Le Pauvre Type
7.6
Le Pauvre Type

Comics de Joe Matt (2008)

Critique de Stéphane de AAAPOUM pour les Inrockuptibles

Il est des individus que l'on apprécie pour leurs qualités, et d'autres pour leurs défauts. Joe Matt est clairement à ranger dans la seconde catégorie : celle des amis détestables que l'on traine depuis des lustres accrochés à ses basques mais dont, par le plus miraculeux des paradoxes, l'on ne voudrait pour rien au monde se séparer. A en croire ses Peepshow, série culte constituée d'épisodes autobiographiques qu'il rédige depuis plus de vingt ans, l'homme est un indécrottable pingre, mais aussi un obsédé sexuel que la réalité des rencontres féminines déçoit irrémédiablement. Dès lors, seul l'univers masturbatoire du porno lui offre un possible soulagement, séances de visionnage qui l'abandonnent le plus souvent Epuisé (éditions du Seuil), transpirant sur son lit. La réédition du deuxième recueil de ses aventures- resté longtemps indisponible, permet d'ores et déjà de prendre la mesure de sa condamnation méritée à la solitude. D'autant que le livre est l'un des meilleurs de la série, très proche de la maturité formelle qu'on lui connait désormais et particulièrement équilibré dans le choix des péripéties sentimentales contées.

Joe Matt dans toute sa splendeur s'y montre plus que jamais à la hauteur de l'insulte Pauvre type inscrite sur la couverture. Pas uniquement grâce au déballage humiliant qu'on est en droit d'attendre, mais aussi parce que l'autre Joe Matt, celui qui tient la plume dans la main droite et le miroir dans la gauche, fait preuve d'un cynisme cinglant et d'une intelligence de la mise en scène qui enfonce son double de papier profondément dans la médiocrité. L'honnêteté, plus qu'une quelconque authenticité - puisque tout est ici fort probablement exagéré - est alors à chercher dans cette haine de soi qui pousse à s'auto flageller en public dès qu'une occasion se présente. Conjoint égoïste qui se fait -enfin - larguer, célibataire exigeant en mesure de rejeter une femme des plus désirables pour le motif qu'elle aurait le mollet mal taillé, ou bien encore auteur pressé de se rapprocher d'un fan dans l'intérêt de se taper sa petite amie… l'autobiographe n'épargne aucune des facettes de son inhumanité.

Tant et si bien que l'on finit par s'interroger sur les motifs de telles confessions. Seuls transpercent, pudiquement, quelques signes - comme le souvenir d'une éducation sous tutelle protestante- bien utiles dès qu'il s'agit de considérer son avarice, sa sexualité, ou l'écriture autobiographique comme excroissance curieuse de la pénitence. Et si tout recueil de Joe Matt reste l'assurance d'une nuée de rires, ils cristallisent désormais, aussi, une certaine forme de mélancolie. Comme si le temps, l'affection du public et les épisodes s'accumulant, les fanfaronnades de Peepshow qui devraient le guérir le condamnaient au contraire à ne jamais changer.
aaapoumbapoum
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le 21 juil. 2012

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