"Choose the sword ...

... and you will join me
Choose the ball, and you join your mother... in death
You don't understand my words, but you must choose
So... come boy, choose life or death"

Si nous rembobinons ce sample extrait du subtil "Baby Cart" de Kenji Misumi, cité dans un titre mémorable du Wu Tang Clan, nous remontons le cour du son vers son affluant cinématographique, puis touchons à sa source, une bande dessinée monumentale de 28 tomes qui est maintenant l'un des murs porteurs de ma maison.
Le long récit de Koike et Kojima a exercé une influence marquante sur les auteurs de diverses disciplines, parmi lesquels comptent encore Frank Miller, Quentin Tarantino et Shintaro Katsu à qui l'on doit, entre autres, les excellents Zatoichi originels.
Il y en a beaucoup, beaucoup d'autres.

Avec les accents du mythe et du conte moral, Lone Wolf & Cub est l'histoire d'une vengeance érigée en doctrine philosophique, car son héros, le minéral et laconique Ogami Itto, est une parfaite incarnation du bushido des grandes épopées: La maîtrise - infaillible - de l'esprit sur le corps, l'honneur et le serment en dépit de la mort, la mort comme moyen voulu par un certain stoïcisme zen face à l'impermanence du monde, autant de traits caractéristiques de ce personnage tout-à-fait indestructible.

Le long développement de cette quête dessine aussi, en creux, un portrait encyclopédique de la société japonaise à l'ère des Tokugawas, et on y apprendra d'innombrables choses sur l'outillage, l'artisanat, la culture, la politique, le sexe, la guerre, le bouddhisme zen, etc… Digressions soigneusement intégrées aux péripéties, qui en sont même autant d'arguments, et qui tissent la trame de cette histoire de 8000 et quelques pages, entretenant l'intérêt du lecteur volume après volume.

Bien sûr, on est pas obligé de tout lire, et bien sûr, la vraie trouvaille de Koike est Daigoro, le fils sacrificiel d'Ogami.
Embarqué avec son père sur la voie de la vengeance, trimballé dans un chariot équipés de gadgets létaux, le petit garçon va rapidement développer la même droiture martiale que son géniteur intransigeant, et devenir un atout stratégique déterminant plutôt qu'un handicap - dans la plus pure tradition des héros aveugles ou manchots du cinéma d'arts martiaux Hong-Kongais. Pourtant, cela se fera au prix d'innombrables massacres auxquels assiste stoïquement l'enfant graduellement impassible. On sent bien, sous le trait de Kojima, l'abîme que cela jette sur le regard du garçon, auquel de nombreuses cases silencieuses sont consacrées. Peu à peu, l'enfant se mue en monstre aux yeux des vivants: Trop de choses terribles assombrissent ses rétines devant lesquelles trop peu d'années ont passé.

Lone Wolf & Cub est un récit épique, viril et violent. Mais la violence y est toujours brève et paroxysmique. Pour l'essentiel, la narration s'appuie sur des descriptions, des atmosphères, des paysages silencieux ou des trames parallèles parfois triviales pour ménager le caractère exceptionnel et terrible du héros lorsque, poussé dans les retranchements de son code, il intervient. Chaque épisode de la série inscrit également les obsessions de son héros dans des problématiques historiques et philosophiques cruciales pour la culture japonaise: Les luttes féodales, les formes de la corruption, le carcan des femmes, l'influence ancienne de la Chine puis celle de l'occident, les préceptes de l'Agakure et les méditations du bouddhisme zen, le déclin des époques et de leurs doctrines, animé par le sectarisme des traditionalistes comme des progressistes. Dans ce décorum en mutation, le loup solitaire ne varie pas, s'obstine sur la voie du Meifumado, l'enfer choisi, l'éveil sacerdotale scarifié sur l'autel de l'honneur - Et s'il dévie parfois de son objectif supérieur, c'est toujours pour rétablir un équilibre ou solder un contentieux, imposant aux passions humaines l'exemple de sa discipline et de sa volonté chevillée par le Bodhisattva, quitte à trancher les corps de ceux qui font leur chemin de l'infamie; et ils sont nombreux.