MW
7.4
MW

Manga de Osamu Tezuka (1976)

À la fin des années 70, TEZUKA a déjà réalisé une bonne partie des oeuvres majeures qui ont fait sa renommée. « MW » continue dans cette lignée.

Le mangaka est souvent associé à un univers enfantin, de par son trait rond et son humour léger, lors de la première moitié de sa carrière. « MW » est son opposé. Réalisé entre 1976 et 1978, le titre ne comporte aucune trace d'humour, l'ambiance se veut adulte, sérieuse et cruelle. Ce choix se confirme par les deux antagonistes principaux du récit. Leurs dualités seront mises à l’honneur confrontant ainsi, leurs psychologies qui sont complexes et torturées.

Commençons par Yuki, sociopathe sans état d’âme, il peut tuer sans aucun sentiment. C'est un fou dangereux qui d'apparence à tout de l'être humain normal. Il travaille, séduit les femmes et cherche à évoluer naturellement dans son monde. Très intelligent, il semble conscient de son état et l’assume pleinement. Il est manipulateur et n'hésite pas à user de ses talents si le besoin s'en ressent. Filiforme avec des traits efféminés, il peut facilement se travestir pour tromper ses proies. Ce comportement cruel est dû à la conséquence des effets d'un gaz mortel nommé le MW qui le changera indéfiniment.

De l'autre côté nous avons Garai, devenu prêtre pour sauver son âme. Il se sent concerné du sort de Yuki et cherche à le sauver de son triste destin. Il était présent lorsque le gaz a fait ravage, mais n'a jamais eu de séquelles. Le secret qu’il porte est son homosexualité refoulé et l’attirance charnelle qu’il a pour Yuki. Ce dernier jouera de la situation pour le manipuler et le mettre dans des situations délicates, afin de ne pas être livré aux autorités.

Comme à son habitude le mangaka pose immédiatement les bases de son scénario, il commence fort en introduisant l’histoire avec une scène d’action. En tant que lecteur, nous sommes immédiatement happés par l’histoire, sachant que TEZUKA est loin d'avoir tout révélé : Yuki semble tramer un plan démoniaque.

« MW » est un manga particulier, via le choix atypique de la religion de Garai et son orientation sexuelle. Le christianisme a toujours été minoritaire dans l'archipel, sans parler des antécédents historiques qui ont vu cette croyance bannie. L’homosexualité, quant à elle, est interdite par la chrétienté et très fortement réprimandée par des discours homophobes du Parti gauchiste de cette époque. Ici l'auteur brise deux tabous en réalisant une œuvre basée sur ces éléments. Même de nos de jours c'est osé, imaginez dans les années 70.

Fidèle à lui-même, TEZUKA en profitera pour glisser subtilement, lors de conversations, quelques points fondamentaux de la religion chrétienne (foi, prière, refus de la tentation, vœux de célibat…). Il utilisera plusieurs images bibliques pour illustrer le péché interdit en reprenant la géhenne ou médusa, tout en nous gratifiant de scènes imagées pour nous faire comprendre l’acte sexuel prohibé.

Les armes chimiques, qui ont transformé Yuki, seront un sujet de dénonciation de l’auteur. TEZUKA est profondément humaniste et pour lui toute vie est précieuse. En plus d'être inhumaine, ces armes modernes peuvent détruire tout être vivant sans aucune distinction. Cette époque se voit noircie par les guerres du Vietnam et du Laos. En dénonçant les capacités meurtrières de ces armes, le mangaka fait passer un message pacifiste en questionnant l'homme et son rapport à cette violence froide, cette folie destructrice que l'humain escalade d'année en année sans fin.

Il critique aussi la présence militaire américaine dans des bases dédiées et occultes, même pour l’État Japonais, ainsi que leur rôle essentiel dans la guerre et par extension l'utilisation de la bombe atomique. La folie et la froideur de Yuki ne sont que des dommages collatéraux de ces armes. Au final Yuki n'est qu'un « innocent » que la course à la guerre a transformé en monstre.

L’auteur dénonce aussi les abus de son propre pays en parlant du système bancaire sans état d’âme, de la corruption des hommes politiques ou encore du rôle important des médias pour réveiller la population amorphe face à tous ses abus.

Dans ce manga, TEZUKA est en grande forme et nous offre un récit haletant, montant en intensité, couplé à un contenu extrêmement généreux. L'histoire jongle entre plusieurs genres passant de l'action, au policier, au thriller, ou encore à l’espionnage (Garai étant fortement inspiré de Duke Togo de Golgo 13). Ces changements d’ambiance sont naturels et dynamisent le récit.

La folie de Yuki n’a pas de limite et les cas de conscience se multiplieront pour les protagonistes et le lecteur. Le mangaka ne semble pas avoir de limite éditoriale et réussi à développer ses personnages sans restriction et cela se ressent. Certains passages peuvent être assez durs psychologiquement comme la mort d'un enfant sous la torture ou des scènes d’agressions sur des femmes. Une question reste à l’esprit, jusqu’où cette folie ira ?

Côté graphisme, nous retrouvons un trait adulte, loin du trait rond de ses premières oeuvres. C'est un dessin mûr et affirmé qui cassera l'image enfantine du maître. Le trait est naturellement vintage, le manga baigne dans une ambiance très années 70, mais reste accessible pour les réfractaires de ce genre. Les personnages sont dans des proportions réalistes, tout comme le rendu des décors.
Comme à son habitude l'auteur jouera sur l’agencement des cases et la mise en page, mais l'œuvre étant assez tardive dans sa carrière, l'expérimentation reste sage. L’auteur utilise peu de facilités scénaristiques, mais on peut noter l’aisance de travestissement de Yuki qui peut usurper l'identité de plusieurs personnes.

Ce sont les Éditions Tonkam qui ont publié cette œuvre en trois volumes, dans un format classique (env. 12x17cm) avec une jaquette amovible. L'édition est plutôt bonne pour son époque mais le papier à une tendance à jaunir avec le temps. La couverture bénéficie d'une couche de vernis. Toutefois l'œuvre est éditée dans le sens français et la reliure gêne la lecture de nombreuses cases. L'édition se contente du plus simple sans offrir de bonus substantiel.

TEZUKA nous délivre ici une œuvre mature et aboutie. Il n'hésite pas à utiliser des thèmes encore tabous de nos jours et il en profite pour dénoncer les travers de la guerre et ses conséquences. Un excellent manga que l'on ne peut que recommander fortement.

darkjuju
9
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le 28 juil. 2022

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darkjuju

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