Adaptation trop sage et trop fidèle

Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre, 5 histoires courtes en fait. Il constitue l'adaptation du film à sketch du même nom : Creepshow (1982) de George A. Romero (1940-2017), sur la base d'un scénario original de Stephen King. L'adaptation a été réalisée par Bernie Wrightson (1948-2017) pour les dessins et l'encrage, avec une mise en couleurs de Michelle Wrightson. La couverture a été réalisée par Jack Kamen, un des artistes réguliers des EC Comics.


La fête des pères, 11 pages : dans le grand salon de la demeure des Grantham, Sylvia Grantham, Cassandra Grantham, Nathan Grantham et Hank Blaine prennent le thé en dégustant des scones. La conversation débouche sur l'arrivée de tante Bedelia Grantham à quatre heures pétantes. Hank demande si c'est bien elle qui a tué Richard Grantham et Sylvia confirme qu'elle a éclaté le crâne de son père avec un cendrier en verre. D'ailleurs Bedelia arrive au volant de sa voiture dans la propriété ne conduisant pas d'une manière assurée, et pour cause, elle est en train de boire à même la bouteille, un alcool fort. Elle se gare à proximité des tombes. Pendant ce temps-là, les membres de la famille racontent à Hank que Richard Grantham était un invalide tyrannique et qu'il a fait assassiner son fiancé. La mort de Jordy Verrill, 11 pages : quelque part dans une région rurale des États-Unis, Jordy Verrill, un jeune homme, regarde une météorite passer dans le ciel. Il se rend à son point de chute et la touche avec l'extrémité des doigts, mais se brûle. Il se voit déjà en train de la vendre au département des sciences de l'université, marchandant sur son prix, avec un professeur qui refuse de payer ce qu'il demande. Toujours en réfléchissant à comment en tirer un bon prix, en le revendant à quelqu'un d'autre, il verse un sceau d'eau froide dessus pour abaisser sa température, et la sphère rocheuse se fend en deux.


La caisse, 20 pages : Mike Latimer, un homme de ménage, est en train de passer dans l'aile scientifique de l'université d'Horlicks. Il s'arrête pour tirer une pièce à pile ou face : la pièce retombe par terre et roule dans un réduit sous l'escalier. Il se penche pour essayer de la récupérer, éclaire avec sa lampe torche pour y voir quelque chose, et constate la présence d'une caisse avec une inscription évoquant une expédition arctique de 1834. Il décide d'appeler le professeur Dexter Stanley pour l'en informer. Celui-ci est à une réception dans un jardin, avec son collègue Henry Northup qui voit son épouse Wilma draguer sans vergogne un autre invité. Stanley décide de quitter la fête pour aller aider Latimer à récupérer la caisse et l'ouvrir. Un truc pour se marrer, 10 pages : Harry Wentworth n'a plus que la tête qui dépasse du sable, sur une belle plage, et la marée est en train de monter. Il entretient une relation extraconjugale avec Becky Vickers. Or Richard Vickers s'est aperçu de leur petit jeu et il a piégé sa femme, puis diffusé une bande enregistrée dans laquelle elle demande à Harry de lui venir en aide. C'est ainsi qu'il a pu également attirer Harry dans un piège. Ça grouille de partout, 10 pages : Upson Pratt est un homme richissime d'une soixantaine d'années qui vit seul dans un luxueux appartement tout blanc. Ce soir-là, il vient de se lever de son fauteuil pour pulvériser une grande quantité de produit anti-nuisible sur un cafard qui vient de passer par terre devant lui. Il appelle ses bureaux et tombe sur George Gendron à qui il demande d'envoyer une entreprise de désinfection séance tenante, alors que son employé souhaite lui parler d'une OPA hostile sur l'entreprise Pacific Aerodyne.


Voilà une adaptation qui a priori a tout pour plaire. Pour commencer, il s'agit d'une adaptation d'un film à sketch dont l'ambition affichée est de rendre hommage aux bandes dessinées EC Comics, maison d'édition américaine fondée en 1945 par Max Gaines, qui connut son heure de gloire durant la première partie des années 1950 avec des anthologies d'horreur comme The Crypt of Terror, The Vault of Horror et The Haunt of Fear. Ces récits suivaient une structure formatée : généralement 8 pages, avec une courte introduction par un personnage horrifique de type sorcière ou monstre, une histoire à chute, avec une forme de justice immanente ou de morale, et parfois des calembours macabres. Le réalisateur utilise exactement le même format avec l'intervention de Creep, un vieillard encapuchonné avec des rides l'enlaidissant, des jeux de mots un peu faciles, et une morale assez tordue, pas vraiment conforme à celle judéo-chrétienne. Les intrigues ont donc été confiées au maître de l'horreur, Stephen King, alors âgé de 35 ans. Lui aussi se calque sur les conventions des comics EC. Le premier récit est donc une histoire de vengeance, avec un individu revenant d'outre-tombe. La seconde met en scène la transformation horrifique d'un être humain. La troisième repose sur une créature dévorant des êtres humains, la quatrième sur une vengeance en forme de meurtre, et la dernière sur une obsession qui tourne à la folie mortelle.


Ces cinq contes horrifiques se lisent facilement et sont sympathiques, mais avec une horreur qui ne se prend pas au sérieux. L'histoire de revenant joue sur le grotesque avec un vieillard acariâtre réclamant son gâteau, la seconde sur le fait que Jordy Verrill est un peu lent du cerveau, la troisième sur un grosse bébête pleine de dents, la quatrième sur une méthode de meurtre un peu trop spectaculaire, et la dernière sur une vraie phobie mais exagérée. Le lecteur peut ressentir le fait que l'auteur intègre une saveur parodique à sa narration, ne cherchant pas à faire peur au premier degré. Ça peut être déstabilisant, parce que d'un côté certaines histoires auraient pu fonctionner au premier degré, et parce l'hommage tourne court. En outre, l'adaptateur (son nom n'est pas explicite, vraisemblablement Wrightson) essaye d'écrire à la manière des EC Comics, c’est-à-dire avec des phylactères et des cartouches souvent explicatifs pour essayer d'instaurer un ton. En plus il reprend l'idée d'hommage amusé, avec les commentaires mi-cyniques, mi-moqueurs de Creep, mais en fait assez plats. Du coup, la narration donne une sensation vieillotte, s'adressant à de jeunes lecteurs, désamorçant la dimension horrifique des histoires.


Un peu déçu par l'orientation donnée par George Romero à son hommage aux EC Comics, et par les intrigues de Stephen King, un peu trop linéaires, le lecteur se dit qu'il va se rabattre sur la prestation de l'artiste, un maître en matière d'horreur gothique, avec son adaptation du roman de Mary Shelley Bernie Wrightsons Frankenstein ou ses récits pour le magazine successeur spirituel d'EC Creepy Presents Bernie Wrightson . Effectivement le dessinateur est plutôt en forme et a eu le temps de soigner toutes ses pages. Il croque des visages plutôt sympathiques, jouant sur les expressions veules et les petites exagérations, en phase avec la tonalité sarcastique des commentaires, et le comportement méprisable de la plupart des personnages. Il prend le temps de représenter les décors très régulièrement avec un niveau de détails satisfaisant : les fauteuils confortables du salon, les fenêtres à croisillon, les pierres tombales, la maison à étage en bordure de champ, avec la pompe à essence devant, la décoration surannée et fanée de la pièce à vivre de la maison de Jordy Verrill, la maison confortable des Northup, les veines du bois de la caisse, les vagues et le courant, les pièces blanches aseptisées de l'appartement d'Upson Pratt.


Au fil de ces 5 sketchs, le lecteur apprécie quand Bernie Wrightson se départit d'une narration très naturaliste pour appuyer une ambiance avec un effet. Il retrouve par endroit la verve macabre de l'artiste : l'infirme frappant son fauteuil avec sa canne avec hargne, pour se faire obéir de sa fille, les expressions de visage de Jordy Verrill attestant qu'il est un peu simplet, l'aspect à la fois bucolique et angoissant de sa maison recouverte d'herbe, la dentition acérée du monstre dans la caisse, la chair en décomposition de Becky Vickers et d'Harry Wentworth. Dans ces moments-là, il retrouve son inspiration d'horreur gothique qui fit sa renommée. Il semble également être beaucoup plus à l'aise dans les 2 derniers récits. Pour une partie du quatrième, les prises de vue se font à la hauteur de la tête d'Harry Wentworth, la seule partie de son corps qui dépasse de la surface du sable, pour un effet très réussi donnant la sensation au lecteur d’être lui aussi ensablé jusqu'au cou. Dans le dernier, sa direction d'acteur fait apparaître comment Upson Pratt perd peu à peu sa maîtrise de lui-même, sa phobie des cafards gagnant du terrain, pas forcément de la manière dont s'y attend le lecteur.


Difficile de résister à l'attrait de l'adaptation d'un film de Romero, avec un scénario de Stephen King, réalisée par Bernie Wrightson. À la lecture, il est compliqué de dire à qui s'adresse ces récits oscillant entre la parodie du récit d'horreur à chute, surtout du fait des textes un peu balourds, et entre le premier degré horrifique. Bernie Wrightson réalise des planches soignées mais où il semble qu'il est soit en mode fonctionnel, soit il s'est retenu pour ne pas trahir l'esprit du film, alors que des dessins plus dans son registre habituel macabre et gothique auraient apporté une saveur irrésistible a priori compatible avec l'esprit des auteurs.

Presence
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le 26 nov. 2020

Critique lue 54 fois

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