Geronimo l'Apache s'ouvre sur une gueule de bois, celle du journaliste Clum, et s'achève sur une autre… la nôtre. Blood and Guts, les choses vont vraiment de mal en pis avec ce cycle dit de "Mister Bluberry". Après avoir commencé – et s'être achevé – de manière extraordinaire avec la déchéance morale puis la mort du héros, celui-ci ne tardait pas à être ressuscité juste pour parler de son passé pas si méconnu à un écrivain de l'Est tandis qu'hors de sa chambre se profile le fameux duel à OK Corral.


Ce tome 26 continue sur cette lancée… mais en moins bien. La partie consacrée à la rivalité entre les fratries Earp et Clanton est soporifique à souhait car nous lecteurs savons déjà que ce sont ces derniers qui sont à l'origine de l'attaque du fourgon d'or. Pire, elle vire au n'importe quoi puisque, pour une raison qui ne sera JAMAIS expliquée, il est révélé en milieu d'album que c'est le propriétaire de cet or, le banquier Strawfield, qui est le commanditaire de l'attaque et le vrai cerveau derrière toute l'opération. Voilà donc le dénommé Strawfield, jusqu'alors dépeint de façon plutôt sympathique, transformé en grand méchant de l'histoire… et pour quelle raison au juste ? Ma' Clanton semblait jusqu'alors la patronne, et cela aurait été plus original d'avoir la première véritable "méchante" de la série. Encore une occasion manquée.


C'est également à cette occasion que nous rencontrons l'homme de main de Strawfield, un grand escogriffe balafré du nom de Johnny Ringo. Souvenez-vous de lui, j'en parlerai longuement dans ma critique du prochain tome.


Tout cela ne serait cependant que vaguement barbant et irritant si Giraud ne partait pas en roue libre dans d'autres sous-intrigues. Tout d'abord, il y a Billy, "nègre" de l'écrivain Campbell, qui se transforme presque en personnage principal de l'histoire, tout cela pour s'amouracher d'une bimbo, jouer au poker avec les Earp et s'engager dans une rixe de bar avec une brute répondant au doux nom de Flap le beau. Quel est le but de tout cela, me demandez-vous ? Très bonne question, j'aimerais pouvoir la poser au regretté Moebius…


Plus nauséabond, et cela se répétera dans les deux albums à suivre: la représentation de la "Ligue de la vertu", composée d'honnêtes citoyens lassés de la corruption et des méthodes violentes des Earp. Personnellement ça me gêne beaucoup, parce que Giraud dépeint ces gens aux revendications légitimes comme des dégénérés et des puritains, alors que les Earp, les journalistes et les gens du saloon sont présentés sous un jour beaucoup plus favorable. Pour un auteur ayant orchestré la ridicule "révolte" post-68arde de la rédaction du magazine Pilote (Mâtin quel journal!), je trouve une telle prise de position franchement rétrograde. Blueberry n'est apparemment pas le seul à ne pas bien vieillir…


En parlant de Blueberry, celui-ci est toujours alité, à déblatérer sur ses premières aventures dans l'Ouest et notamment sa rencontre avec le célèbre chef apache Geronimo qui donne son nom à l'album. L'Indien légendaire est d'ailleurs le seul point commun entre les deux intrigues, puisque c'est lui qui enlève le journaliste Clum pour lui révéler ce qu'il sait sur les attaques incriminant son peuple et en réalité perpétrées par les Clanton.


Pour en revenir à leur passif, celui-ci démarre par un véritable pugilat dans un précipice rocheux, très bien mis en page par Giraud, je dois dire. L'Apache prend le dessus sur Nez-Cassé, mais refuse de le tuer à cause d'une "vision", l'un des pires clichés qui soient, sortant de nulle part. De toute manière la cavalerie arrive à ce moment, au sens propre du terme, pour exterminer la plupart des natifs et capturer les autres, dont Geronimo. Les tuniques-bleues sont commandées par le capitaine Noonan, version plus insidieuse du général Tête-Jaune, et le sergent Potter, géant chauve et grotesque, mais ni l'un ni l'autre n'auront la chance de briller.


Le reste n'a hélas pas beaucoup plus d'intérêt que l'intrigue consacrée à OK Corral : toujours plein comme une barrique, Blueb' se retrouve lui aussi dans un bagarre de saloon avec Potter avant de frapper un autre officier venu remettre de l'ordre, ce qui lui vaut d'être jeté au trou… où l'attend Geronimo l'Apache.


Si on m'avait dit qu'un album de Blueberry marquant sa rencontre avec le plus célèbre chef indien de tous les temps serait si… eh bien, mauvais, j'aurais refusé de le croire. Mais franchement, il n'y pas grand-chose à sauver de ce tome 26, c'est vraiment l'heure de la déchéance pour un Giraud vieillissant. Je continue de penser que la série aurait dû s'arrêter avec Mister Blueberry, mais au moins y avait-il quelques promesses dans Ombres sur Tombstone.


Ici… c'est le bordel. J'ai déjà évoqué les aléas scénaristiques, notamment le manque de cohérence entre l'intrigue de Tombstone et celle de Fort Mescalero, mais d'une manière générale je dois dire que Geronimo l'Apache est déplaisant à lire. Je ne sais si c'est le dessin de Giraud qui régresse à vue d'œil, les couleurs criardes, le running gag des vomissements de Billy, le décalage entre citoyens innocents présentés comme des imbéciles et hommes de loi fascisants présentés comme des héros, ou tout cela à la fois, mais je suis toujours soulagé quand je ferme cet album. Si vous voulez voir un bon récit consacré à Geronimo et à son rapport avec les blancs, je vous recommande plutôt le biopic avec Wes Studi !


Pourvu que l'album suivant rehausse le niveau…


Oh. Bloody. Hell.

Szalinowski
3
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le 2 avr. 2019

Critique lue 280 fois

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