Paul à la maison
7.6
Paul à la maison

BD (divers) de Michel Rabagliati (2020)

Pour le neuvième tome des aventures de Paul, son alter ego, le québécois Michel Rabagliati montre son personnage dans une situation peu encourageante : dépressif parce que seul, vieilli (51 ans), et en proie à de gros doutes sur sa capacité à affronter les réalités de la vie alors que sa mère file un mauvais coton.


L’action est située en 2012, alors que Paul est désormais un auteur de BD reconnu (habitué du salon du livre de Montréal), invité à parler de son métier par des enseignants d’un institut pour jeunes en difficultés. Mal informés par leurs profs, les jeunes insolents ne font pas la différence entre une BD et un film d’animation. Paul oscille donc entre la reconnaissance et les difficultés de la vie de tous les jours. Et si l’album permet de profiter une nouvelle fois de l’ironie mordante de son auteur, force est de reconnaître que le titre ne correspond pas exactement à son contenu. En effet, malgré un certain nombre de soucis domestiques, Paul ne passe pas exactement son temps confiné à la maison. Chez lui, il profite d’un jardin où son pommier présente des signes de fatigue et où la piscine ne semble guère utilisable pour le moment. N’oublions pas le sympathique voisin qui l’appelle régulièrement, tout en ayant chaque fois une idée derrière la tête.


La vie avec Biscuit


Concrètement, Paul affiche régulièrement une mine de déterré, avec une barbe de plusieurs jours. De plus, il semble constamment à la bourre. En effet, avec tout ce qu’il doit gérer, il dort peu et mal. À tel point qu’il va voir son médecin pour faire le point. C’est ainsi qu’il accepte de faire un test pour savoir s’il ne ferait pas par hasard de l’apnée du sommeil. L’appareillage se révèle tellement lourd à installer que, de toute façon, Paul se prépare une nuit particulièrement courte… Mais tout cela ne représente qu’un inconvénient mineur par rapport à tout ce qu’il affronte avec la cinquantaine. En effet, Paul doit composer avec la solitude, puisque Lucie l’a quitté. La vie de famille s’éloigne d’autant plus que leur fille, Rose, 19 ans, qui n’a jamais poussé l’aventure bien loin, a décidé de s’installer à Londres ! L’entourage de Paul risque de se résumer à la compagnie de son chien Biscuit. Cela explique certainement que Rabagliati imagine Biscuit commentant régulièrement pour son compte, ce qui se passe autour de lui.


Amour filial


Le vrai souci pour Paul est la santé déclinante de sa mère. C’est l’occasion une nouvelle fois pour Michel Rabagliati de proposer un beau paquet de planches particulièrement émouvantes, à l’image de ce qu’il avait concocté pour la fin du beau-père de son personnage, dans Paul à Québec (2009). Ce sera l’occasion de faire remonter à la surface quelques souvenirs familiaux et d’évoquer avec tendresse la mère de Paul, mariée trop jeune et divorcée deux fois, mais qui lui a donné suffisamment pour qu’il se sente désemparé en la sentant au bout du rouleau. Paul se montre admiratif devant son courage.


Ironie, style et humour


Tous ces ennuis n’empêchent pas Paul de rester égal à lui-même. Il s’indigne donc régulièrement de certaines situations (l’habitation incroyablement impersonnelle dans laquelle sa mère fait face), ironise sur ce qu’on lui fait subir (parmi les détails hilarants, voir la façon dont il dessine à un moment avec un système destiné à soulager son mal de cou). Rabagliati termine également un chapitre en mettant en parallèle de façon irrésistible la façon dont l’émondeur traite le pommier malade de Paul avec la façon dont le dentiste lui arrache une dent. C’est l’occasion pour admirer le travail du dessinateur qui n’a pas son pareil pour choisir des postures extrêmement parlantes, sans avoir à forcer le trait. Avec un dessin très souvent stylisé, il parvient à croquer ses personnages pour les rendre dynamiques et expressifs. Ce qui ne l’empêche pas de soigner les détails, en particulier sur les décors. En ce sens, l’illustration de couverture est particulièrement révélatrice, avec des détails réalistes pour l’extérieur, alors que Paul et son chien n’apparaissent que sous la forme de silhouettes en contre-jour.


Parenthèse technique


Enfin, Paul se montre toujours technicien passionné par son métier. S’il renonce finalement à innover pour l’album sur lequel il travaille, il remarque sur l’autoroute des détails en lien avec ses connaissances professionnelles. Il en profite pour expliquer ce qu’il constate pour la police d’écriture des panneaux de signalisation. Avec d’autres auteurs, on pourrait soupçonner du remplissage pour combler un certain manque d’inspiration. Avec Michel Rabagliati, on entre dans des détails qui finissent par devenir savoureux grâce à sa façon de présenter l’enchaînement des décisions administratives.


Dépressif mais pas cafardeux


Dans un noir et blanc d’une belle lisibilité, cet album de 160 planches (plus 20 pages), allie donc l’émotion habituelle au personnage avec pas mal de situations qui permettent au dessinateur de donner libre cours à son besoin d’exprimer son désarroi devant un monde qui, à force de viser l’efficacité, devient de plus en plus froid et impersonnel. Michel Rabagliati fait de la crise de la cinquantaine, une période qui lui permet d’ajouter une facette typique à son personnage fétiche, toujours aussi sensible et à l’affût des travers qu’il observe dans le comportement de ses semblables. Enfin, le parler québécois participe une nouvelle fois au charme de l’album, avec quelques expressions qui font leur effet !


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 12 avr. 2021

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