La Frontière de la Vie n’est peut-être pas la meilleure aventure de Yoko Tsuno (quoique...), c’est malgré tout la plus adulte de toutes. Roger Leloup signe un album époustouflant, traversé par le refus de la mort, et hanté par des voleurs de sang. Profanation de tombe, enfant-bulle ... : jamais on n’a vu de thèmes aussi graves dans l’univers de Yoko Tsuno. C’est aussi le seul tome où elle reçoit une balle en plein cœur.

Jamais Roger Leloup n’aura mieux introduit le mystère que dans ce septième album : dans la ville de Rothenburg figée comme au XVIème siècle, Yoko retrouve la douce Ingrid Hallberg convalescente, le sang à moitié ponctionné par une étrange voleuse. Aussitôt, Yoko se voit happée par une histoire familiale qui remonte trente ans en arrière, lorsque l’Allemagne nazie capitulait sous les bombardements.

Tout le génie de Roger Leloup ici, c’est de mélanger subtilement les époques : dans une ville médiévale aux remparts de vieille pierre, rôde un vampire aux moyens technologiques particulièrement avancés, portant un masque à gaz et conduisant une Ford Mustang. Les dessins tissent parfaitement l’ambiance irréelle et angoissante d’une telle intrigue, au détour d’une course-poursuite nocturne absolument parfaite : rythme, ambiance, découpage, tout y est excellent.
De manière générale, Roger Leloup choisit ici des cadrages verticaux, très allongés, pour capter l’atmosphère de cette Rothenburg aux hautes tours et aux vieilles bâtisses à double étage. Les décors de l’Orgue du Diable étaient déjà à couper le souffle, mais pour La Frontière de la Vie il s’est réellement surpassé !

On pourra regretter que Roger Leloup se laisse parfois happer par son intrigue, à tel point qu’il oublie d’en donner quelques clefs importantes : comment Ernst Schiffers se retrouve-t-il dans les souterrains de la maison Kellermann avec tous les autres ? Sans oublier l’arbre généalogique de la famille Schulz, qui nécessite deux ou trois relectures pour démêler qui sont Eva, Anna, Magda...

Pourtant la véritable erreur, c’est le personnage de Kurt : alors que Roger Leloup tenait une intrigue magnifique et poignante, pourquoi a-t-il nivelé son album en y ajoutant un simple truand à la petite semaine qui veut se faire des sous, sur un vague fond d’espionnage soviétique pas très convaincant ? Kurt est un personnage flasque et sans consistance, d’ailleurs servi par un dessin qui change en quelques pages (ses cheveux virent du gris au noir, et il semble perdre vingt ans entre deux planches ...).

Rudy aurait lui aussi mérité un meilleur traitement : comme Khâny dans les aventures vinéennes, il est ici utilisé à répétition pour apporter de nouveaux éléments à Yoko et faire avancer l’intrigue. Mais les personnages omniscients ont un inconvénient, et de taille ! ils sont lassants ... Rudy est ici trop parfait pour que le lecteur s’y attache.

Malgré ces quelques défauts, surtout visibles dans la seconde moitié de l’album, La Frontière de la Vie demeure l’intrigue la plus fascinante de la série, et la seule que Roger Leloup ait conclue par un avertissement de Yoko sur la véracité des faits. On sait que l’auteur a été repérer Rothenburg sur le terrain, lors d’un voyage en Allemagne, avant de se lancer dans ce septième album : est-ce qu’il y aurait eu vent d’une rumeur sur un médecin refusant de voir sa fille mourir ? Dans la réédition intégrale, il avoue seulement s'être très librement inspiré de Karen Ann Quinlan, une Américaine tombée dans un coma végétatif en 1975, et dont la famille réclamait le droit à l'euthanasie.

Roger Leloup abandonne au lecteur le soin de retrouver la frontière de la vérité au milieu de toute cette fiction ...
Wakapou
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Check-list : Yoko Tsuno !

Créée

le 15 juil. 2013

Critique lue 1.2K fois

7 j'aime

1 commentaire

Wakapou

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

7
1

D'autres avis sur La Frontière de la vie - Yoko Tsuno, tome 7

Du même critique

L'Orange mécanique
Wakapou
9

Une « coïonnerie »

Anthony Burgess avait, dans ses dernières années, une très grande crainte : celle de ne demeurer dans les mémoires qu'en tant que l'écrivain qui avait inspiré Stanley Kubrick pour « A Clockwork...

le 1 déc. 2010

60 j'aime

16

Fight Club
Wakapou
5

Please be a parody !

Fincher, fais-moi plaisir, dis-moi que c’est une parodie ! Vu étant gosse, ce film m’avait laissé le souvenir d’une immense claque, avec un parfum délicieux d’ultra-violence et de subversion contre...

le 19 juin 2013

58 j'aime

9

Pokémon Bleu
Wakapou
10

We are Pkmn generation !

Ah, Pokemon Bleu, c’est LE socle commun à toute une génération des 90’s : le jeu vidéo qui a forcé les parents à abandonner leurs derniers espoirs de comprendre nos chères têtes blondes ... Sur une...

le 13 juil. 2013

50 j'aime

4