On ne pouvait qu'attendre beaucoup du revival le plus inattendu de ces dernières années, tant son héritage est lourd à porter et tant cette suite ne se justifiait pas.


Loin de n'être qu'une simple histoire de super héros, la Brigade Chimérique première du nom était avant toute chose une méta-métaphore pluriréférentielle (à vos souhaits) sur la guerre, la science, l'imaginaire, dont la lecture était aussi ardue qu'austère, mais riche de paraboles et de satisfactions. De sorte qu'on hésitera toujours à ressortir l'album de la bibliothèque pour dépoussiérer les souvenirs, parce qu'il faut la santé, le bon état d'esprit et quelques vitamines, mais qu'on ne le regrettera jamais non plus, de par la réjouissante densité de son propos.


Tout l'opposé, finalement, de cette Ultime Renaissance aux forceps et sans péridurale.


D'un dénouement parfait, pensé avec finesse, Lehman fait le point de départ en différé d'une réactualisation de ses mythes fondateurs, au sens Netflix du terme tant le résultat est aussi indigent qu'inoffensif, bourré de trous scénaristiques et de clichés dans l'air du temps (ou pas). Vous avez aimé les adaptations sérielles d'Umbrella Academy ou de Locke and Key ? Vous avez détesté le premier Brigade Chimérique ? Vous risquez d'adorer ce nouveau millésime. Riche d'une mythologie toujours passionnante, mais à peine effleurée passées les réjouissantes premières pages, il convoque une équipe de personnages réduits à quelques traits saillants, quelques coquilles archétypales vides de dilemmes et d'intériorité (quant ils ne sont pas tristement antipathiques), simples rouages narratifs dont la présence n'est justifiée que par des scènes d'action vues et revues mille fois, émaillant un récit d'une kitscherie embarrassante, renvoyant en 2021 aux heures les plus sombres des comics US période années 80 (avec des gentils gentils, des méchants méchants et des menaces cosmiques qui font plouf).


Au programme : des plotholes en pagaille, des dialogues qui se veulent spirituels mais qui tapent à côté dans un détestable bruit de dents qui grincent, un fan-service qui racle les fonds de tiroir, des idées introduites (certaines bonnes, d'autres très mauvaises) mais jamais exploitées autrement qu'en surface, des personnages que l'on présente puis qu'on écarte sans autres forme de procès, et qui disparaissent du récit sitôt leur fonction narrative remplie - quand bien même s'est-on appesanti longuement sur leur sort... Au-delà : une matière première toujours aussi efficace, avec laquelle il y avait tant à faire, l'hypermonde, l'oubli, l'exode... Quelques références sympathiques, aussi. De jolies planches, enfin, dans un style assez générique, mais efficace, empruntant au manga autant qu'aux comics ou à la BD franco-belge, mais loin de la jubilatoire noirceur du trait de Gess, débarqué du projet en cours de route (et c'est tant mieux pour lui).


Pour peu qu'on débranche le cerveau et qu'on évite de penser à l’œuvre initiale, l'ensemble reste gentiment divertissant, même si de façon très classique, bancale, sans génie, et porté par une morale naïve d'un autre âge, l'équivalent bédéphilique des gens qui applaudissaient au balcon par temps de pandémie, ou d'un livre de Bernard Werber. A trop vouloir jouer la carte de l'optimisme et de la fraternité à tous crins, le scénariste livre une copie plus proche d'un sous-Pixar que d'une mise en abyme sociale, sa conception de la classe populaire frisant la complaisance, voire la condescendance, sans éviter l'écueil de la caricature. Nous sommes tous des héros en puissance, clame-t-il avec ferveur. Usée jusqu'à la corde, l’exhortation a fait long feu. On comprend que, compte tenu du contexte, il ait voulu symboliquement rappeler les liens qui nous unissent, mais difficile d'y croire tant les sabots sont gros et mal taillés.


Ultime Renaissance sort en 2021 et veut, de toute évidence, jouer dans la cour des grands du comics en montrant par l'exemple qu'en France, c'est possible aussi. Sauf que ses auteurs s'accrochent paradoxalement à une conception dépassée du genre, qui donne à l'aventure un désagréable petit goût de série Z ; là où la Brigade Chimérique s'emparait de l'univers pulp pour lui donner, a contrario, un ton douloureusement atemporel. En 2021, le comics, ce n'est pas ça, ce n'est plus ça, il en subsiste bien quelques-uns de ce calibre mais ils constituent le bas du panier, et on ne les lit que par paresse ou par politesse. Super-truc contre Evil-machin, on en a fait le tour, plusieurs fois d'affilée. En 2021, le comics chahute, s'interroge, s'introspecte, se déconstruit, se psychanalyse. Se Brigadechimérise, en somme. Là où la Brigade Chimérique suit le chemin inverse et retombe en enfance. Alors qu'un Black Hammer a su très habilement rendre hommage à l'évolution du média à travers les âges, Lehman se contente de faire du vieux avec du neuf, du cassoulet William Saurin à la casserole, confirmant par là même l'importance de Fabrice Colin (ici aux abonnés absents) dans la gestation du projet originel.


On veut y croire, vraiment, de toute nos forces, on s'accroche à toutes les branches qui passent, en vain. La déception n'en est que plus cuisante.


De la Brigade, ne restent que quelques gimmicks surannés, quelques personnages plus ou moins emblématiques, mais dépouillés de leur substance au profit des gnons dans la gueule et des deus ex machina, avec une guise de big boss un homme-rat ta-gueule-c'est-magique et une version low cost de Galactus. Insérer une exclamation enthousiaste ici.


Le dénouement laisse la porte ouverte à des suites.


Qu'on refermera poliment.


A regret, mais à double tour.

Liehd
5
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le 4 avr. 2022

Critique lue 107 fois

Liehd

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