À ceux que le Saturne de Goya gêne : ne lisez pas cet album. Loisel n’est pas Goya, hein, mais il y a une case d’Opikanoba qui vous traumatiserait. (Le personnage de Peter Pan est créé en 1902, les Trois essais sur la théorie sexuelle de Freud paraissent en 1905. « J’ dis ça, j’ dis rien… »)
Dans l’épisode précédent, on fuyait Londres, dont le scénario brossait un tableau fort noir entre deux histoires racontées par Peter, et on découvrait quelques personnages importants du pays imaginaire. Celui-ci ne sort pas de l’île, et développe le portrait du capitaine pas encore métonymique, cet autre personnage clé du mythe, tout en étoffant la personnalité de Peter, à la fois fanfaron, névrosé, niais, pur, innocent, psychotique, stupide et couard. Il est toujours bon qu’un personnage de fiction gagne de l’épaisseur, pas seulement pour le plaisir du changement, mais aussi pour la richesse du récit. Ça n’est pas plus mal quand cela se fait de façon aussi marquante et cohérente à la fois.
On retrouve Peter en Ulysse (le bateau, les Sirènes) enfantin (la scène finale) ; l’intrigue prend son rythme de croisière ; les deux camps, pirates contre insulaires, se forment, avec notamment une très belle planche qui illustre leur conception totalement différente du temps – qui est le thème majeur du mythe de Peter Pan.
J’ignore quelle est la part d’emprunt et la part d’originalité dans la création de cet Opikanoba, territoire brumeux et symbolique où chacun, s’il se laisse gagner par la moindre émotion, voit – et entend, et sent profondément – se réaliser ses craintes les plus viscérales : l’enfer serait la matérialisation individuelle des pires cauchemars de chaque homme. (Je me demande s’il n’y a pas une idée proche dans Swedenborg.) En tout cas l’idée est riche, et finit de mettre en place la part d’ombre de la série : ce Peter Pan ne sera décidément pas gentil.
Dans ce volume-ci, c’est aussi le dessin qui est comme densifié. Dans un sens, il en paraît plus adulte, ce qui vient peut-être aussi d’une proportion de dialogues qui m’a semblé plus réduite. (Vérification faite, ce tome n’est pas vraiment moins bavard que le précédent. Disons que les dialogues y semblent plus naturels, moins chargés ; ils viennent à bon escient.) On gagne en sous-entendus ce qu’on perd en aventures explicites.

Alcofribas
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le 5 mars 2019

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