Bon, ça racole dur, côté sexe et perversions diverses. Manara confère une élégance idéale à cette orgie de débauches et de crimes attachée au nom des Borgia, et dont on ne trouve ici aucune tentative d’édulcoration, fort au contraire. Dès le début, six planches de partouze masquée dans les immenses salles du Vatican, avec des costumes merveilleux, et une foule de petits culs et de sexes féminins, que Manara saurait rendre attrayants même dans la boue.

L’addiction animale des personnages au sexe gagne un cran, avec l’appel à des aphrodisiaques (planche 2 : ylang-ylang, romarin, sarriette et corne de rhinocéros. La corne de rhinocéros, je sais pas trop si ça marche, malgré sa réputation, mais le romarin ne peut pas faire de mal, hein ? Vous me direz après avoir essayé. Moi, les dessins de Manara suffise à me tenir en de bonnes dispositions). Planche 12 également (l’effet a l’air rapide...).

L’addiction au sexe met en concurrence les différents membres de la famille Borgia, au point que cela tourne à la foire à l’inceste (planche 6). C’est cette addiction que combat Savonarole à Florence, avec la vindicte virile qui lui confère sa réputation apocalyptique. Il parvient même (planche 17) à convaincre Botticelli de brûler une de ses œuvres un peu dénudées. Plutôt mignon, Botticelli, d’ailleurs, alors qu’au compteur de l’implacable chronologie, c’est un quinquagénaire qui devrait comparaître devant Savonarole. Manara compte nous exciter autant avec les artistes qu’avec leurs œuvres... La petite Lucrèce (14 ans au compteur si on en croit l’histoire officielle) est déjà enceinte (planche 24), et pas de n’importe qui. L’histoire nous dit qu’elle mourra, en fait, d’avoir trop accouché...

Bien sûr, pour rendre les personnages encore plus odieux, on en rajoute dans le sacrilège : le Pape lui-même balaie rageusement les objets sacrés sur un autel pour y étendre... disons, sa partenaire (planche 4). Le même Pape viole un couvent de bonnes sœurs, et en profite pour en mutiler une (qu’est-ce que Jodorowsky ferait sans placer des membres coupés un peu partout ?). Et le traitement infligé à Orzo Orsini, mari légitime du Julia Farnèse, que le Pape veut garder pour lui, est assez horrible, mais n’a pas laissé de trace dans l’histoire réelle, où il se limite à jouer le rôle de cocu consentant et officialisé. On voit par quels procédés Jodorowsky rend sensationnelles les manigances sexuelles d’Alexandre VI.

Tu en as marre du sexe ? Qu’à cela ne tienne, voilà de la scatologie, du merdeux, du pourri dans la Basilique Saint-Pierre (planches 18 à 22) qui pousse tout ce beau monde à aller prendre l’air loin de Rome. Et Lucrèce Borgia pisse bien droit devant nous planche 26.

Au cas où tu serais friand de noirceurs variées, va donc planches 25 à 28 assister à une préparation vénéneuse par une sorcière bien fripée, qui ne nous cache rien du détail de sa recette, pittoresque comme une page du « Petit Albert ».

La fin de l’opus est contrainte de nous embarquer dans des considérations politiques et militaires : Charles VIII, roi de France, se lance dans une expédition en Italie, qui va le mener dans la Rome des Borgia, et prendre en otage le beau César Borgia. Les manœuvres d’Alexandre VI pour écarter le péril sont assez savoureuses, mâtinées de nouvelles orgies, du recours à une armée de prostituées, et de nouveaux crimes (planches 31 à 36), par exemple quand il faut convaincre un astrologue de suggérer à Charles VIII que les astres lui sont défavorables. Lequel astrologue a l’air de connaître l’astrologie, comme moi le top 50 : affirmer que « Saturne en Mars exige l’expulsion de Della Rovere » (planche 35, première vignette) le ridiculise sans appel : cette expression ne veut strictement rien dire en astrologie.

Si le peu de goût de Manara pour les décors intérieurs le pousse à diluer les fresques vaticanes sous d’indistincts lavis assez brouillons, on lui sait gré de sa restitution des vêtements, parures et instruments de musique ; dès la première vignette, on entend la musique de cette fin du XVe siècle, avec hautbois, crécelle, luth, viole, archiluth, orgue portatif. Superbe paysage de ruines planche 7 ; Palazzo Vecchio de Florence soigné planche 16 ; Basilique Saint-Pierre planche 18. Merveilleux vaisseaux dans le port de Marseille planche 36. Pavillons militaires (planche 45) et bouches à feu avec cuirasses du XVe siècle (planche 44).

Alexandre VI vieillissant est bien rendu : le bas du visage commence à pendouiller (planches 6, 12, 29), et ses orgasmes semblent l’épuiser bien plus qu’avant (planche 13). Il a 63 ans au moment de l’action. Ses relations avec ses enfants sont orageuses (planche 24) : ils ne veulent pas des places ou des unions que sa stratégie leur suggère.

On ne peut s’étonner du mélange explosif de sexe et de cruauté que donne l’association Manara-Jodorowsky. Ceux qui trouvent les dessins trop complaisants sur les affaires de sang et de bas-ventre seraient bien inspirés de relire « Oui-oui et ses amis » à la place. Quant au rapport de l’intrigue avec l’histoire, officielle, il est plus que distendu. Ca fait vendre.
khorsabad
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le 1 mai 2013

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