Frieren
7.2
Frieren

Manga de Kanehito Yamada et Tsukasa Abe (2020)

Frieren, ou comment échouer à transformer votre idée ?

"Primé de nombreuses fois au Japon pour la beauté de son trait et la justesse de ses personnages, Frieren offre un regard neuf sur l'heroic fantasy ! Dans cet univers à la fois touchant, poétique et enthousiasmant, vivez "l'après" sur les traces d'une elfe à la recherche du sens de l'amitié."

C’est en ces mots de l’éditeur Ki-oon que se conclue la 4e de couverture des tomes de Frieren, et ce sont ces mots qui me viennent à l’esprit après avoir lu les après avoir lu les 4 premiers tomes (et les dizaines de chapitres suivants, mais il ne faut pas le dire). Parce que j’ai vraiment du mal à y croire.


Commençons par le plus évident : le trait. Là où tous louent sa finesse et sa grâce, je ne vois qu’un style quelconque, pas mauvais mais si tristement représentatif de ces dizaines de mangas de fantasy, adaptations de light novels ou autres isekais, dessinés à la tablette, au character design quelconque et au style souvent banal.

Pour être honnête, même si le dessin numérique permet des planches fournies, je ne pense pas pouvoir distinguer à l’aveugle Frieren du premier isekai venu.


Mais plus que le dessin en lui-même, certes banal, mais non désagréable - je ne m’y serais pas étendu si il n’y avait pas eu autant d’éloges - c’est surtout le découpage qui déçoit. Là encore, c’est cousu de fil blanc, sans prise de risques ni originalité, et ça pose ici un souci.

Car si la platitude du trait n’est pas réellement problématique – c’est plus une non-qualité qu’un vrai défaut pour ma part-, la faiblesse du découpage l’est : lorsqu’on veut évoquer le passage du temps sur quelques cases, il ne suffit pas d’aligner les panels représentants les péripéties de nos protagonistes – et de temps à autres simplement indiquer le temps écoulé par un dialogue, ou pire par une case type "6 mois plus tard" - mais bien de réfléchir à une mise en scène, une idée, une façon de marquer la fuite du temps et sublimer la mélancolie (tâche ardue, mais par exemple très réussie par l’auteur de Chainsaw Man, qui dans un style de découpage similaire (format de cases qui se répètent sur plusieurs page, sans dialogues), a très joliment réussi à montrer le passage du temps dans Look Back).


Car oui, Frieren, c’est soi-disant "le manga mélancolique". Voyez-vous, il suit le cliché de la fantasy, mais avec un twist : on ne suit pas la quête d’un groupe hétéroclite qui va finir par sauver le monde, mais bien l’après, parce qu’il l’a déjà sauvé, ce monde. Et cela lui a pris 10 ans - une broutille donc, pour cette elfe dont la longévité exceptionnelle affecte sa vision du temps. En tout cas le pensait-elle, car à la mort du héros


Petite parenthèse : oui, le héros qui a sauvé le monde s’appelle le héros, ils ont terrassé le roi des démons qui s’appelle le roi-démon, et je ne peux que m’attrister de ce manque d’effort, si commun dans les mangas de fantasy (genre, on le rappelle, qui doit ironiquement tout à un philologue), qui selon moi est représentatif du peu d’attention aux détails de ces œuvres.


à la mort du héros, disais-je, elle se rend finalement compte de l’importance de ces moments passés en sa compagnie, de tout ces instants fugaces de bonheur, et la tristesse l’accable. Après cette révélation, et avoir pu profiter un peu plus de la compagnie de ses autres compagnons, eux aussi vieillissant – elle ne les avait revue qu’une poignée de fois jusqu’ici -, elle décide de se relancer dans une quête dont on oublie vite le but mais qui est vaguement lié à l’âme du héros décédé (qui se trouve être située, coïncidence édifiante, dans l’ancien palais du roi-démon).


Et pour cela, elle va évidemment s’entourer d’un groupe d’aventuriers hétéroclites, combattre des monstres et vivre pleins d’aventures, refoulant le même chemin qu’à l’époque. C’est ainsi que le pitch originel devient un simple gimmick, glissé ça et là dans un manga de fantasy finalement très classique, et toute la réflexion sur le passage du temps devient plus risible qu’autre chose (à l’instar de cet encart à chaque début de chapitre : Location, XX ans après la mort du héros, qui devient très lourd). Pire encore, le gimmick devient presque une excuse pour le moindre effort, puisque les combats, rencontres et autres aventures sont souvent balayés en une seule case (et dans un découpage non maîtrisé, comme dit plus haut).


Le manga se laisse tout de même lire : il maîtrise ses codes, se parcourt facilement et est parfois prenant. Mais le présenter comme le renouveau de la fantasy, dont l’originalité et la finesse du propos émeut autant que la beauté du dessin,semble totalement hors de propos lorsqu’on s’aperçoit que le manga, passé les premiers chapitres, n’est qu’une énième aventure, à la narration lourde et au dessin quelconque, d’un groupe d’aventuriers lambda dans un monde médiéval-fantastique cliché.

Otozno
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le 29 sept. 2022

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Otozno

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