Jimmy Corrigan
7.8
Jimmy Corrigan

Roman graphique de Chris Ware (2000)

Connu en France grâce à Jimmy Corrigan, the smartest kid on earth, qui a reçu en 2003 le prix du meilleur album, Chris Ware n'en fini pas de récolter les récompenses (même dans son pays...).

Jimmy Corrigan intrigue, déjà par sa forme.
Anormalement épais pour une BD (380 pages) ses dimensions sont à peu près celles d'un pavé.
Pavé rappelant assez ironiquement à Chris Ware, la taille de la boîte contenant les souvenirs de son père. L'histoire, vous l'aurez compris, est un récit, en partie, autobiographique.

Quelques mots sur l'édition française de Jimmy Corrigan qui est sublime. Conforme au cahier des charges (très exigent) de Ware, Delcourt nous présente une BD reliée, cartonnée du plus bel effet. Le lettrage est très soigné et la traduction me semble très bonne (bien que je ne connaisse pas l'original). L'adaptation est vraiment excellente.
La couverture se déplie pour faire apparaitre une fresque complexe et énigmatique. On pourra « lire » celle-ci à la fin et se rendre compte à quel point Ware est fou et monomaniaque, marque d'un auteur génial et ultra-perfectionniste.
La BD en tant qu'objet, est déjà une réussite.

Mais passons à l'histoire. Jimmy Corrigan est un quadragénaire apathique, vivant seul. Son quotidien est réglé avec monotonie. Les jours s'enchainent. Invariablement.
Jimmy est seul, depuis que son père les a abandonnés, lui avec sa mère. Castratrice et possessive, omniprésente dans la vie de Jimmy, mais paradoxalement on ne la verra jamais dans la bande dessinée .

Sortant du carcan du comics de super héros, comme Art Spiegelman précurseur dans les récits intimistes et autobiographiques en BD, Chris Ware nous délivre des histoires poignantes.
Le propos, centré dans la mise à nue totale de ses personnages et de leur psychose est en rupture avec les schémas traditionnels du comics et de la BD en général stigmatisée comme support pour enfants. (On oubliera pas Crumb aussi)

Ma première lecture de cette bande dessinée a été un réel choc, comme je n'en avais pas eu depuis longtemps. Les premières pages m'ont convaincu d'être en face d'un auteur -tout court- majeur. Balayé par la puissance narrative et graphique de Ware.
Chris Ware est à la fois auteur, scénariste, dessinateur, encreur, coloriste et réalise son lettrage (chaîne classique de production des comics). Il se classe dans le monde du « comics indépendant » avec son label The Acme Novelty Library.
Tous ces postes, il les maîtrise à la perfection. Le dessin, bien que d'apparence simpliste est d'une précision millimétrique et d'une pureté incroyable. Il croque tous les détails qui font le quotidien avec précision. Son découpage peut sembler déroutant, déstructuré, il confère au récit une forme labyrinthique.

Jimmy, handicapé social, petit rat dans le labyrinthe, décide pourtant un jour de frayer son propre chemin et de partir à la rencontre de son père.
Une chose dont je n'ai pas parlé c'est l'humour et le cynisme de Chris Ware qui sont très présents dans ses œuvres. On assistera notamment avec une particulière délectation sadique, au suicide de superman qui se jette du haut d'un immeuble pour s'écraser lamentablement au sol.
Évidemment superman est ici la figure du père qui comme en écho, mourra peu de temps après leurs retrouvailles (ouais en fait il y a des histoires on peut raconter la fin et c'est pas grave)
C'est lors de ces retrouvailles que Jimmy rencontre Amy, fille adoptive du père de Jimmy, seule personne rayonnante dans cette histoire.
Ware joue avec l'absurde et l'ironie avec talent, Amy non seulement étant le choix du père de recueillir un enfant abandonné, est noire, minorité rejetée comme Jimmy l'a été par son père.

Chris Ware maîtrise son récit avec brio en usant au maximum de tous les ressorts de la BD (graphique, narratif, découpage, lettrage...) et les poussant à fond. Le rythme peut perturber certains car il est assez lent pourtant il convient parfaitement à l'ambiance qu'il veut installer.
Philounours
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le 10 déc. 2010

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Philounours

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