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Moebius ayant émis des réserves sur le scénario préparé par Jodorowsky pour la suite de "Après l'Incal", il a finalement décidé de débarquer de l'aventure, et Jodorowsky se retrouvait sans dessinateur pour prolonger sa série légendaire. Le Maître chilien décide de reprendre le récit à zéro en le remaniant, et il parvient à entraîner dans l'aventure José Ladrönn, un dessinateur mexicain, connu seulement jusque là pour quelques publications chez Marvel. Donc, Ladrönn va redessiner depuis le début ce que Moebius avait fait dans le tome 1 de "Après l'Incal", pas exactement la même chose, puisque le scénario a été remanié. De cette nouvelle version intitulée "Final Incal", trois volumes sont sortis à ce jour : "Les Quatre John Difool" (2008), "Louz de Garra" (2011), et "Gorgo-le-Sale" (2014).


Ce n'est qu'après s'être lancé dans ce projet que, sur les instances probables de l'éditeur ("Les Humanoïdes Associés"), contrarié de voir que le tome 1 de Moebius resterait sans suite (ce qui altérerait les ventes d'une oeuvre de l'illustre dessinateur), Jodorowsky a demandé à Ladrönn de dessiner la suite non remaniée de "Après l'Incal", et c'est ce tome 2, dont le sous-titre (et seulement le sous-titre, pas le titre de la série) est "Final Incal", que nous avons en mains ici. Pour ceux qui n'auraient rien compris à ce mêli-mêlo, disons que cela ne jette aucune suspicion sur leurs capacités intellectuelles, parce que c'est de la magouille gluante à des fins éditoriales, et d'ailleurs l'éditeur s'adresse à eux dès la page de garde de ce volume, reconnaissant qu'on a du mal à s'y retrouver...


Avec une attention minimale, on se rend compte rapidement que le titre et le sous-titre se contredisent : si on est "Après l'Incal", c'est qu'il n'y a plus d'Incal du tout, non ? Ben si, il y en a un, et ce doit être celui-là qu'on appelle le "Final Incal". Lequel "Final Incal" est simplifié : ce n'est plus exactement une Merkaba mystique comme dans la série-mère (une étoile de David 3D, deux pyramides encastrées l'une dans l'autre en sens opposé), mais une simple pyramide lumineuse qui se balade, avec une prédilection marquée pour les entrailles digestives de Deepo, la "mouette à béton" sympa de John Difool.


Trois mouvements assez différents dans cet épisode, que l'on peut pressentir d'ailleurs dans les sous-titres des réécritures citées ci-dessus :



  • John Difool se retrouve en présence de trois individus constituant autant de réalités alternatives ou potentielles de lui-même (ce qui fait bien "Quatre John Difool") : sa version de lui-même en jeune et beau (fort, séduisant, mais vaniteux et narcissique); un gourou de caricature style "Hare Krishna" (âgé, robe blanche, collier de fleurs, semant des "Om" un peu partout, mais visiblement pas très dégagé des passions terrestres); et une sorte d'ange ailé, aux points de vue pacifiques mais pas trop quand même, qui sert commodément de véhicule protéiforme à cette quaternité mystique de clones, comme le faisait la Merkaba de Solune auparavant. On dispose là de l'écho humanisé des quatre élémentaux qui se disputaient la personnalité de John Difool dans la série-mère : manifestations symbolique de l'homme dissocié, écartelé entre ses passions et ses peurs, dont il devra faire la synthèse et surmonter les obstacles. Cette quaternité renvoie au carré, symbole de la matérialité terrestre.

  • La visite de la planète-pirate, occasion de mettre en scène les "trois gunas", affreux monstres destructeurs; rappelons que les "trois Gunas" existent vraiment dans la pensée indienne (sattva - rajas - tamas), mais, à part "tamas", leur signification n'a pas grand-chose à voir avec les créatures effrayantes mises en scène ici.

  • Le retour de l'Incal et de ses bons conseils, avec le rapprochement de John Difool et de la pulpeuse "Louz".


La sexualité, généralement fréquente et assez perverse chez Jodorowsky, fait le service réduit dans cet épisode : si on en écarte l'amour de John Difool pour Louz (aussi garce envers le borné détective qu'a pu l'être Animah dans la série-mère) pour cause de romantisme initiatique peu érotique, il reste le viol d'un ange (pas trop angélique tout de même) et l'engrossement ultra-rapide de femmes par les trois gunas, qui rappelle assez les habitudes sexuelles d'Alien.


L'intrigue générale suit l'amorce exposée dans le tome 1 : la lutte entre, d'une part, un méchant "Prez" (Président) qui veut supprimer la vie en transférant toutes les âmes dans des robots (symbole transparent de l'hystérie technologique héritée de l'âge industriel), et dont le slogan assez hitlérien est "Ove Benthacodon"; et, d'autre part, tous ceux qui veulent rester "bio" : Difool et ses compagnons, les aristos locaux, les forces "positives" (dont un certain"Elohim", le Dieu de la Genèse lui-même), et même les affreux "Techno-Techno", avec lesquels "Elohim" esquisse une alliance (confusion des contraires assez évidente).


Ladrönn se montre à la hauteur lorsqu'il dessine des formes insolites ou inquiétantes - qui abondent ici. Le "centre de vie" qui ouvre le volume est raffiné : globe strié hérissé de boursouflures régulières, et dont émergent des pédoncules style germes de pommes de terres, le tout dans une nuée de mouches géantes. Plus loin, les "vampires noirs", les "trois gunas", à la fois arachnéens, métalliques, hérissés de piquants, multipliant les pattes aux articulations enflées et les tentacules meurtriers sont répugnants à souhait; par opposition, les formes douces, lumineuses et lisses des instances divines (les "Archanges Blancs") doivent leur fadeur relative au fait qu'ils émanent d'une dimension supérieure où le regard a du mal à se frayer une voie.


La représentation de la "planète-pirate" (pages 23 et suivantes) est fort réussie : à l'orangé et aux bleus froids dominants jusqu'ici succèdent soudainement de beaux verts subaquatiques, abritant une belle cité à dômes et à coupoles ornés, colonisée par des champignons géants et des mouches confortables, ainsi que de curieux organismes flottants diaphanes, dont le rose et le bleu tranchent sur le reste de la gamme chromatique en évoquant l'innocence et la paix végétative. Le "techno-champignon" et les écrans holographiques de la cité-techno (page 53) sont convaincants.


D'une manière générale, Ladrönn réussit presque parfaitement ses reflets, dégradés lumineux et rendus de textures et de 3D; sauf que la perfection de ses touches de couleurs rencontre ses limites; ses traînées laiteuses de vapeur, ses étoiles brillantes sont perçues avant tout comme des applications de peintures, et n'ont pas cette précision de détail qui transporte le lecteur dans un autre univers.


Du beau spectacle, au service d'une intrigue très "science-fiction", ne perdant jamais de vue le substrat mystique et initiatique.

khorsabad
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le 14 mai 2015

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