1940 : les Nazis envahissent le petit royaume de Belgique, et le monde s'écroule autour de Hergé. Commencent les années grises, qui verront Hergé assumer des positions discutables pour survivre... même si, en cela, il ne différera pas de 95% de la population belge ou francaise. "Le pays de l'Or Noir" mis de côté car trop "politique", Hergé crée ce célèbre "Crabe aux Pinces d'Or" qui montre un Tintin isolé (protégé) de la noire réalité du monde, vivant une petite aventure convenue où Hergé bégaye par rapport à ses précédents albums. Mais, si le lecteur pourra tirer une certaine frustration de cette prudence vaguement lénifiante, "le Crabe aux Pinces d'Or" est une oeuvre charnière, donc capitale, dans l'histoire de ce monument qu'est l'oeuvre de Hergé. D'abord, le graphisme y atteint un premier palier de qualité époustouflant, nous offrant un nouveau Tintin qu'on pourrait qualifier de "pré-classique", certes moins humain que sa version antérieure, mais littéralement imparable. Ensuite, la narration devient réellement fluide, et le rythme frénétique se ralentit : certaines pages nous donnent envie pour la première fois de nous arrêter pour les savourer, les contempler... l'âge des chefs d'œuvre n'est plus très loin. Et enfin, coup de génie absolu, Hergé crée le Capitaine Haddock, personnage "bigger than life" dont l'alcoolisme sauvage et catastrophique est le seul véritable vecteur de fiction ici. Le livre alterne donc entre des scènes dantesques de delirium tremens qui traumatiseront bien des enfants (qui aura pu oublier quand il avait 10 ans les efforts de Haddock pour arracher la tête de Tintin qu'il croit être un bouchon de champagne ?), et les moments presque intimes, qui scellent la naissance d'une amitié exceptionnelle. Par rapport à ce miracle littéraire, les nombreuses faiblesses du "Crabe aux Pinces d'Or" nous paraissent finalement bien peu importantes.


PS : j'ajoute à titre personnel que, pour moi qui suis né à peu près où elles se déroulent, dans le Sahara frontalier entre Maroc et Algérie, les belles scènes de désert du livre m'ont toujours paru enchanteresses... [Critique écrite en 2017]

EricDebarnot
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le 3 févr. 2017

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Eric BBYoda

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