Mon ami GrosMalin me disait l'autre jour, alors que je lui offrait Cent titres, qu'il avait cru que la publication instantanée que permet Internet (blogs, sites, échanges de fichiers, etc.) ferait décroître l'édition, du moins cette édition d'humour qui permettait de se rabattre sur des choix insipides en achetant Le guide de la quarantaine à qui voit la meilleure partie de sa vie enfuie et ses titres de gloire rêvés réduits à quelques succès précaires et, avouons-le, déjà mangés d'ombre. Evidemment, il n'en est rien, puisqu'au contraire les livres tirés de blogs abondent, et on s'empresse de les offrir pour partager cette lecture régulière, marquant combien le mot de "partage" est vidé de son sens quand il se réduit à quelques clics sur facebook.
Ces sortes de livres posent des problèmes d'édition intéressants, qui reprennent sous un autre angle ceux qu'affrontaient les bds publiées, souvent sans réel objectif de reprise en album, dans les journaux. On connaît le cas d'Hergé qui redessina une partie des premiers Tintin pour permettre une lecture correcte en planche A4; on sait toutes les difficultés que pose l'édition de Little Nemo, publié originellement dans des formats énormes et divers. Ce genre de problème perdure; quand Boulet, dans je ne sais plus quelle histoire, imagine une chute sans fin vers le centre de la Terre, croisant couches géologiques et Enfers variés, le déroulement infini de l'écran permet de rendre sensible le mouvement, que coupe obligatoirement la page finie. S'ajoute à cela le problème du feuilleton: on peut répéter la même blague sur Internet, généralement on ne s'en rend pas compte, voire on prend ça pour un clin d'oeil pour happy few. La lecture en album est beaucoup trop rapide pour ne pas montrer ces défauts; le running gag, potentiellement, est plus lourd. Je ne suis pas certain que tout le monde goûte le retour systématique de Newton dans la Rubrique-à-brac.
Ces histoires sont vieilles, et d'ailleurs Internet ne pose généralement pas d'interrogations neuves, mais de vieilles questions amplifiées, accélérées, démultipliées. Ce que je trouve intéressant, en l'occurrence, c'est comment chaque auteur/éditeur les résout, ou pas. Comment, par exemple, il donne une structure à ce qui n'en a pas.
(oui, je vais enfin parler de ce livre-là en particulier... ça va, on n'est pas aux pièces)
Marion Montaigne a fait le choix d'éditer ses vulgarisations vulgaires thématiquement; dans l'ensemble de sa collection (ici, c'est la confrontation des clichés audiovisuels avec les données scientifiques) et à l'intérieur du livre (action/sci-fi/séries). Cette classification fait apparaître les redites (sur les armes à feu, sur les expertises médico-légales) et les cibles favorites de l'auteure. Elle permet aussi de revenir sur des erreurs, et de donner à l'ensemble une allure parodique de cours bien ordonné. D'autre part, la mise en planche recherche des effets de chute généralement réussis, mais le grossissement ou le rétrécissement des images a des limites: chaque planche ne peut varier que de deux (pour les débuts de chapitre) à quatre dessins, tous posés les uns sur les autres, ce qui fait que la lecture toujours verticale rappelle en permanence l'origine numérique du truc. En somme, la transformation en "vrai" livre est inachevée, sans pour autant être un échec; ce quelque chose qui reste du blog est plutôt agréable, contribue au débraillé de l'ensemble (j'emploie ce terme en pensant à Diderot, c'est donc très positif, pas du tout un reproche. D'ailleurs, dans la rue, je ne vois pas non plus pourquoi ce serait un reproche, c'est très bien d'être débraillé, ça montre qu'on s'en fout de ces histoires de mèche bien mise et de t-shirt moulant bien repassé... merde je suis vraiment un type des années 90) et me permet d'admettre ce dessin que... bon... oui d'accord c'est du dessin d'humour... voilà.
Sinon, oui, c'est bien, on apprend des trucs, et c'est très drôle. Je retiens surtout que c'est très cruel. Dès que mademoiselle Montaigne (c'est génial tout de même qu'elle s'appelle comme ça, non? et c'est plus génial encore si c'est un pseudonyme) a l'occasion de répandre sang et viscères, d'humilier quelqu'un ou de torturer un animal, elle y va, allez hop. Comme elle ne s'épargne pas quand elle se met en scène, c'est réjouissant. Allez, une petite citation pour finir: "vouloir être entomologiste à quatre ans, c'est bien! Alors pour Pâques, allez dans son sens et cachez des rats morts à la place des œufs, pour stimuler sa passion!"