Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre qui a compté 72 épisodes. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2006, écrits par Brian Wood, dessinés et encrés par Riccardo Burchielli, et mis en couleurs par Jeromy Cox. Brian Wood dessine 3 ou 4 pages par épisodes. Les couvertures sont réalisées par Brian Wood. Ces épisodes ont été réédités dans DMZ intégrale Tome 1 (épisodes 1 à 12).


Il y a cinq ans, certains états ont déclaré leur indépendance vis-à-vis du reste des États-Unis, en particulier l'île de Manhattan (400.000 habitants), et le quartier de New Jersey. Les quartiers de Brooklyn, Queens et Long Island ont fait le choix de rester au sein des États-Unis. Pour la première fois depuis des mois, un cessez-le-feu est en place. Le journaliste Viktor Ferguson (détenteur d'un prix Nobel de la paix) doit se rendre sur place à Manhattan en hélicoptère, pour effectuer un reportage. Le dernier membre à être recruté dans cette équipe est un stagiaire : Matt Roth, technicien en photographie. On lui remet une carte de presse et on lui confie le matériel en lui rappelant qu'il en est personnellement responsable. Il embarque à bord de l'hélicoptère et s'assoit à côté de Viktor Ferguson. Celui-ci lui indique qu'il ne veut pas l'entendre, que Matt doit lui obéir au doigt et à l'œil et que Matt n'existe que pour le servir. Le militaire assis de l'autre côté de Matt le rassure et lui parle comme à un être humain. Manhattan est en vue avec des feux qui brûlent au sommet de quelques gratte-ciels. Ils passent bientôt au-dessus du poste de frontière, avec ses fils de fer barbelé et ses carcasses de voiture en travers du passage. L'hélicoptère se pose, mais des individus commencent à tirer dessus. Le pilote repart aussi sec laissant Matt Roth dans la rue, car il avait été le premier à descendre et il n'a pas eu le temps de remonter. Alors que les tirs continuent, il est pris en charge par Zee Hernandez, une docteure, qui lui intime de se mettre à l'abri.


Avec ce titre, Brian Wood passe dans la cour des grands, installant une série de longue durée chez l'éditeur Vertigo (la branche adulte de DC Comics à l'époque) et Riccardo Burchielli entame une carrière aux États-Unis. Le lecteur est tout de suite capté par l'ambiance du récit : un stagiaire débutant qui se retrouve malgré lui en pleine zone de guerre, démilitarisée peut-être, mais pas exempte de combats. Le scénariste marie l'angoisse post 11 septembre, avec la réalité de villes détruites par la guerre, et l'absurdité de vouloir anéantir un ennemi par la violence. Burchielli réalise des dessins descriptifs avec une forme d'exagération dans les visages, de saturation d'informations dans certaines cases, de sensation de reportage pris sur le vif au cours duquel il n'est pas possible de capter tous les détails des décors (on n'a pas le temps d'admirer le paysage, ce n'est pas une partie de tourisme), et à d'autres moments il y a trop de choses à voir, à assimiler. Dans ces premiers épisodes, Jeromy Cox n'hésite pas à utiliser des teintes chaudes, montrant que ça se passe maintenant, avec des individus bien vivants. Dans chaque épisode, le lecteur découvre 2 à 4 pages réalisées par Brian Wood, avec des visuels plus froids, plus vers l'illustration. Dès la première séquence, la dynamique du reporter embarqué fonctionne admirablement bien. Le lecteur est aux côtés du jeune Matt Roth qui ne sait pas grand-chose de la situation et qui doit réagir immédiatement, à l'instar du lecteur qui découvre et assimile les informations au fur et à mesure.


Avec ces trois premiers épisodes, Brian Wood se laisse de la marge de manœuvre. Il dose les informations qu'il dispense : assez pour que la situation fasse sens, pas trop pour ne pas plomber chaque case, et pour pouvoir ajuster les détails par la suite. Le lecteur comprend bien que Manhattan est devenue une zone tampon entre les territoires faisant encore partie des États-Unis et les états étant en guerre civile sous la bannière d'États Libres (free states). Il voit bien que Manhattan a été ravagée par la guerre, que ce soit la voirie, ou les immeubles. Il voit passer des individus en uniforme militaire ou en tenue paramilitaire. Les dessins montrent la voire défoncée, les fenêtres fermées par des planches de bois car les vitres n'ont pas tenu le coup, les intérieurs d'appartement aux murs écaillés, aux sols abîmés, faute de matériaux pour réparer ou ne serait-ce qu'entretenir. Il sait créer des images qui amalgament la réalité des villes ayant été bombardées avec la réalité de l'urbanisme de New York. Cela produit un effet très étrange sur le lecteur qui éprouve la sensation de retrouver des images vues à la télé, mais dans un autre décor. Il peut supposer que pour un lecteur américain l'effet est encore plus saisissant, lui parle encore plus, ce qui rend la série encore concrète pour lui. De temps à autre, le lecteur s'interroge aussi sur le fait que la population restante puisse continuer à vivre dans de telles conditions. Comment est-elle approvisionnée en eau potable ? En nourriture ? En énergie ? En médicaments et autres éléments de première nécessité ? Wood évoque rapidement des pistes pour répondre à ces questions, sans les développer concrètement dans ce tome d'ouverture.


Ces trois premiers épisodes accomplissent énormément de choses pour présenter la situation, mais ils forment avant tout une aventure. Matt Roth se retrouve coincé à Manhattan et il doit survivre en observant son environnement et en faisant confiance à Zee Hernandez. Dès le début, Brian Wood fait montre d'un regard critique. Alors qu'il était parti pour une mission de reportage embarqué, Matt Roth se trouve à découvrir la situation par lui-même, sans le regard préformaté du prix Nobel de la paix, sans avoir à faire avec la version officielle. Dès le début, il se retrouve dans la situation des habitants qui vivent sous les bombes, ou tout du moins dans cette zone dite démilitarisée, à vivre comme eux, sans espoir de bénéficier d'un sauvetage à court terme. Pire encore, il a pu voir les effets d'une intervention des forces des États-Unis d'Amérique, sur la population. Dans un premier temps, il semble au lecteur que Riccardo Burchielli va succomber à la tentation d'en rajouter dans le spectaculaire, avec trop de sang et des explosions trop spectaculaires et esthétiques. Mais en fait, dès la scène d'action suivante, il revient à une mise en scène mesurée et plus réaliste, réalisant des images qu'il serait possible de voir dans un reportage télé. Le lecteur découvre le quotidien des individus que Mat Roth est amené à côtoyer ou simplement à rencontrer, avec des visuels crédibles, montrant qu'ils leur manquent des approvisionnements en consommables courants, mais qu'ils font œuvre de débrouillardise pour pallier ces manques. À la fin de ces trois épisodes, le lecteur sait déjà qu'il est accro et qu'il reviendra pour la suite, pour cette immersion sur le terrain, et pour ce décodage de la manipulation de l'information, évoquant le travail très professionnel de Fox News qu'il est indispensable de savoir décoder.


Il passe ensuite à l'épisode 4 au cours duquel Matt Roth va enquêter dans Central Park qui est recouvert de neige. Il découvre une situation qui sort de l'ordinaire, ainsi que la vérité sur les fantômes sensés agresser ceux qui osent s'aventurer dans le parc. Les dessins âpres de Riccardo Burchielli font à nouveau des merveilles, à la fois pour la désolation du paysage sous la neige, à la fois pour les détails des locaux et des individus qui recueillent Matt Roth. Le scénariste confirme que son personnage va séjourner pendant un certain temps à Manhattan, et embraye directement sur une histoire en 1 épisode. Les deux auteurs renouvellent la réussite de donner la sensation au lecteur de bel et bien se trouver à Manhattan, et tout en donnant une nouvelle version de la lutte des classes, de la survie à tout prix, de la notion de bien commun par opposition à l'appropriation privative. Le récit prend une autre dimension politique, ne se limitant pas à la guerre armée.


L'épisode 5 est à nouveau une histoire en 1 épisode : quelqu'un s'est introduit chez Matt Roth et lui a tiré son blouson de journaliste, ainsi que sa carte de presse, un laissez-passer indispensable à sa survie en tant qu'étranger dans la zone démilitarisée de Manhattan. Il s'en suit une course-poursuite à haut risque dans le nord de Manhattan, Roth étant sur les talons de son voleur. Burchielli fait à nouveau le nécessaire pour que ses dessins rendent compte des immeubles de ce quartier, et Brian Wood consacre une page au Flatiron Building, un des immeubles remarquables de Manhattan. C'est également l'occasion pour Matt Roth, contraint et forcé, de découvrir la vie de tous les jours dans cette partie de l'île. La dynamique de la course-poursuite assure une lecture rapide, et constitue une forme de tourisme permettant d'observer les habitants dans leurs activités quotidiennes.


Avec le temps qui a passé, DMZ est resté comme l'une des séries phare de l'éditeur Vertigo. Le lecteur n'a que l'embarras du choix quant à l'édition et il peut facilement découvrir ce qui a valu une telle réputation à cette série. Il découvre un point de départ immédiatement accrocheur, des dessins descriptifs rendant compte de New York sous les bombes en restituant bien cette ambiance, et un commentaire sur les conséquences de la guerre, ainsi que sur le traitement de l'information.

Presence
9
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le 16 avr. 2020

Critique lue 158 fois

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