Opus
7.7
Opus

Manga de Satoshi Kon (1995)

Satoshi KON est connu pour être un génie dans l’animation avec des films tel que Perfect Blue, Paprika ou encore Millenium Actress. En plus d’être réalisateur il a été aussi mangaka, est-il aussi doué dans ce domaine?


Opus nous plongent directement dans un sous-univers de l’oeuvre. Les premières pages sont celles d’un chapitre de manga pré-publié sous le nom de Résonance. Cette histoire touche bientôt à sa fin et son auteur discute avec son éditeur des derniers éléments pour la conclure. Cette mise en abyme immédiate nous laisse entrevoir que la trame principale va se dérouler sur deux univers en parallèle.


Satoshi KON ne perd pas de temps en introduction, une fois les éléments principaux du sous-manga Résonance en place, on découvre la triste vie du mangaka d’Opus qui doit boucler son oeuvre au plus vite. Rin, un des héros de Résonance, volera une page afin de changer son destin funeste que le mangaka lui avait réservé. Pour récupérer son travail, ce dernier tombera littéralement dans son oeuvre à travers une page blanche. À partir d’ici tout commence, les deux oeuvres s’emmêlent et s’entrecroisent.


C’est le début pour l’auteur de réaliser ce qu’il adore, perdre le lecteur dans les différentes réalités. Il est donc nécessaire de suivre les deux univers en même temps et d’en comprendre les règles. Certaines actions réalisées par le mangaka sont possibles dans le monde imaginé de Résonance, mais pas dans la « réalité » d’Opus. Les personnages interagissent d’un univers à l’autre avec les conséquences qui en découlent, la « réalité » de l’histoire principale et la « fiction » du sous-manga fusionnent.


Cette fusion ne se passe pas qu’un niveau scénario mais aussi au niveau de la mise en case et du dessin. Satoshi KON réalise des passages où la réalité est distordue et les souvenirs s’envolent sur des feuilles de papier. Il entrecroise les éléments graphiques pour noyer le lecteur sous un flow visuel hallucinant et déroutant. Il n’y a plus de frontière entre les deux mondes. Ces éléments multiverse se retrouvent dans ses oeuvres postérieures telles que Perfect Blue ou Paprika, Opus ayant été dessiné entre 1995 et 1996


Le mangaka expérimente et pousse son média toujours plus loin en jouant sur les pages, les cases, les décors ou en dessinant l’extérieur de la page, tel que peut le faire de nos jours Shintaro KAGO. Il tord la réalité et la fiction devant une représentation graphique à la fois simple et complexe. Les décors se détruisent, se déforment, se créer ou disparaissent. Ils sont modulables, réels et fictionnels en même temps. Les deux mondes se déchirent et laissent des failles, créant ainsi des paradoxes. Cette déformation, parfois métaphorique, laissera le lecteur en plein délire visuel.


La place du mangaka est un autre sujet du titre. Celui d’Opus est sous la pression de son lectorat, de son éditeur et des délais de réalisation. Il ne maitrise pas réellement son oeuvre dont il est le créateur. Quand un de ses personnages décide de changer son destin c’est toute la fin de l’œuvre qu’il change. Il se retrouve totalement impuissant face à la situation, à tel point qu’il ne maitrise plus la suite de son histoire.


Belle retranscription de la vie des mangakas qui sont soumis à un public dictant leurs lois et de se retrouver dans l’obligation de continuer son oeuvre jusqu’à épuisement. Au final leurs oeuvres sont elles pour eux un moyen se réfugier dans un univers connu, un exutoire libérateur de leurs pressions et de leurs frustrations ?


Les personnages prennent conscience que leur monde est fictif, leurs réactions sont humaines, refusant le destin que leur créateur leur a imposé, ils se rebellent ou essayent de le contrôler. Si notre monde était de même comment réagirons-nous? L’œuvre essaye indirectement de nous pousser à se questionner sur notre propre existence.


Pourtant l’oeuvre ne se veut pas complexe à lire. La narration est fluide, l’auteur alterne phase d’action, d’explication et d’accalmie. L’histoire et les univers s’étoffent au fur et à mesure que le scénario avance. Le rythme est soutenu sans être trop rapide. Opus est une véritable expérience narrative et visuelle que l’auteur maitrise à la perfection.


Opus avait tout pour être une référence dans le domaine, pourtant l’auteur a dû arrêter son récit au bout de deux volumes. Le magazine Comic Guard s’arrête brutalement et l’auteur ne finira jamais son histoire. La série devra attendre 2011 pour être dans une version reliée avec un chapitre crayonné complémentaire mettant en scène Satoshi KON en plein travail et expliquant les raisons de la fin du manga, rajoutant une touche d’inception supplémentaire.


Cette fin bien qu’insatisfaisante offre une conclusion rapide à l’oeuvre. Le plein potentiel de l’auteur sera à découvrir dans ses films d’animation cités plus haut. Toutefois le voyage d’Opus reste à découvrir et redécouvrir. Un vrai mangaka dessine une histoire fictive d’un mangaka fictif qui dessine lui-même une histoire fictive ce n’est pas tous les jours que cela arrive.


Côté dessin, l’auteur offre une ambiance adulte, détaillés et réaliste. Opus se veut ancré dans notre réalité, Résonance dans un futur proche. Les cases fourmillent de détails, les immeubles et l’architecture des villes recèlent d’innommables éléments. Fan du travail d’OTOMO, l’auteur se rapproche de son style dans la représentation de la ville. Les personnages sont tous parfaitement reconnaissable et certains visages ont parfois des expressions rigides, mais rien de gênant.


Ce sont les Éditions IMHO qui ont édités ce titre dans un grand format (env. 15x21 cm). Abordant deux superbes couvertures aux couleurs inversées, les mangas se remarquent vite dans une bibliothèque. Pas de couverture amovible, quelques pages couleurs, des croquis et une biographie rapide de l’auteur. La couverture est assez fine mais le papier n’est pas transparent. L’édition se veut simple mais efficace.


Bien avant ses films phares, Satoshi KON démontre sa puissance et son talent au travers d’une double histoire qui sera dérouter narrativement et visuellement le lecteur. Un concept peu reprit mais terriblement efficace, à découvrir pour ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus.

darkjuju
9
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le 4 déc. 2020

Critique lue 235 fois

darkjuju

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