Un album franchement discutable mais impossible à rejeter en bloc, car c’est clairement du Tardi, dans le style (dessin) et l’esprit (thèmes, personnages, lieux montrés). De plus, l’album a évidemment sa place dans la série. Ceci dit, on dépasse les limites du grotesque et, si l’album se lit bien et présente encore de beaux dessins, après un examen de l’ensemble force est de constater que de nombreux détails sont critiquables.


A force de vouloir explorer la veine fantastique, Tardi fait un peu rire à ses dépens. La naissance du ptérodactyle (Adèle et la bête) n’était pas spécialement crédible, mais la scène était captivante et mystérieuse à souhait, donnant un ton inimitable au premier album de la série. Le démon Pazuzu était crédible (Le démon de la tour Eiffel) car Tardi se contentait de fustiger gentiment la mode assyrienne (ou plus généralement la fascination pour les cultures orientalisantes). Qu’il utilise à nouveau la méthode Boutardieu permet de rester dans le ton. Malheureusement, ce qu’il fait faire au pithécanthrope ainsi revenu à la vie ne renvoie à rien d’intéressant, c’est juste grotesque. Cela va de son absence totale d’étonnement face à ceux qui le ramènent à la vie à sa pratique immédiate du français, en passant par son goût (venu du fond des âges…) pour le cognac, sa fierté de porter l’uniforme et sa pudeur toute masculine vis-à-vis d’Adèle. Qu’il éprouve des sentiments vis-à-vis de la jeune femme, pourquoi pas. Mais que celle-ci fasse les mijaurées lors d’une expérience pseudo-scientifique, cela ne colle pas spécialement à son personnage.


Le scénario est toujours aussi débridé. Malheureusement, en voulant conserver l’esprit de la série, Tardi réutilise des personnages déjà archiconnus, pour les placer dans des situations qui ne peuvent que donner une impression de déjà-vu.


Et si le savant du titre est vraiment fou, le plus fou de l’histoire n’est pas forcément celui auquel on pense en premier lieu. Tout cela pour dire que Tardi ménage à nouveau ses effets. Si l’album se lit malgré ses défauts, c’est qu’il use habillement du suspense et des retournements de situations. Dans cette ambiance qu’un premier coup d’œil pourrait qualifier de vieillotte (voir l’aspect des papiers peints aux rayures désespérément verticales dans les intérieurs), le décor début XXème met toujours très bien en valeur certains quartiers de Paris, en particulier avec la neige. Tardi se permet toutes les fantaisies scénaristiques, exploitant jusqu’à l’extrême limite son titre accrocheur. Il y a beaucoup de mouvement, un mouvement souvent bien rendu, mais étrangement oublié dans une vignette où Espérandieu entraine Adèle en la prenant furieusement par la main. Espérandieu est alors en train de péter les plombs. Encore une fois, c’est complètement grotesque. Si c’est voulu, cela sonne maladroitement et c’est aussi pénible que de voir Hitler s’échauffant jusqu’à l’hystérie pendant un discours. La fin de l’album est toujours dans le même style, l’action allant crescendo et faisant intervenir des personnages qu’on connaissait déjà, dans des situations toutes plus improbables les unes que les autres. C’est un peu lassant. La motivation des uns et des autres n’est même plus la cupidité, elle cède le pas devant des rancunes absurdes et une haine imbécile.

Electron
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le 29 avr. 2015

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