Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il contient 90 pages de bandes dessinées en couleurs, complétées par 28 pages de bonus, richement illustrées. Il est initialement paru en 2014. Stjepan Sejic en est l'auteur complet : scénario, dessins, encrage et mise en couleurs, le tout à l'infographie.


Lisa est une écrivaine qui travaille à son grand roman, tout en gagnant sa vie en écrivant des nouvelles érotiques. Alors que l'histoire commence, elle s'apprête à écrire l'histoire de sa rencontre avec Ally (une jeune femme financièrement à l'aise). Elle s'adresse directement au lecteur en indiquant qu'il s'agit d'une histoire d'amour, avec beaucoup de scènes de lesbianisme et de bondage (pratique sadomasochiste qui consiste à attacher son partenaire dans le cadre d'une relation érotique ou sexuelle) pour éviter que le lecteur fuit ce qui pourrait être une histoire à l'eau de rose.


En 2 pages, Lisa évoque à grands traits la vie d'Ally et la sienne, avant leur rencontre, et le vide de leur vie sentimentale. Puis le récit montre la première rencontre physique, entre les 2 jeunes femmes, leurs préparatifs, et leur première nuit d'ébats, jusqu'à la deuxième rencontre.


Ce projet jouit d'une réputation sulfureuse, puisqu'avant même sa sortie sous forme d'album en papier, un certain nombre de pages avaient été publiées sur internet (sur le site devianart) par son auteur. Dans les pages bonus, Stjepan Sejic explique qu'au départ il ne s'agissait que de gags en 1 ou 3 cases, et qu'il a développé cette histoire par la suite avec l'aide de sa femme Linda Sejic. L'objectif pour lui était de retrouver de l'énergie à dessiner, et le goût pour son métier, après la série Witchblade: Redemption avec Ron Marz.


Évidemment, au vu du résumé, le lecteur s'attend à une bonne dose d'érotisme, tendance sadomasochisme. Effectivement il y a quelques scènes avec nudité frontale des 2 personnages principaux (Lisa & Ally), et quelques positions scabreuses avec domination. Par contre, il n'y a pas de dessin de pénétration ou d'humiliation avec sévices physiques. Le niveau d'érotisme reste assez gentil, car Sejic réalise des dessins un peu rapides, sans trop s'attarder sur les finitions. Cela ne veut pas dire qu'ils sont bâclés, mais que le degré de précision variable diminue le potentiel érotique.


Quelques exemples. Lorsque Sejic représente les tétons de ces dames, ou leur toison pubienne, il ne cherche pas le réalisme, il n'insiste pas sur la texture de la chair, ou sur la forme des poils pubiens. Les premiers sont représentés sous forme de cercles rapidement esquissés, les seconds sous la forme d'une tâche de couleur marron ou noir. Le lecteur peut apprécier la forme élancée de Lisa et Ally, par contre il ne peut pas s'imaginer leur grain de peau, ou les détails les plus intimes de leur anatomie.


Sejic met également en scène quelques pratiques sadomasochistes. Cela commence par Lisa attachée nue sur un lit (en étant consentante), et cela va jusqu'au bâillon boule, en passant bien sûr par le corset en latex. Il y a même un lit avec des armatures permettant des positions peu confortables. D'un côté les dessins montrent ces éléments sans détour, de l'autre il ne s'agit pas d'une revue pornographique ou d'un manuel de parfaite dominatrice. Lisa explique elle-même dans sa narration qu'elle interrompt sa description quand le ressenti devient plus important que la technique, c’est-à-dire au cours des préliminaires.


L'intelligence narrative de l'auteur est de donner la parole à Lisa pour qu'elle exprime son ressenti et ses émotions au travers des cellules de texte, et de faire en sorte que le lecteur assiste (participe presque) en tant que spectateur à la concrétisation physique de cette relation sortant de l'ordinaire (Lisa et Ally avaient déjà correspondu par internet auparavant). Sejic pose comme point de départ que c'est le souhait de vivre une expérience dominatrice / dominée qui amène à la rencontre entre Lisa et Ally. Par contre, il ne s'agit pas de femmes blasées ou expérimentées en la matière. Du coup le lecteur découvre la mise en œuvre progressive de ces pratiques en même temps qu'elles. Ensuite, il s'agit de 2 adultes consentantes dont l'objectif est la recherche d'un plaisir partagé, mais pas à tout prix. Lisa dispose donc dès le départ d'un mot de passe qui lui permet de faire comprendre à Ally qu'elle souhaite interrompre la séance.


Malgré le côté scabreux de la forme de leur plaisir (cette relation dominante / dominée), l'histoire ne verse jamais dans un voyeurisme malsain. Stjepan Sejic prend le temps de d'exprimer l'état d'esprit des 2 femmes, leurs doutes, leurs appréhensions et leur excitation. Le lecteur découvre la naissance d'une histoire d'amour assez romantique, présentant une particularité singulière, à savoir la forme de leur amour physique. Lisa finit par rationaliser le recours à cette relation de soumission comme une forme d'expression d'une passion pour un divertissement sortant un peu de l'ordinaire, faisant d'elle et d'Ally des geeks d'un genre particulier, mais rien de plus.


Le lecteur ne doit pas s'attendre non plus à une réflexion sur les pratiques sadomasochistes. Il y a bien un passage sur les réactions sensorielles de Lisa lorsqu'elle enfile le corset en latex. Mais l'auteur ne creuse pas la psychologie de la dominée, ou de la dominatrice. Il reste à l'état de simple constat du plaisir de la dominée de pouvoir apprécier de s'en remettre au bon vouloir d'une autre et d'accepter ces petites douleurs qui la rendent plus consciente de son corps. Il montre Ally comme une personne prenant presque plus de plaisir à imaginer le scénario et la mise en scène des ébats à venir, qu'à les réaliser. Tout au long de ces pages, il insiste surtout sur la relation de confiance entre Lisa et Ally, et sur le développement de leurs sentiments amoureux l'une pour l'autre. Sans les scènes de soumission, il s'agirait presque d'un roman à l'eau de rose, dépourvu de niaiserie.


Dans cette histoire Stjepan Sejic raconte la première rencontre amoureuse entre une dominatrice et une dominée. Il ne réalise pas une BD pornographique, mais une BD érotique dans laquelle les sentiments occupent la première place. À l'opposé d'un catalogue de prouesses sexuelles anatomiquement et morphologiquement sujettes à caution, il s'agit avant tout d'une histoire d'amour, où la confiance réciproque prime avant tout.

Presence
10
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le 3 août 2019

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