Hergé, le gars qui finit sa carrière avec ses meilleurs album démontant ainsi la théorie de Trondhei

Après le terrible Coke en stock et le moyen Tintin au Tibet, Hergé nous revient en forme et tente de changer sa narration.

En fait, il s'agit certainement de son récit le plus mûr, où le rythme ne faiblit jamais et où l'intrigue reste crédible du début à la fin. Le terrain est parfaitement aménagé pour le lecteur se plonger dans cette aventure palpitante et pleine d'humour.

Hergé choisit de rester simple dans cette 'aventure'. Pas de visite à l'étranger, Moulinsart sera le lieu du drame. Le drame? Oui. Mais un drame qui tarde à arriver. Un peu à l'instar d'un Objectif Lune, l'auteur arrive à nous rappeler habilement que le danger rôde, mais qu'il surgira dont on ne sait où ni quand. Car le vol n'a finalement lieu que dans les 20 dernières pages. Avant cela, le lecteur est trimballé de fausse piste en fausse piste, l'artiste jouant justement avec les codes de Tintin qu'il avait mis en place jusque là (un danger à chaque page).

L'humour est également mieux construit. Il ne s'agit plus de gags racontés sur 3 cases, mais bien d'une construction qui s'étale sur tout l'album, rendant ainsi le gag hilarant, car on peut le comprendre, l'anticiper, et surtout le relier à un évènement passé; un bon gag tout comme un bon scénario doit permettre au lecteur de revenir sur des évènements passés. Un peu comme les private joke, Hergé nous invite ici à partager son histoire et son humour. Jamais Hergé n'aura été aussi fin, aussi drôle, aussi subtil. En exemple je donnerai les scènes de téléphone, les dupondt qui tombent non pas en arrivant mais en partant, après avoir été longuement averti du danger des fils; les sentiments ambigus de la castafiore envers Haddock depuis ses débuts dans la série, etc etc...la liste est longue.

Quant à l'enquête, contrairement à ce que je lis partout, je trouve qu'il s'agit d'une histoire qui met réellement Tintin en valeur. Pour une fois il n'en fait pas trop, il ne s'agit pas de vouloir sauver le monde. C'est tout naturellement que notre reporter semble agir. Et c'est dans la justesse qu'il trouve sa pleine signification. C'est peut être parcequ'il évite d'interagir avec les autres aussi qu'il nous semble moins typé. Il se promène seul ou bien mène l'enquête seul, ainsi le lecteur ne peut établir de comparaison entre un comportement à la Tintin et un autre. Pourtant l'obsession de trouver un coupable est toujours là, même si elle apparaît plus naturelle. Et c'est dans ce jeu de fausse piste que Tintin prend tout son intérêt. Hergé se joue de la névrose obsessionnelle de son personnage, au point que même Milou se moque gentiment du reporter (voir Milou comme étant l'auteur?). Et c'est dans cette optique que Tintin parvient à nous toucher. Tintin n'est plus simplement une machine sans vie, mais bien un personnage prisonnier de son désir (de justice).

Les personnages secondaires apportent, eux aussi, énormément au récit; on surprend même Haddock à enquêter dans les jardins de Moulinsart, avant que la pitrerie ne le rattrape. En fait chaque personnage fait ici preuve d'une profondeur et d'une complexité de caractérisation jamais atteinte auparavant. Tournesol amoureux en est un parfait exemple. Les liens entre les personnages semblent plus clair, et jamais rien ne semble gratuit. Par exemple on peut comprendre que Mr Wagner ait envie de filer à la douce. Son explication n'est pas saugrnue et ce parcequ'on situe bien le personnage. Ce n'est plus juste parcequ'Hergé nous dit qu'elle est insupportable. La mise en scène nous permet de palper cette irritabilité qu'elle dégage.

La fin est surprenante. Mais elle fonctionne. En vérité, Hergé a su distiller quelques indices ici et là assez discrètement pour que notre inconscient s'en imprègne (le nombre d'oiseaux qu'il y a dans cet album).

Quant au graphisme, Hergé maîtrise parfaitement la ligne claire; le dessin est parfait; le découpage ulta-fluide et soutient admirablement le fond; les compositions sont ingénieuses. J'ai même droit à des scènes de nuit magnifiquement dessinées. Hergé, pour la première fois ne met plus les voitures qu'il dessine en avant plan. Il décide d'être plus discret dans son génie artistique. Les plans paraissent ainsi simples mais regorgent de documentation, de beauté et enfin, de génie.

Bref, Hergé réussit là son coup de maître. Il arrive à littéralement donner vie à des personnages, leur donner enfin une suite par rapport à ce qu'ils ont vécu autrement qu'en référençant directement un ancien album. Une continuité et un sens de l'ellipse s'affirment ici comme jamais. Si Hergé avait pu raconter de la sorte plus tôt, nul doute qu' il en serait devenu mon auteur de BD favorit. Hourra.
Fatpooper
10
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le 9 déc. 2011

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