On ne présente plus Scott Snyder (mais on va quand même le faire, où cas certains eurent atterri sur cette critique par Dieu sait quel miracle). Ayant commencé sa carrière de scénariste de comics chez Marvel, puis rapidement débauché par DC, le New-Yorkais est sans nul doute l’un des scénaristes actuels les plus appréciés, tant par la proximité et la gentillesse qu’il entretient avec ses fans que par la qualité des récits que ces mêmes fans prennent plaisir à lire mensuellement depuis maintenant plusieurs années. Bien que recourant souvent aux mêmes thèmes et techniques d’écriture (liens entre passé et présent, présence de familles déchirées, ambiance horrifique), Snyder sait suffisamment jongler entre ses différentes séries pour éviter à ses lecteurs une quelconque sensation de répétition. On l’a ainsi vu à l’œuvre sur Iron Man Noir, American Vampire ou Swamp Thing, mais aussi et surtout sur Batman, dont il a commencé à écrire les aventures en 2010 dans l’historique Detective Comics. En ont suivi plusieurs histoires assez marquantes, dont la fameuse Court of Owls (La Cour des Hiboux en VF), titre phare de l’opération New 52 visant à rendre l’univers DC accessible à tous. Etant donné le succès critique et commercial de son histoire, autant dire que Scott Snyder a fait le job. Et après quelques mois de transition visant à revenir sur quelques points noirs de son récit (Harper Row, entre autres) SLASH céder aux caprices de DC en publiant un #0 censé permettre à de potentiels nouveaux lecteurs de prendre le train en marche SLASH réaliser une énorme campagne de teasing autour de la prochaine grosse histoire de Batman, impliquant ni plus ni moins que le Joker, nous avons enfin eu le plaisir de retrouver le Chevalier Noir aux prises avec son ennemi de toujours, jusqu’ici curieusement absent de l’univers DC version New 52. Enfin, le plaisir, c’est vite dit.

Et pourtant, la messe semblait dite avant même que ne paraisse cette Death of the Family. Un scénariste star, une légende du dessin épaulée par un encreur de génie, tous réunis pour réaliser leur vision d’un duel emblématique de l’univers des comics. Qui ne sentait pas venir l’histoire culte ? Il fallait voir Scott Snyder se démener en interviews pour citer les Alan Moore, Grant Morrisson et autres Frank Miller comme références et modèles. Mais une fois votre lecture achevée, un sentiment de gêne risque bien de parcourir votre corps, comme une impression d’avoir raté un morceau de l’histoire. Vous aurez beau vérifier, une question viendra inévitablement s’échapper de votre bouche : « c’est tout ? ». Eh oui, c’est tout, tant de promesses, d’annonces marketing, d’espoirs de fanboys aussi, tout ça pour ça.

Le pitch ? Après un an d’absence, le Joker (qu’on avait quitté dans Detective Comics #1, dans lequel le Dollmaker se chargeait de découper son visage) revient à Gotham City. Son plan, révélé assez rapidement, consiste à détruire la Bat Family (les alliés masqués du Chevalier Noir, des différents Robin à Batgirl), coupable selon lui d’affaiblir « son » Batman. C’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir, les différents rebondissements qui jalonnent l’histoire étant trop peu crédibles pour être pris en considération. Le manque d’ambition de Snyder à influer durablement sur l’univers DC en offrant des conséquences crédibles à ses récits se ressent tout particulièrement ici : loin de moi l’envie d’assister à une boucherie coûtant la vie à la moitié de Gotham City, mais quand chacune des révélations choc de l’auteur se révèle fausse quelques pages plus loin, on est en droit de se demander où réside l’intérêt d’étaler cette histoire sur cinq numéros, sans compter les nombreux tie-ins. Il n’y a qu’à voir la conclusion du dernier numéro qui, à quelques détails près, offre le même statu quo que le début du premier numéro : tout le monde est en vie, l’identité de Batman et de ses alliés est intacte et le Joker est en fuite (et a de nouveau perdu son visage). Ah si, les membres de la Bat Family ont l’air bons pour une bonne séance de psychothérapie, de là à parler de « mort de la famille », il n’y a qu’un pas.

Tout n’est pas non plus à jeter. Les dialogues jetés par Scott Snyder font souvent mouche, et de par son style habituel mêlant habilement passé à présent, ce narrateur de génie parvient à mettre en lien cette histoire avec quelques-uns des précédents affrontements entre Batman et le Joker, ce qui constituera la base des premiers numéros, dans lesquels Batman suit les indices laissés ici et là par le Joker. Et c’est là où Death of the Family échoue, en faisant totalement fi des personnalités des protagonistes. Batman n’est ici pas un détective, et se contente de suivre la piste du Joker comme on joue au jeu de l’oie. Parlons-en du Joker, désormais capable d’abattre plusieurs dizaines de mafieux à lui tout-seul (a-t-il passé son année sabbatique avec Chuck Norris ?). Si dans le contexte de la Cour des Hiboux, voir Batman dans le rôle de la victime était une situation aussi inédite qu’intrigante, on était ici en droit d’en attendre plus. L’autre erreur, c’est de gâcher tout suspense en révélant bien trop tôt qui tire les ficelles de l’histoire. Là où la Cour des Hiboux donnait lieu à toutes sortes de suppositions sur de possibles membres de la Cour, où Sombre Reflet nous faisait sans cesse nous interroger sur la personnalité, bonne ou mauvaise, de James Gordon Jr, Death of the Family n’offre rien de tout cela. En se privant de l’élément crucial d’une bonne histoire (l’identité du méchant) au profit d’une bonne campagne de promotion, Scott Snyder rend son histoire plate et, pour ainsi dire, sans grand intérêt. Si le tout se lit agréablement, on est loin de l’excitation provoquée par la Cour des Hiboux. Et que dire du traitement de la relation si spéciale entre Batman et le Joker, si peu crédible qu’on en vient à rire des réactions des divers personnages (Batman à la fin du #16, notamment).
Au final, la seule satisfaction de cette histoire réside dans sa partie visuelle. Greg Capullo, assez bon dans la Cour des Hiboux, frise ici l’excellence. Bien aidé par l’encreur Jonathan Glapion, son art confère à l’histoire l’ambiance horrifique que Scott Snyder n’a pas réussi à insuffler via ses écrits. Le Joker (au visage découpé puis rafistolé, on le rappelle) est tout bonnement monstrueux, là où les différents lieux qu’il dépeint (l’entrée de l’Asile d’Arkham à la fin du #15 !) comportent un côté inquiétant, voire dérangeant. Dans la même veine, ses scènes de combats conservent l’aspect dynamique aperçu dans la Cour des Hiboux, bref, du tout bon.

Des cliffhangers peu crédibles, des personnages principaux bien mal exploités, une quasi-absence d’impact sur la suite des aventures de Batman … je continue ? Il existe bien trop de bonnes histoires impliquant Batman et le Joker pour ne pas conseiller cette Death of the Family à quiconque. Jetez-y un œil si on vous le prête, histoire de savoir comment ne pas écrire Batman. L’avenir du Dark Knight sous le règne de Scott Snyder ? Une histoire impliquant l’Homme-Mystère (oui, il aime bien annoncer l’identité des méchants de longs mois à l'avance). De quoi rendre à Batman son titre de plus grand détective du monde ? On l’espère.
Ashlor
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le 15 févr. 2013

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