Grandville
7.3
Grandville

Comics de Bryan Talbot (2010)

Dans notre réalité, le Blaireau est la proie des paysans et des chasseurs qui l'accusent, à tort, de nombreux dégâts sur les cultures ou de propager la rage. Dans une autre, LeBrock est un blaireau, mais ce n'est plus le gibier, c'est le chasseur !

Il est doté d'un physique de culturiste, d'un sens de l'observation digne de Sherlock Holmes. Il sait se montrer violent et impitoyable. Rapide, réactif, plein de ressources, c'est le James Bond des mustélidés de cette réalité alternative, dans laquelle l'homo sapiens est « une espèce de chimpanzés glabres qui a évolué dans la ville d'Angoulême, près de Bordeaux. Ils n'ont jamais eu accès aux droits civiques. »

Dans Grandville, on trouve de nombreuses références à la BD française, outre celle citée ci-dessus. L'une d'elles donne un des plus beaux passages de l'album, clin d'œil ironique, hommage insolent à Tintin : un fox terrier opiomane qui, au fond d'une fumerie sordide, se rêve dans le rôle de son double dans l'œuvre d'Hergé.

Bryan Talbot est sans doute connu en France pour son travail sur trois Sandman. Son Grandville pourrait – devrait ! - lui offrir un public plus large, celui qui aime Blacksad. On est loin certes du polar animalier, hard-boiled et classieux de Guarnido ; ici, on nage en plein steampunk. Grandville, c'est l'autre nom de Paris, capitale charbonneuse d'un empire napoléonien dirigeant l'Europe qui a prospéré tout au long du XIXe siècle. Sarah Blaireau triomphe aux Folies Bergères, la République socialiste de Grande-Bretagne est indépendante depuis 23 ans. La technologie de la vapeur fait voler d'étranges vaisseaux dans les cieux enfumés et anime des robots.

Après une introduction qui claque, immersive et pyrotechnique, digne des meilleurs blockbusters hollywoodiens, l'album s'ouvre sur une ambiance très Conan Doyle avant l'arrivée de LeBrock à Paris. Celle-ci constitue le début d'un crescendo passionnant, parfaitement rythmé et organisé, tant dans l'action que dans la taille de l'affaire peu à peu élucidée par le détective de Scotland Yard. Polar, SF, aventure d'espionnage, l'absence de temps morts de Grandville n'empêche pourtant pas Bryan Talbot de donner à son univers une substantialité étonnante grâce à son sens du détail dans la reconstitution historique, à la caractérisation très efficace de ses seconds rôles par le choix des animaux anthropomorphisés, au jeu des ressemblances/divergences entre notre réalité et celle de son histoire, à la brutalité impitoyable de son héros et à une identité graphique très personnelle.

Avec son encrage et ses découpages comics, ses couleurs volontairement artificielles, ses balancements entre pénombres et éclats de lumière, son hommage appuyé à Robida, à l'esthétique Belle Époque, Bryan Talbot créé une ambiance picturale qui intrigue, puis séduit et enfin accapare le spectateur - pardon le lecteur.

Grandville est enfin un bel objet, à la fabrication soignée, doté d'une postface réservée au public francophone, rédigée par Talbot lui-même dans laquelle il expose son inspiration et ses sources et détaille sa façon de dessiner. Il y annonce que la deuxième aventure de l'inspecteur LeBrock est dessinée, lettrée, en cours d'encrage. Vu le plaisir donné par la lecture de ce premier tome, on attend la suite avec impatience !
louiscanard
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste D BD BATH

Créée

le 26 févr. 2011

Critique lue 326 fois

1 j'aime

louiscanard

Écrit par

Critique lue 326 fois

1

D'autres avis sur Grandville

Grandville
Mister_Ti
9

Grandville ...

Arrivé en Janvier de cette année dans la langue de Molière, Grandville est une Bande Dessinée de Bryan Talbot se déroulant dans le Paris de la "Belle Epoque" ... enfin dans une uchronie où Napoléon...

le 25 sept. 2010

3 j'aime

Grandville
EricDebarnot
6

Deux faiblesses...

Il y a dans ce "Grandville" de nombreuses raisons de se réjouir, la première étant certainement de voir la Grande-Bretagne, pays rétif à la BD, devenir un nouveau vivier de créateurs et d'artistes...

le 19 sept. 2014

1 j'aime

2

Grandville
louiscanard
9

Critique de Grandville par louiscanard

Dans notre réalité, le Blaireau est la proie des paysans et des chasseurs qui l'accusent, à tort, de nombreux dégâts sur les cultures ou de propager la rage. Dans une autre, LeBrock est un blaireau,...

le 26 févr. 2011

1 j'aime

Du même critique

La Tour de Babylone
louiscanard
10

Critique de La Tour de Babylone par louiscanard

Je ne connaissais rien de Ted Chiang quand j'ai débuté son recueil, je le soupçonnais juste d'être américain. Je fuis les quatrièmes de couv', je ne lis quasiment aucunes des nouvelles dans Bifrost...

le 18 janv. 2011

19 j'aime

2

Jolies ténèbres
louiscanard
9

Critique de Jolies ténèbres par louiscanard

Quand une jeune écolière s'en vient mourir au fond d'un bois, en même temps qu'elle entame sa décomposition, elle engendre une peuplade entière d'homoncules qui feront du cadavre leur logis et leur...

le 26 févr. 2011

14 j'aime

2

Nimona
louiscanard
10

Nimona

L’arbre de la créativité numérique est de plus en plus luxuriant, et l’édition traditionnelle a vite appris à en récolter les meilleurs fruits. Ainsi en va-t-il de Nimona, web comic culte, distingué...

le 30 juin 2015

9 j'aime