Une architecture sans âme ?

Je donne ici mon avis global sur le run de Hickman, même si je n'ai pas tout lu j'en ai vu assez pour me faire mon idée (Hox/Pox, ce premier Deluxe des X-Men, X of Swords et Inferno).

Lecteur de la vieille école, j'essaie de rattraper mon retard sur l'histoire des X-Men depuis les années 2000, et après un run intéressant de Bendis, je me suis lancé dans celui de Hickman, assez unanimement plébiscité. Et je n'ai pas spécialement adhéré.

L'idée d'un nouveau Status Quo pour redonner des bases solides au futur des mutants avec une équipe d'auteurs de talents, c'est la preuve que Marvel veut exploiter tout le potentiel de cette série, et écrire une page mémorable de l'histoire des X-Men. Mais ce nouveau Status Quo imaginé par Hickman dévoie, à mon sens, ce qu'est l'essence de cette série.

Le discours qui transparaît dans cette nouvelle donne est un projet suprématiste mutant qui, s'il s'exécute sans violence mais via un impérialisme économique et idéologique afin d'établir la mutanité comme, à terme, la nouvelle norme, n'en est pas moins à l'opposé de l'aspect social de la série et des valeurs qu'elle a toujours voulu incarner: l'acceptation de la différence, le respect, la fraternité, bref, le rêve de coexistence pacifique entre humains et mutants. Si l'on retranscrit ce discours de Hickman à notre réalité, où une communauté voudrait s'imposer plutôt que se faire accepter, il me semble que le rêve de Xavier s'est transformé en cauchemar.

Hickman use d'une astuce scénaristique pour justifier tout cela via le personnage de Moira MacTaggert qui, puisque celle-ci ayant eu plusieurs vies où le rêve de Xavier est voué à l'échec, sait de manière empirique que les mutants doivent s'imposer s'ils ne veulent pas être pourchassés. Une nouvelle donne qui rend presque futile 50 ans d'histoire des X-Men, et ne permet pas de revenir à cette situation où l'espoir d'un monde meilleur était un puissant moteur dans cette lutte pleine de contradictions.

Des contradictions, ici, il n'en sera que très peu question. Hors, c'est, avec le volet social et la part d'action inhérente à un comics mainstream, un des piliers historique de cette série. Se battre, user de violence, prendre des décisions difficiles, risquer sa vie pour des humains haineux, mettre sa vie de côté, autant de d'aspects du quotidien des X-Men qui sans cesse se remettent en question entre aspirations idéologiques et une réalité complexe à gérer.

Le parti pris de Hickman d'imposer cette nouvelle vision des choses à tous les mutants aurait dû mener à bien des débats, des doutes, des dissensions au sein d'une communauté hétérogène, et encore plus chez les X-Men. Pourtant ce n'est pas le cas, ou à de rares moments et pas nécessairement sur le cœur du sujet, ce qui traduit un des traits d'écriture qui est un des défauts majeurs de Hickman ici: le traitement de ses personnages.

Au-delà de ne pas remettre en question le projet de Xavier et Magnéto, les X-Men (les personnages au sens large) ressemblent à des pions sans âme sur un grand échiquier, endoctrinés, ressemblant à une secte dans son fonctionnement. Dépourvus alors d'intelligence, d'états d'âme, on cherchera en vain un phylactère qui traduirait les pensées des personnages puisqu'ils ne semblent pas réfléchir, et à peine ressentir. Il est pourtant évident que les héros de cette série sont la base, le lien qui nous rend ce combat si passionnant. Et bien c'est ici un peu le vide, si bien que de toute cette intelligence dans la structure du scénario ne se dégage qu'une certaine froideur, une antipathie, du scénariste pour ces personnages ainsi que du lecteur vis à vis des personnages.

Je n'ai pas tout lu donc il se pourrait que certains arcs me fassent mentir, mais c'est ce qu'il se dégage de ce run: une approche éthique douteuse, et une écriture au long cours d'une certaine finesse qui laisse, pour moi, l'essentiel de côté, à savoir les X-Men.