From Hell
7.8
From Hell

Roman graphique de Alan Moore et Eddie Campbell (1991)

Harcelé depuis des mois par les jeunes loups du site pour découvrir enfin leur génie ultime, leur dieu, leur prophète, le mirifique Alan Moore, j'ai d'abord essayé un horrible épisode de la ligue des gentlemen extraordinaires. Ayant trouvé ça abominable, j'ai tout de même accepté de recommencer l'essai sur une de ses oeuvres majeures. Les disponibilités de ma bibliothèque ont choisi pour moi son gros pavé de 500 pages sur Jack l'éventreur...

Première impression, le dessin est immonde. Quand je dis immonde, je veux dire vraiment, un travail d'amateur, tant dans le dessin lui même que dans le cadrage... Il semblerait que les idolâtres de l'oeuvre soient d'accord en partie là-dessus, ce qui, dans une absence de logique confondante, ne les empêche pas d'attribuer à cette horreur la note la plus parfaite...

S'il n'y avait que le dessin de raté, j'aurais peut-être compris l'adoration portée au scénariste, hélas, l'histoire n'est pas dénuée de défauts effarants.

Sorte de best-of abracadabrantesque de toutes les théories lues et relues vingt fois sur le bon Jack, le volume ne pourra passionner que les gens totalement incultes sur le sujet et aptes à avaler les couleuvres les plus gigantesques.
Remake mal assumé d'un téléfilm avec Michael Caine sorti trois ans plus tôt avec un certain succès, l'auteur rajoute juste trois ou quatre couches bien épaisses de franc-maçonnerie et enlève toute la partie sur le docteur Jeckyll dont il se moque d'ailleurs en annexe. Ca ne l'empêche pas bien sûr d'assumer de son côté toutes les références un peu gratuites que l'on voit habituellement : Oscar Wilde et Elephant Man, principalement, avec un inintérêt constant.

La pauvreté psychologique du héros est telle que l'auteur parvient à nous rendre complètement indifférent à ce qui se passe sous nos yeux. Un comble lorsqu'il s'agit d'un des mystères les plus palpitants de notre histoire récente... L'intolérable imbécillité du scénario se joue de toutes les difficultés avec un Deus ex machina grotesque : les francs-maçons. A force de tirer sur cette corde, nous avons le droit aux scènes les plus ridicules, comme ces situations où, finalement, la moitié de la ville semble au courant d'une des énigmes policières les plus ténébreuses qui soient, où les flics regardent l'assassin accomplir son oeuvre sans sourciller, où la reine lui demande personnellement des détails sur ses crimes et autres stupidités qui réjouiront les âmes simples et peu exigeantes qui pullulent sur ce site.

A propos, pour paraphraser le vieux Jules, les gens qui disent du bien de ce livre m'ennuient avant même qu'ils aient ouvert la bouche, je préfère les prévenir d'avance...

Je vous fais grâce des moments pitoyables de flashs dans le futur, de tentatives pour expliquer tout le vingtième siècle à partir de ces faits divers et toutes ces théories prétentieuses qui ne font que révéler l'incapacité de l'auteur à comprendre une époque et un monde trop éloigné de lui et sa propension à ne pas pouvoir situer les barrières du grotesque qu'il franchit avec un naturel désarmant.

Que dire sinon sur ce qui semblait le plus facile à faire, réussir une ambiance, Londres fin dix-neuvième, Whitechapel, ça devrait sentir les trognons de pommes rances, le sperme séché et l'alcool frelaté... Hélas, peu aidé par un dessinateur sans talent, l'auteur échoue aussi à tirer quelque chose de son sujet. On relève plus d'anachronismes vulgaires, de vaines et déplacées tentatives féministes et d'ennuyeuses descriptions que de sensations crédibles.

J'oublie aussi de vous parler de la fin, terrifiante de n'importe quoi prétentieux, et je me demande bien à qui je pourrais conseiller un échec aussi définitif.
J'aime trop mes amis pour leur proposer une telle torture et je ne me connais guère d'ennemis, possédant un fond bonhomme et pacifique qui me préserve depuis toujours de ce genre de choses...

En tout cas, jeunes loups sans goûts et à l'admiration mal placée, inutile de continuer à me conseiller votre idole si décevante, je n'ai pas l'intention de m'infliger un nouveau supplice avant longtemps.
Torpenn
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le 12 déc. 2011

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Torpenn

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