On connaît bien l'argument que porte le personnage de Superman : cet extraterrestre venu de la planète Krypton, mais à l'allure humaine, qui bénéficie de pouvoirs surhumains en raison de la couleur même des rayons du soleil, devient un justicier afin de mettre ses capacités hors normes au service de l'Humanité et des États-Unis d'Amérique en particulier. À y regarder de près, il représente l'idéal du rêve américain : un immigrant parti de rien mais qui, de par ses capacités supérieures, parvient à bâtir un empire – ou bien, dans le cas qui nous occupe, à devenir une légende. Certains disent qu'on ne voit ça qu'aux États-Unis, ce qui reste discutable, mais toujours est-il que Superman n'en reste pas moins une icône de la culture américaine du XXe siècle...


Et pourtant, comme on peut le voir dans cette courte série aux accents d'uchronie, il aurait suffi d'un léger retard de la part du vaisseau qui transportait le jeune Kal-El vers la Terre, pour que, en raison de la vitesse de rotation de celle-ci sur son axe, le rescapé de Krypton se pose dans une région complétement différente du monde. En l'occurrence, il tombe en URSS, soit dans le camp radicalement opposé des États-Unis, du moins si on prend comme repères les idéologies économiques et politiques respectives de ces deux nations. Pour l'interversion qu'il présente, ce postulat se montre bien sûr passionnant. Mais la réalisation, de son côté, – hélas, mille fois hélas – laisse très sérieusement à désirer.


Car si on prend telle quelle la proposition de la préface, ce récit se résume en fait à une démarcation sur la célèbre phrase de Benjamin Franklin : « Celui qui est prêt à sacrifier un peu de sa liberté pour un peu de sécurité, ne mérite ni l'une ni l'autre, et finira par perdre les deux. » Outre qu'on le savait déjà, on peut se demander si un tel truisme méritait bien une démonstration sous la forme d'un comics entier. Ça se discute. Mais on peut assurément regretter que le discours pris dans sa globalité n'aille pas un peu plus loin que ça. En d'autres termes, qu'une fois l'illustration faite de la citation, le scénariste ne parvienne pas à dépasser le propos de départ pour l'approfondir ; ou bien pour y superposer une réflexion plus personnelle...


Mais on regrette bien plus l'absence de presque tous les autres super-héros de DC Comics, comme si l'existence de ceux-là restait toute entière conditionnée par celle de Superman aux États-Unis. Ceux présents, qu'il s'agisse de Barry Allen ou d'Oliver Queen, n'y ont même pas de super-pouvoirs ; d'autres voient leur rôle entièrement redéfini, d'une manière qui ne manque pas d'intérêt mais qui reste hélas sous-exploitée ; et le dernier d'entre eux, Batman, apparaît en URSS au lieu de l'Amérique à travers une tentative assez poussive pour marcher dans les pas du Dark Knight (1986) de Frank Miller. On peut néanmoins citer le personnage ici très ambigüe de Wonder Woman bien qu'il ne parvienne hélas pas à sauver le reste.


Pourtant, c'est encore dans la conclusion du récit qu'on trouve le bouquet final qui en se basant sur l'un des clichés les plus éculés du thème des paradoxes temporels va même jusqu'à voler à Kal-El son identité de kryptonien. Déjà qu'une telle fin ne présente plus aucun intérêt narratif depuis longtemps, et surtout pas pour instaurer quel qu'effet de chute que ce soit, il aggrave son cas en allant jusqu'à jeter au panier la base même du récit puisque, dans cette version, Superman n'est même plus un extraterrestre pour commencer : du coup, on se demande non seulement ce qui est advenu à l'original, celui qui est parti de Krypton, mais aussi pourquoi ce récit porte le nom d'un héros dont il est en réalité l'imposteur !


Voilà pourquoi ce Superman : Red Son s'avère en fait une cruelle déception ainsi qu'une démonstration de plus qu'une idée seule, même géniale, ne fait pas un récit et surtout pas un récit génial. Il reste malgré tout une courte série atypique pour tous ceux d'entre vous fatigués des clichés sur le personnage – c'est toujours ça de pris...

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le 7 oct. 2011

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