Partie de chasse
7.7
Partie de chasse

BD franco-belge de Pierre Christin et Enki Bilal (1983)

Avant toute chose, Partie de Chasse est un retour dans le passé. Le duo d'auteurs a parfaitement maitrisé le calquage de son époque, on se sent de retour en 1983. Une véritable photographie de la période d'écriture, c'est à peine si on n'entend pas le mur de Berlin craqueler, Pierre Christin serait il un prophète ? La note peut sembler basse pour une BD qui a été à ce point encensée, mais je dois avouer que si j'ai finalement été très déçu de la lecture de l'album. Pourtant, avec 7 ça semble pas si mal, mais vous comprendre pourquoi en lisant cette critique que j'ai décidé d'articuler en 3 points. Tout le monde louant Partie de Chasse, je pense éviter les bons points pour me concentrer sur les mauvais afin d'apporter, avec mes maigres ressources, un regard différent sur cette œuvre.

Passons rapidement sur le dessin. En 1983, Enki Bilal est en phase de devenir la star que l'on connait tous aujourd'hui. Il a publié son premier tome de la trilogie Nikopol en 1980 et travaille déjà activement sur le second qui paraîtra en 86. Il prend à bras le corps une de ces thématiques préférée : le communisme. Avec un tel sujet Bilal ne pouvait que s'éclater. Et c'est le cas ! En terme de dessin, je met un beau et franc 10 ! C'est, à mon sens, au regard du moment dans la carrière de Bilal, sa plus belle œuvre ! On y voit un style visuel plus variés que dans ces travaux solos tout en retrouvant toute la maitrise des styles qui lui seront cher, avec ces couleurs favorites (les nuances de gris, blancs et bien sur, le rouge). On a également quelques thématiques visuelles importantes, les oiseaux bien sur, le rapport humain/animal également. Nous pouvons noter que pour une des rares fois dans sa carrière (la seule je crois), il utilise un aspect allégorique dans ses dessins. Il peut se permettre cela grâce aux flash-back des protagonistes. En revisualisant leurs souvenirs, ils peuvent les recréer avec un regard différent, et Bilal, pour cela, met un univers différent. Le dessin devient alors porteur de symbole en cela qu'il apparaît comme une restructuration d'un évènement avec la manière qu'a l'individu de le revivre. C'est donc un symbolisme au passé doublé d'un symbolisme passif, loin d'un symbolisme actif que l'auteur mettrait de lui-même en place pour montrer quelque chose au lecteur dans le déroulement même de l'oeuvre, non, là il y a une façon de le raconter via les protagonistes mêmes. Mes faibles mots ne décrivent que de manière superficielle le phénomène, mais le seul autre moment où on s'en rapproche chez Bilal (à ma connaissance) c'est quand Jill, dans La Femme Piège, est sous l'emprise de la drogue, et c'est effectivement beaucoup moins subtil.
La mise en page est bien évidemment simple, académique, mais les cadrages sont puissants, dynamiques et forts. Les couleurs, comme je disais sont magnifiques et les compositions de cases, magique. On a effectivement du grand, du très grand Bilal !

Mais une BD ce n'est pas que le dessin, c'est aussi le scénario, et pour cela, on a Pierre Christin au commande. Et là, je suis forcé d'être moins sympa. En effet, le monsieur nous raconte une partie de chasse avec plusieurs dirigeants communistes, se regroupant autour de Vassili Alexandrovitch Tchevtchenko, un grand gourou, qui a participé à la Révolution d'octobre. Mais derrière cette partie de chasse, où chacun se rappelle son passé, sa vie, et donc l'histoire de l'URSS, se cache deux choses : les relations entre pays frère d'un côté, et un assassinat politique de l'autre.
Je vous rassure, ceci n'est pas un spoiler. En effet, durant tout le récit, Christin nous laisse des indices de la taille de l'égo d'Alain Delon pour qu'on sache qu'il y a une manigance derrière, et les sous-entendus laissent clairement présager une issue tragique. Finalement ça gâche tout. En effet, si les indices avaient été des phrases à double-sens, on aurait pût avoir un twist final, mais là, ce n'est clairement pas le cas, et c'est très décevant.
Le soucis réel est que ça crée une construction de récit très lourde, plus d'une fois on se dit "ha oui, cette case ne sert qu'à donner un sous-entendu, et cette planche ne sert qu'à créer cette case ..." et voilà, je veux dire, c'est quand même asphyxiant de lire une page en se disant "ha, là ça devrait être discret". La narration souffre vraiment de cela. Elle devient finalement une suite de récit de vie, parsemé d'indice pour l'issue du récit.
Je pense qu'on peut faire ici une distinction entre scénario, personnages et narration. Les deux premiers sont très bien gérés et passionnants, mais le rythme narratif est parfois un peu lourd, les indices scénaristiques assez moyens aussi enfaite, comme je l'ai dit. Du coup, ce sont les biographies qui sauvent l'histoire malgré la lourdeur de l'histoire, suite à un grand nombre de personnage.
Pour autant, il faut quand même dire que ça reste relativement fluide vis à vis du nombre d'informations et que c'est très intéressant malgré une histoire cousue de fils blancs. Si je devais noter, je mettrais 7 au scénario.

Mais alors, si on fait le calcule, ça nous fait un 17, soit plus de 8/10 ! Alors, pourquoi la note baisse-t-elle encore ?
Et bien parce que j'ai l'édition post-90, et donc avec l'Epitaphe. Et là, là c'est nul, c'est triste. Je ne vais pas parler de la forme qui ressemble plus à une volonté de poésie-romancer en prose avec quelques illustrations de Bilal. Non, sur le fond c'est vraiment pauvre. Ca n'a aucun intérêt. Certes, ça ajoute une "suite", mais pourquoi ? Raconter pour raconter, certes, je peux comprendre, mais là ça n'a aucun intérêt. Ca ne renforce nullement le propos. Pire, ça l'affaiblit ! En refaisant une sorte de suite, on a l'impression de voir une mauvaise parodie (comme Saw 2 a pût inaugurer une saga de films sanglants là où le premier Saw jouait plus sur le suspense et la pression). C'est véritablement un goût de déjà vu et d'echec qu'on a avec cette suite. C'est à peine intéressant. Certes, tout n'est pas à jeter, mais je mettrais un 4/10 devant ce peu d'intérêt.
Voilà, vous l'avez votre 7/10
mavhoc
7
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le 17 mars 2014

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mavhoc

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