Critique publiée sur Kultur & Konfitur.


Avec comme point de départ une vision à travers l'oeil de l'animal, Brian K. Vaughan fait preuve d'une réelle originalité, d'un choix qu'on a finalement peu vu dans la BD, alors que les fables partant de cette approche sont légion. Le label "tiré d'une histoire vraie" fait toujours un peu peur, surtout quand ça joue sur le sentimentalisme du lecteur ou, encore plus, du spectateur, dans un pathos larmoyant et finalement très désagréable. Ici, rien de tout ça, effectivement, la seule réalité, c'est que quatre lions, en 2003 et suite à un bombardement, se sont enfuis d'un zoo puis ont été éliminés.


De ce fait, Vaughan, accompagné par l'illustrateur Niko Henrichon (qui a illustré les plus récentes BD de Noé, il reste dans le monde animalier), développe un propos plus convenu, sur la vision du conflit par ces lions, survivants d'un espace détruit, marchant sans but dans un zoo d'une autre espèce, et rencontrant d'autres rescapés, dans des relations plus ou moins cordiales. Jusqu'à ce qu'il rencontre la cause de cette fin du monde, l'animal prédateur entre tous, l'Homme. Au départ désireux de sortir de cet espace cloisonné, Noor se rend vite compte que la liberté a ses difficultés contre laquelle la prévenait Safa, voix de la sagesse, habituée à ce confort. Le zoo détruit, la loi de la jungle reprend ses droits (avec quelques exceptions des alliances passées), dans une savane bien inhabituelle mais tellement plus dangereuse que leur environnement naturelle. Ali, lui, vit un récit d'initiation, confronté au "vrai monde" pour la première fois, quand les plus anciens en ont une vision plus sombre et Noor plus nostalgique. Il apprend, pour la première fois, à devenir lion et à sortir du besoin de l'Homme. Les autres, eux, nuancent leur position quand ils retrouvent prise à la réalité.



Bagdad cassé



L'Homme, dans un conflit que ne peuvent comprendre les animaux. Eux chassent, se battent principalement pour leur survie (manger, ne pas être tué), et les voilà face à un animal dont ils ne comprennent pas le but. Cette absurdité de la guerre pour des raisons que l'Homme lui-même peine à comprendre, Vaughan l'exploite de manière peut-être trop simple, trop attendue. Reste un beau travail d'illustration, clair et précis, qui joue bien sur les couleurs, bien plus variées et vives avant le bombardement, plus uniformes après, et qui trouve son apothéose dans quelques magnifiques planches : errance post-apocalyptique dans la ville-fantôme, découverte du lion ailé, mort décomposée de Safa, et bien sûr le merveilleux coucher de soleil, preuve que la beauté a aussi atteint cet espace humain. "Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille."


Brian K. Vaughan n’atteint pas l’excellence de son plus récent Saga mais propose déjà un univers politisé et riche, malgré une situation initiale qui ne le promet pas. Sans atteindre des sommets de profondeur et en restant sans doute trop dans le convenu, Les Seigneurs de Bagdad ne parviendront peut-être pas à faire évoluer les consciences sur l’absurdité de l’Humain. C’est presque plus le travail de l’illustrateur qui apporte cette subtilité dans le propos qui manque, quelque part, à Vaughan.

Créée

le 5 août 2014

Critique lue 295 fois

1 j'aime

Flavien M

Écrit par

Critique lue 295 fois

1

D'autres avis sur Les Seigneurs de Bagdad

Les Seigneurs de Bagdad
JeanSeb
9

Critique de Les Seigneurs de Bagdad par JeanSeb

Merveilleuse histoire que cette allégorie qui suit quatre lions quittant le zoo de Baghdad après le bombardement de la ville; réflexion sur la liberté et l'enfermement, sur l'horreur de la guerre,...

le 21 juil. 2010

7 j'aime

Les Seigneurs de Bagdad
666Raziel
7

L'avis de 666Raziel

Si, comme moi, vous aimez les animaux, les sublimes dessins de Niko Henrichon ne devraient pas vous faire beaucoup hésiter avant d'acheter Les Seigneurs de Bagdad. Ne nous voilons pas la face, la...

le 27 mars 2014

5 j'aime

Les Seigneurs de Bagdad
Cosmoclems
7

Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir...

Inspirée d'un fait réel, l'histoire que Brian K.Vaughan, le scénariste, relate le cheminement d'un groupe de lions échappés du zoo de Baghdad, bombardé au printemps 2003, par erreur, par l'armée...

le 2 déc. 2010

4 j'aime

Du même critique

Forever Changes
Flavinours
9

1967, l'année qui tue

Y'a des années comme ça. On sait pas trop pourquoi mais elles accumulent les bons albums ou ceux qui marquent l'histoire de la musique, alors que d'autres sont nettement moins prolifiques. En 1967,...

le 11 août 2012

20 j'aime

1

Blackfish
Flavinours
8

Le Maillon Faible.

Critique publiée sur Kultur & Konfitur. Tombé dessus par hasard entre deux matchs de la coupe du monde 2014, ça a sévèrement entamé mon moral pour regarder le deuxième match. On s'attend à un...

le 29 juin 2014

16 j'aime

Reigns
Flavinours
7

Reigning Blood

Critique publiée sur Kultur & Konfitur. Me voilà roi. Premier de ma lignée, le peuple attend beaucoup de moi, déçu par la tyrannique dynastie m’ayant précédé. Leurs demandes sont parfois...

le 17 sept. 2016

13 j'aime