"La Bible pour les Chats", notre "Chat du Rabbin" annuel, que nous attendons désormais avec impatience, est surprenant à plus d’un titre. D’abord parce que Joann Sfar y interrompt le déroulent de sa fiction, qui nous avait amenés dans le précédent tome à affronter non seulement le vieillissement des personnages, mais aussi les problématiques actuelles (éternelles en fait) de la haine de l’Autre, qu’il s’agissait de faire « rentrer chez lui », et revient à l’époque fondatrice de sa série, lorsque le monde se réduisait encore à la « famille » constituée par le chat (parlant, et drôlement bavard), sa maîtresse Zlabya, encore jeune, et le rabbin. Mais surtout parce que Sfar consacre ces presque 80 nouvelles pages à ni plus ni moins qu’un audacieux exercice d’exégèse de la Torah (plutôt que de la Bible, d’ailleurs…) !


On utilise le mot audacieux parce qu’on imagine bien que ce tome-ci aura plus de mal que les autres à trouver son public, entre lecteurs dépités par le manque « d’aventures » du récit, et croyants qui se sentiront probablement marginalement offensés par les trous béants que les tirs de chevrotine du chat laissent dans les textes sacrés !


Lorsque le chat tombe sur une note manuscrite de son maître le rabbin indiquant le numéro de téléphone d’un certain D…, il pense « logiquement » qu’il s’agit de celui de Dieu. Il essaie alors de convaincre sa maîtresse sceptique de téléphoner à Dieu au lieu de prier pour la santé de l’enfant à naître de l’une de ses amies. Ce qui nous vaut l’une très nombreuses réparties hilarantes du chat devant le refus de sa maîtresse : « Je ne vous comprends pas ! Vous répétez depuis 33 siècles que Dieu répond lorsque vous vous dandinez avec un livre en main, et quand je vous suggère d’utiliser un téléphone, c’est moi qui suis ridicule ? » ! Le chat va alors se lancer dans une analyse fine des récits des miracles qui constituent dans les religions juives et chrétiennes la « preuve visible » de l’existence de Dieu : avec sa logique – très moderne – d’être rationnel, il va pointer les incohérences, les absurdités des textes sacrés, ce qui lui permet de ridiculiser ce qu’il qualifie chez les croyants de « sélectivité quant aux invraisemblances qu’ils acceptent ».


Mais comme Sfar n’a jamais été un apôtre de la caricature facile, il oppose aux démonstrations logiques du chat la vision pleine de sagesse du rabbin, qui sait offrir une lecture philosophique plus élevées des symboles qu’il est, de fait, facile de ridiculiser. Et, en faisant rencontrer à son chat un drôle de prophète Elie, Sfar amène son livre à une très belle conclusion, que l’on peut considérer comme un geste bienveillant de réconciliation d’un athée envers les croyants : s’il y a une véritable noblesse dans la religion, c’est qu’il s’agit « d’une pensée en faveur du vrai monde, contre les superstitions imbéciles ».


Il est difficile de dire comment sera reçu "la Bible pour les Chats", mais sa lecture nous a semblé une vraie oasis d’humour et d’intelligence – et de complexité – en une époque où nous nous contentons tous souvent d’une pensée simplifiée, imprégnée de peur, de colère et d’intolérance. D’imbécilité aussi.


Merci à Joann Sfar pour ce livre « militant » avec le sourire pour le… vrai monde !


[Critique écrite en 2022]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/01/10/le-chat-du-rabbin-tome-11-la-bible-pour-les-chats-une-audacieuse-exegese/

EricDebarnot
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le 8 janv. 2022

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