauvé neuf ans plus tôt ! Dès lors, n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans les assassinats commis par son patient, qui n'a survécu que grâce à lui ? Il avait pourtant l’air si innocent – comme tout petit garçon de dix ans… Le remords, la crainte d’y être effectivement pour quelque chose, même si cette manière de s’accaparer la responsabilité des actes commis par son patient a sans doute quelque chose d’égotiste et d’invasif, tout cela incite le bon docteur à agir, quitte à sacrifier sa carrière (de toute façon menacée par l'enquête de police, qui rouvre opportunément). Mais la priorité est bien de retrouver la sœur du « Monstre » ; car elle est probablement la seule à même d’expliquer ce qui s’est passé. À ceci près qu’elle est amnésique, comme de juste – et placée dans une famille d’accueil qui n’a jamais pu se résoudre à lui révéler qu’elle a été adoptée, que ses parents biologiques ont été assassinés, et qu’elle avait un frère, de longue date disparu…


Je ne suis pas, de manière générale, très client du genre thriller. Laissé entre trop de mains médiocres, il a quelque chose de souvent bien trop mécanique à mon goût, a fortiori quand cette mécanique est très apparente, sans qu’il ne s’agisse pour autant véritablement de jouer de ce dispositif. Il y a certes des exceptions, chez les plus roublards et futés des maîtres du genre – un Hitchcock en tête, comme de juste. Avec Monster, pour l’heure en tout cas, Urasawa Naoki, par chance, se montre un de ces maîtres roublards et futés ; la mécanique est là, voyante, mais elle fonctionne admirablement bien – ce premier volume de Monster est le légendaire page-turner que l’on nous promet toujours dans le genre. Il est clair qu’Urasawa Naoki sait raconter une histoire – lui, et son compère Nagasaki Takashi, qui est discrètement de la partie, comme souvent. Et c’est d’une efficacité admirable – littéralement la BD que l’on ne lâche pas une fois qu’on l’a entamée, et qui, une fois la dernière page retournée, incite à se précipiter aussitôt chez son dealer de BD pour acquérir une dose de plus ; je vous parlerai du coup très prochainement de la suite, les tomes 2 et 3 dans un premier temps…


Mais l’habileté narrative d’Urasawa Naoki est en même temps d’ordre graphique. La finesse, la limpidité, la vivacité de son trait sont proprement admirables – comme elles le seraient plus tard dans 20th Century Boys, un point que je n'ai jamais mis en doute, et, je suppose, dans d’autres titres encore. Le style graphique d’Urasawa Naoki bénéficie d’une vraie personnalité, il est immédiatement reconnaissable, mais son principal atout réside dans cette admirable fluidité, qui n’est pas si commune dans le monde du manga – tout particulièrement au regard des scènes d’action. Le découpage précis mais sans esbrouffe s’associe à la clarté des situations comme à la très habile caractérisation des personnages pour donner un résultat impressionnant, qui emporte l’adhésion, tant tout semble couler sans effort – une « simplicité » qui ne vaut que pour le lecteur, car on devine derrière un travail très attentif de l’auteur. C’est remarquable, véritablement remarquable.


Autant dire que je suis très enthousiaste au sortir de ce premier volume « Deluxe » de Monster. J’ai vraiment beaucoup aimé, c’est bel et bien un modèle de thriller, très bien conçu, toujours fluide, toujours palpitant, animé par de bons personnages (la fiancée mise à part, trop caricaturale), et avec à l’arrière-plan un fond éthique d’une profondeur insoupçonnée. Ça se dévore de la première à la dernière page, et on réclame illico la suite – ça ne tardera pas, donc.


Demeure pourtant une crainte – celle que, sur la durée, Monster s’essouffle, à la manière de 20th Century Boys ; la déception serait alors à la mesure de l’enthousiasme initial… Espérons qu’il n’en sera rien – et gardons-nous de trop anticiper, ici : le plaisir de la BD, c’est d’abord ici et maintenant. Et, ici et maintenant, ce premier tome de Monster emporte sans peine l’adhésion.

Nébal
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le 14 juin 2018

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