Ce tome est le dernier d'une histoire complète en 6 tomes ; il faut donc avoir commencé par le premier. Il comprend les épisodes 26 à 30, initialement parus en 2019, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés et encrés par Cliff Chiang et mis en couleurs par Matt Wilson.


Dans le jardin d'un pavillon à Stony Stream dans l'Ohio, Erin Tieng est agenouillée par terre, dans une belle robe blanche avec un nœud assorti dans les cheveux. Elle tient un Apple Pie dans son carton de restauration rapide, alors que l'arbre à côté lui hurle qu'il s'agit du corps du Christ. Missy Tieng, sa petite sœur, apparaît lui disant que dans le futur ces Apple Pie ne sont plus frits mais cuits. Erin lui demande comment elle connaît le futur : Missy lui indique que leur mère lui a interdit de lui en parler et s'apprête à lui tirer dessus avec un pistolet lançant un rayon. Tiffany Quilkin tire sur Missy : elle est habillée d'un beau costume blanc avec un chapeau assorti et un seul gant comme Michael Jackson. Elle indique à Erin qu'elle doit absolument faire du Moonwalk. Puis son visage fond. Erin Tieng reprend connaissance sur une pelouse devant un pavillon, entourée par trois enfants déguisés pour Halloween, accompagnés par leur père. Il lui explique qu'ils l'ont trouvé là alors qu'elle venait de s'évanouir. Le jeune garçon pointe son doigt vers le ciel en déclarant qu'il n'est pas normal. Erin se souvient de l'injonction : Moonwalk !


Le vaisseau de grand-père heurte une créature en forme de pyramide triangulaire avec des tentacules. La Priorisatrice l'informe qu'ils sont quelque part dans la quatrième dimension, dans l'Interstice, ce qui n'était pas leur plan de vol. Elle ajoute que la Pliure Principale a été fermée par un groupe de 4 jeunes filles : Erin Tieng, Mac Coyle, Karina KJ et Tiffany Quilkin. Grand-Père identifie les 4 jeunes filles dont ils ont perdu la trace en 1988. La Priorisatrice remarque que l'une d'elles est habillée différemment et Grand-Père reconnaît en elle l'une de leurs descendants. Soudain un phénomène lumineux dans la salle de contrôle annonce l'arrivée imminente d'un groupe de personnes non autorisées. Grand-Père se dirige vers un coffret fermé dont il sort un revolver à balles. KJ arrive en 1958 à Stony Stream, aux côtés d'un groupe de garçons qu'elle choque en jurant. Deux policiers arrivant pour savoir ce qui a provoqué un bruit étrange, Les garçons et KJ pénètrent dans le bâtiment attenant : les presses du quotidien Cleveland Preserver. Par association d'idées, KJ demande si le journal a commencé à publier le strip Freddy Potato. Le garçon indique qu'il s'agirait plutôt de Frankie Tomatah et indique que oui. Il tente quand même de dépouiller KJ de ses bottes ce qui ne lui apporte rien de bon. Sur la planète Terre, dans un futur très éloigné, Tiffany Quilkin reprend conscience et se retrouve face à un gros monstre dans un environnement désertique de terre rouge de poussiéreuse. Elle est sauvée par une femme âgée avec une canne et un pistolet à rayon, habillée d'une belle robe verte.


Le scénariste ayant fait monter le suspense en entrecroisant les fils narratifs chronologiques au travers de sauts dans le temps différents en fonction des personnages, l'attente du lecteur est très forte pour savoir comment tout ça s'agence. Il y a la question basique de savoir comment les 4 adolescentes vont se retrouver, où et surtout quand elles vont atterrir et qui en ressortira vivante. Il y a également cette guerre que se livrent 2 factions (une génération jeune contre une génération plus âgée) à travers le temps, chacune disposant de moyens différents pour s'y déplacer. Il y a le sort de plusieurs personnages secondaires comme Quanta Braunstein, Wari & Jahpo, sans oublier Chuck (Charlotte Spachefski). Effectivement, Brian K. Vaughan a bien conçu son intrique dès le départ : il a vraisemblablement réalisé un schéma sur la base d'une frise chronologique pour savoir qui est quand où, et à quel endroit chacun se croise. S'il s'y est fortement impliqué, le lecteur peut donc retracer mentalement ce schéma dans son esprit et aboutir à un déroulement clair de la ligne temporelle de chaque personnage. Bien sûr, pour que cet édifice soit cohérent, le scénariste développe sa conception du temps, ou tout du moins celle qui sous-tend ces voyages. Le lecteur est plus ou moins sensible à l'analogie avec une cassette audio, mais il n'a pas besoin de consentir à suspendre plus de crédulité pour accepter l'inéluctabilité des événements du premier novembre 1988 survenus dans au début du premier tome.


Le lecteur constate avec plaisir que le temps écoulé entre le tome 5 et le tome 6 a permis de donner assez de temps au dessinateur pour qu'il réalise ces derniers épisodes dans des conditions satisfaisantes, et qu'il ne se fasse pas remplacer, comme cela arrive régulièrement dans les comics américains. Il est visible que Brian K. Vaughan a conçu de nombreuses scènes avec le résultat visuel en tête. De fait, Cliff Chiang donne à voir des situations surprenantes : la scène d'ouverture qui est un cauchemar avec Erin dans sa belle robe et Tiffany en train de danser comme Michael Jackson dans Smooth Criminal, le monstre qui apparaît devant Mac sur la terre rouge dans le futur, le caniche brodé sur la jupe de Charlotte Spachefski (inoubliable), Erin transformée en une giclée en spirale (également inoubliable), KJ en robe rose, Tiffany en Terminator, etc. Les auteurs se sont fait plaisir à créer des visuels inattendus, spectaculaires et entièrement raccord avec le récit. En outre, ils ont travaillé en étroite collaboration pour raconter l'épisode 28 sous la forme de quatre bandes parallèles par page, chacune consacrée à un personnage différent : celle du haut à Tiffany avec les rebelles, celle en dessous à Mac sur cette Terre en fin de vie, la troisième à KJ avec Jude à Stony Stream, et celle du bas à Erin avec Grand-Père.


Matt Wilson continue de donner une apparence unique aux pages, grâce à une palette de couleur soigneusement étudiées, un peu ternes et foncées pour les scènes nocturnes, plus claires et pastel pour les scènes de jour, avec quelques éléments choisis en couleurs vives. Le lecteur peut y ressentir une forme de douceur et de simplicité du fait qu'il privilégie des aplats de couleurs simples, tout en remarquant qu'il fait un savant usage limité des dégradés. Il faut un peu de temps au lecteur pour bien prendre la mesure de la qualité de la narration visuelle. En effet tout semble évident et fluide. Pourtant, Cliff Chiang donne à voir des choses de nature très variées et le lecteur se projette avec la même conviction dans une salle des machines d'un journal en 1958, dans un pavillon d'une banlieue résidentielle, au milieu de la grande rue d'un minuscule village le deux août 1831, ou encore dans un vaisseau temporel attaqué par une créature en forme de pyramide. Tout du long, l'artiste sait conserver l'allure des adolescentes, sans en faire des adultes en plus petit, et faire apparaître les différences d'âge entre les adultes installés dans la vie (quadragénaires et plus) et les adultes encore en phase de recherche. Les traits de visage sont un peu simplifiés, et donc plus expressifs, et le jeu des actrices (des acteurs aussi) reste dans un registre naturaliste en dehors des phases d'action.


Arrivé au dernier tome, le lecteur retrouve avec grand plaisir ces quatre adolescentes qu'il a déjà côtoyées depuis de nombreuses pages. Le récit est avant tout porté par l'intrigue, Brian K. Vaughan ayant investi des efforts conséquents pour construire une histoire de voyage temporel, à la fois originale et reposant sur une solide logique interne pour gérer les paradoxes associés. Il ne s'agit pas uniquement d'une mécanique bien huilée car les jeunes filles réagissent aux situations en fonction de leur personnalité propre, et de ce qu'elles ont appris sur elle-même au fil de ces péripéties. Brian K. Vaughan parle d'orientation sexuelle et de maladie, mais aussi d'espérances et de confrontation avec la réalité. Plusieurs d'entre elles se sont retrouvées face à elle-même plus âgée. Loin d'un discours simpliste et défaitiste sur la perte des illusions, le scénariste évoque plutôt l'inéluctabilité du temps qui passe, thème nourri par ces voyages dans le temps. Dans le même ordre d'idée, le conflit opposant les anciens aux jeunes débouche sur une résolution inattendue dans sa nature, et encore plus dans sa forme. Le scénariste donne une explication aux rêves étranges faits par une héroïne ou une autre, et il sait également conserver une part de mystère avec cette étrange silhouette comme dessinée sur le flanc d'une montagne.


Les auteurs ont pris leur temps pour peaufiner la fin de leur récit, et ça se voit. Cliff Chiang a disposé du temps nécessaire pour réaliser des planches abouties, sans bâclage, ce qui se ressent à la lecture, à la fois par l'inventivité des visuels, à la fois dans la justesse de la sensibilité de la narration visuelle. Brian K. Vaughan a lui aussi consacré du temps pour assurer la rigueur des voyages dans le temps, à la fois leur principe, à la fois leur entrecroisement. Il continue de titiller la nostalgie avec quelques références culturelles bien choisies dans la fin des années 1980. Il n'oublie pas ses personnages et montre la cruauté du temps qui passe inexorablement. Les auteurs consacrent le dernier épisode à un épilogue, très touchant et dénué de sensiblerie ou de mièvrerie. Au départ cette histoire semblait avoir été conçue de toutes pièces pour un cœur de cible : tous les ingrédients pour attirer et séduire le segment féminin des adolescentes. Au final, le lecteur de tout horizon a pu apprécier une bonne histoire de voyage dans le temps, a pu éprouver de l'empathie pour les 4 héroïnes, a pu soit se replonger dans les propres bouleversements de son adolescence, soit se retrouver dans les questionnements et les émotions de personnes de son âge.

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le 10 avr. 2021

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