Kingdom Come
7.9
Kingdom Come

Comics de Mark Waid et Alex Ross (1996)

La tâche de parler de cette imposante oeuvre qu'est Kingdom Come peut paraître bien malaisée, tant beaucoup de choses ont déjà été dites à son sujet, que ce soit au vue de nombre de critiques et d'analyses, mais aussi par rapport à l'immense quantité de choses que l'on peut analyser et décortiquer. Pour ceux que ça ne botte pas de lire cette review, rendez-vous à la fin.


Pour faire plus trivial, pour commencer, je dirais que Kingdom Come est un peu une sorte de main géante qui sortirait des pages de l'ouvrage pour nous en coller une bien sévère. Une bonne grosse baffe qui laisse pantois et bouche bée, pas parce qu'elle a fait physiquement mal, mais parce qu'elle réveille. Vous savez, comme quand vous dormez si profondément, plongé dans des rêveries, et que le seul moyen que votre voisin trouve pour vous faire ouvrir les yeux, c'est de vous mettre sa main dans la figure.


Admettons que ces rêveries soient les aventures de nos super-héros préférés, dans toute leur gloire. Une gloire (et une influence) encore plus renforcée quand on est enfant et encore adolescent. Une péridoe d'innocence pour la première où l'on enfile notre anorak rouge derrière son tee-shirt bleu, et un slip rouge par dessus son jean, un S découpé dans une boite de céréales scotché sur la poitirne - mais on s'en tape qu'on soit ridicule, parce que, merde, l'espace d'un instant onirique, on est Superman et courir à tout rompre nous donne l'impression de voler. Une période plus compliquée pour la seconde, où l'on entame un long et pénible chemin vers l'âge adulte, et on se prend à rêver de nouveau d'avoir des super-pouvoirs, de s'envoler, parce que ça semble être le seul moyen de se sauver d'abord nous-même d'une vie qui, durant ces années-là, semble trop dure et cruelle à supporter. Une nouvelle fois, les super-héros aident à affronter le monde : l'enfant y trouve une identification, l'adolescent va serrer les poings et la mâchoire et aborder les connards qui nous gonflent au collège et au lycée comme le ferait Batman ou Superman. On a peut être pas de pouvoirs, mais merde, on aura levé la tête et soutenu le regard.


Et puis la baffe de l'adolescent (qui était lui-même la baffe de l'enfant) arrive, c'est l'âge adulte. C'est les soucis, c'est le stress, c'est la nostalgie, c'est la résignation. Ce que nous savions, mais refusions, devient une évidence : les super-héros n'existent pas. Ou plus. On suit leurs aventures parce qu'elles nous intéressent, mais plus parce qu'on aimerait être l'un d'eux, ou que Superman descende du ciel pour nous sauver. Le monde des adultes n'est plus un rêve idéal. Il est brutal, sale, désespéré, et aujourd'hui plus que jamais, on aurait bien besoin d'un sauveur qui ne viendra pas.


Ce constat malheureux se ressent dans Kingdom Come. La fin de règne des super-héros. Ces surhommes dont on revivait entre potes les aventures sont jugés trop vieux jeux, et sont remplacés dans l'opinion publique par une nouvelle génération plus amorale, plus aggressive, qui ne se soucient plus des valeurs de justice (et d'innocence) que portaient les héros d'antan, devenus héros d'une autre époque désormais révolue. Et naturellement (ou presque), ils prirent leur retraite, puisqu'ils n'étaient plus capable d'inspirer les foules. Et ils tombèrent en décrépitude, isolés, seuls, anonymes, et il n'y a guère plus qu'un restaurant de nerds pour perpétuer d'eux une mémoire kitsch et désuette.


Mais ces nouveaux héros, aux méthodes brutales, ne tardent pas à faire le Mal, un mal tellement énorme, tellement désintéressé des humains parmi lesquels ils évoluent et avec lesquels ils n'ont plus rien à voir tant ils ont fini par se considérer comme des dieux, que le monde perd l'espoir en l'avenir. Et dans un monde où les super-héros existent, qui se retrouve plongé dans les ténèbres, les gens lèvent les yeux au ciel, espérant une dernière fois y voir la lumière. Et Superman revint, accompagné d'une armée d'ancien et de nouveaux héros, prêt à réinstaurer les valeurs jugées désuettes d'antan, mais les seules en vérité à apporter une justice. Et ceux, quelque soit les moyens.


Tout ça me fait penser aux détracteurs de Superman, ceux qui ne voient en lui qu'un mec trop puissant, trop lisse, pas intéressant du fait même de sa condition ultime. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que ces mecs-là, si un gars comme Sup' existait vraiment, seraient parmi les premiers à l'acclamer dans la rue, à le suivre, parce que merde... C'est Superman, quoi. Ces détracteurs sont comme les humains de Kingdom Come. Ils conchient le kryptonien parce qu'il est trop juste, trop vieille école (et trop lisse ?), et puis quand c'est le dawa, ils sont les premiers à ouvrir des yeux émerveillés vers ce surhomme qui, malgré tout, est revenu pour les sauver.


Mais Kingdom Come est un comics de rêves brisés. Que ce soit ceux des lecteurs, du monde intra-diégétique, et de Superman lui-même. Les super-héros d'avant sont obligés d'abandonner leur humanité qui les caractérisaient pourtant afin de faire face efficacement à cette nouvelle génération. Mais cette humanité enlevée, il reste que la divinité, des dieux qui s'affontent parmi les hommes, avec tout ce que cela implique de grave, prêts à plaider leur cause et leur bonne parole quelque soit les moyens.


L'histoire est vue du point de vue de Norman McKay, un pasteur que le Spectre vient chercher pour être témoin de la chute des super-héros. Ce brave pasteur est sujet à des visions infernales, ponctuées par les versets de l'Apocalypse selon Saint-Jean (qui, et c'est troublant, correspondent exactement aux évenements du comics, à la nature de ses personnages et aux propres pouvoirs des protagonistes), et est autant spectateur de ce qu'il se passe que le lecteur lui-même, le Spectre le baladant d'une scène à l'autre comme l'on découvre l'histoire d'une case à l'autre. McKay va finir par se rendre compte que ce Jugement Dernier provoqué par les surhommes et également un Jugement de la surhumanité, et que jugement implique un coupable. Dès le début de Kingdom Come, ce "requiem des dieux", on comprend que quelqu'un, les humains ou les super-héros, va devoir payer le prix fort d'avoir été trop - ou pas assez - conscient de son statut.


Il est intéressant aussi de constater que malgré tout le parallèle religieux présent dans l'oeuvre, jusqu'au métier même de Norman McKay, on assiste dans Kingdom Come à une évaporation de la foi : dans l'avenir, dans les super-héros, ces dieux sur terre, parce que tout semble mener à l'Apocalypse, et rien ne peut l'arrêter. Et pourtant, ils étaient censés être nos Sauveurs...


J'en ai déjà dit beaucoup sur Kingdom Come. Ma pensée, de plus, je la trouve assez confuse à ce sujet. Si vous n'avez pas raccroché la lecture de cette review, j'espère que vous aurez compris ce que je voulais dire. Il y aurait encore beaucoup à dire, mais les mots ne me viennent pas. Je terminerais donc juste sur les peintures d'Alex Ross, qui servent à merveille le récit. Gestion de la lumière qui donne l'impression, par instant, que les personnages recoivent une veritable illumination au sens religieux du terme, redesign des costumes qui restent fidèles aux personnages si bien que les super-héros originaux, les seuls, les uniques, désabusés sont les plus reconnaissables parmis ce bordel de surhommes qui ont renoncé eux aussi, à leur manière, à tout héroïsme. Enfin, l'hyper réalisme (que certains ne supportent pas, allez savoir) apporte, outre la beauté que ça suscite, un élément supplémentaire quant aux thèmes de Kingdom Come. Bruce Wayne, Wonder Woman, Superman, ont des traits humains très définis, rien, à part leurs costumes et leurs pouvoirs, ne les différencient des humains (ce qui n'est pas tout à fait le cas, dans mon souvenir, de la plupart de la nouvelle génération de super-héros belliqueux). Les dessins rappellent aux spectateurs que les super-héros sont avant tout des humains (de naissance ou attachés/élevés/forgés/adopté -j'ai du mal à définir pour Wonder Woman- par eux), qui, poussés dans une situation extrême et désespérée, se sont oubliés. C'est le plus grand péché des surhommes dans Kingdom Come, d'avoir commis ce que les grecs appelaient un hubris, c'est à dire d'avoir été si arrogants qu'ils se sont crus dieux.


Pour vous, qui n'avez pas voulu perdre de temps dans une analyse à rallonge ! Kingdom Come, c'est un immense panard qui arrache. C'est un essentiel que vous ne pouvez pas rater. Voilà, je peux pas faire plus bref.


Vous pouvez me retrouver sur la chaîne Youtube Tachikoma Prod : https://www.youtube.com/channel/UCT_VGpbNDYmfuMPyzAjYEhA !

Marc_C_
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le 9 oct. 2013

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Marc_C_

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