Difficile pour un diable de se faire homme, beaucoup plus aisé pour un homme de se faire diable



  • Ça finira mal toute cette histoire, vous verrez...

  • Qu'est-ce qui finira mal ?

  • Eh bien, cette histoire de momies... Souvenez-vous de Tout-Ankh-Amon, jeune homme !...Songez à tous les égyptologues qui sont morts mystérieusement après avoir ouvert le tombeau de ce Pharaon... Vous verrez, la même chose arrivera à ceux qui ont violé la sépulture de cet Inca...

  • Vous croyez ?

  • J'en suis sûr !... Aussi, pourquoi ne laisse-t-on pas ces gens tranquilles ?... Que dirions-nous si les Egyptiens ou les Péruviens venaient, chez nous ouvrir les tombeaux de nos rois ?... Hein, que dirions-nous ?...

  • En effet...



Les aventures de Tintin Les 7 boules de cristal, première partie d'une palpitante et effrayante intrigue qui trouvera sa résultante dans Le Temple du Soleil. Le second double volets après la réussite du diptyque Le Secret de La Licorne et du Trésor de Rackham le Rouge. Hergé nous propose une nouvelle fois un thème qu'il affectionne particulièrement, celui de la " malédiction " (qu'il a déjà abordé dans Les Cigares du Pharaon et dans une certaine mesure L'étoile mystérieuse). Grandement inspirés de l'incident autour de la découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922 par l'archéologue britannique Howard Carter, dont l'équipe qui l'accompagnaient moururent dans d'étranges circonstances. Un sujet qu'Hergé s'est saisi pour proposer au public son approche d'une malédiction divine Inca occasionné par la profanation d'une équipe de 7 archéologues appartenant à l'expédition Sanders-Hardmuth, qui va par la suite être victime de phénomènes étranges, qui vont conduire Tintin à enquêter.


Avec un savoir-faire étonnant, Hergé livre un subtil mélange de paranormal, d'horreur et de récit policier dans une parure fantastique rondement menée. Le ton mystique est vite donné, avec les premiers dessins projetants Tintin dans un train le conduisant à Moulinsart, en pleine conversation avec un passager sur un article parlant de la découverte de la sépulture du roi Inca Rascar Capac. Le passager met en garde Tintin en précisant que tout cela finira mal, en prenant pour exemple l'histoire sur la découverte de Tout-Ankh-Amon, et des morts qu'il en a découlé pour les explorateurs.


Une ambiance frissonnante qui monte progressivement, accentuée avec l'Indienne voyante Madame Yamilah accompagné du fakir Ragdalam, qui au cours d'un spectacle au Music-Hall va prédire un tragique destin sous forme de damnation au mari de Madame Clairmont, un des 7 explorateurs.
" Je le vois... Il revient d'un long voyage dans un pays lointain... Mais... mais... que se passe-t-il ?... Il souffre... Il souffre... Il est atteint d'un mal mystérieux... C'est un mal qui ne pardonne pas !... La haine du dieu Soleil est terrible !... Sa malédiction est sur lui !... Hiiiiiiii ! "
Une prévoyance sonnant comme une fatalité, vu que quelques secondes après, Madame Clairmont est prévenue que son mari est tombé gravement malade. Une prédiction laissant le capitaine Haddock bouche bée, pensant même qu'il pourrait s'agir d'un coup monté, ce que Tintin exclus de suite. Une première victime laissée inconsciente avec des débris autour d'elle provenant d'une boule de cristal. L'enquête suit son train, sans le moindre succès, montant constamment la tension et l'étrangeté au fur et mesure que les victimes s'empilent, pour ne laisser plus qu'un seul survivant sur les sept explorateurs, Hyppolyte Bergamotte.


C'est dans la vaste villa d'Hyppolyte (inspirée d'une vraie demeure à Watermael-Boitsfort dans l'agglomération bruxelloise), que le point crucial de l'album est atteint, avec une explosion du surnaturel et de l'incertitude. Une édification de l'inquiétude qui arrive à son paroxysme avec la matérialisation de son cadre, lors d'une nuit orageuse où un coup de tonnerre s'infiltre dans la cheminée de la bâtisse, laissant surgir une boule de feu serpentant dans tous les sens, détruisant tout sur son passage emportant Tournesol dans les airs, et vaporisant la momie Rascar Capac devant un Tintin, Haddock, Hyppolyte et Milou tétaniser devant la scène paranormale se jouant devant leurs yeux.


Avec cette séquence Hergé signe un coup de maître, en projetant une tension que l'on pensait être à son comble, mais qui s'intensifie encore plus dans une séquence horrifique, avec la représentation de l'effrayante momie de Rascar Capac. Telle une figure du mal horrifiant, la momie s'infiltre par une fenêtre, pour attaquer Tintin dormant dans son lit, qui se met à hurler de terreur tout en se réveillant; un mauvais rêve ? Un cauchemar finalement pas si anodin, vu que Haddock et tournesol en sont également victime. Illusion du groupe créé par la peur ? Véritable menace démoniaque ?
Hergé n'y répond pas, préférant laisser le lecteur dans l'inquiétude de l'incertitude, un choix très ingénieux. Une nuit cauchemardesque qui emporte Hyppolyte, le dernier des sept membres de l'expédition Sanders-Hardmuth, fatalement envoyé à l'hôpital avec les 6 autres. Et pour mettre un point noir final à tout cela, l'hôpital dans lequel est pris en charge Hippolyte ainsi que les 6 hommes sont pris d'une terrible malédiction, vu que tous les jours à 10h30 les 7 victimes de la momie se réveillent du coma en pleine crise de folie démentielle. Une séquence brillamment décrite dans la série animée.


Avec ce treizième album Hergé prouve qu'il est digne d'Alfred Hitchcock, en présentant un récit noir qui termine amèrement avec l'internement d'Hippolyte et l'enlèvement de Tournesol. Un numéro vraiment à part, d'une maturité étonnante autant dans la qualité du scénario que le trait du dessin, qui atteint un souci du détail édifiant, notamment dans les pièces austères du manoir. Certainement le diamant d'Hergé en matière d'ambiance, avec un suspense qui atteint des sommets de mystères, procurant une atmosphère lourde et angoissante. Les personnages sont bien développés, Tintin mène une véritable enquête ne pouvant pas compter sur sa chance légendaire, ce qui est très appréciable. Haddock est toujours autant explosif, mais dans une certaine mesure plus dans la retenue. Les Duponts idiots, mais moins empotés. Enfin le professeur Tournesol, qui ici sert beaucoup le récit. À noter qu'on retrouve le général Alcazar et Bianca Castafiore. Hergé présente ces personnages dans une version moins infantile, même si l'humour conserve un minimum sa place.


CONCLUSION :


Les aventures de Tintin les 7 boules de cristal est certainement l'oeuvre la plus mature et réfléchie d'Hergé, une action reléguée au second plan pour laisser davantage place à la réflexion, et à la conception de son cadre atmosphériquement inquiétant. Du beau travail, parmi ce qui se fait de mieux chez le dessinateur, qui démontre par là même son talent indéniable pour la mise en mouvement dans des plans garnis de détails. Un récit amer qui trouvera sa finalité dans Le Temple du Soleil.


Hergé qui fait du Hitchcock, impossible de ne pas y succomber !



Dans des milliers de lunes viendront sept étrangers au visage pâle, et ils profaneront la demeure sacrée de Celui-qui-déchaîne-la-foudre. Et ces profanateurs emporteront le corps de l'Inca dans leur lointain pays. Mais la malédiction divine s'attachera à leurs pas et les poursuivra par delà les mers et les monts, et le jour où, dans un éclair éblouissant, Rascar Capac aura déchaîné sur lui-même le feu purificateur et sera retourné à son élément primitif, ce jour-là sonnera pour les impies l'heure du châtiment.


B_Jérémy
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Classement du meilleur au pire de toutes les bandes dessinées

Créée

le 19 avr. 2020

Critique lue 1.2K fois

57 j'aime

66 commentaires

Critique lue 1.2K fois

57
66

D'autres avis sur Les 7 Boules de cristal - Les Aventures de Tintin, tome 13

Du même critique

Joker
B_Jérémy
10

INCROYABLE !!!

La vie est une comédie dont il vaut mieux rire. Sage, le sourire est sensible ; Fou, le rire est insensible, la seule différence entre un fou rire et un rire fou, c’est la camisole ! Avec le Joker...

le 5 oct. 2019

170 j'aime

140

Mourir peut attendre
B_Jérémy
8

...Il était une fin !

Quel crime ai-je commis avant de naître pour n'avoir inspiré d'amour à personne. Dès ma naissance étais-je donc un vieux débris destiné à échouer sur une grève aride. Je retrouve en mon âme les...

le 7 oct. 2021

132 j'aime

121