L’inconvénient des petites communautés telles que Notre-Dame-des-Lacs, où tout se sait et tout se partage, c’est que les affaires intimes ne sont pas souvent intimes. On est beaucoup plus à l’abri, dans la jungle des villes, où tu peux crever dans ton clapier au vingtième étage, sans que personne n’en sache rien, avant que l’odeur ne fasse son œuvre.

Marie, qui héberge un étranger, est donc censée coucher avec lui, et les vieilles rosses de bénitiers du hameau somment Réjean, le jeune curé, d’user de son influence pour que tout cela se « régularise ». On a l’air de trouver cela normal parce que nous sommes habitués, mais quoi de plus révoltant que ces singeries maniaco-légales, qui prétendent s’investir d’autorité dans ta vie de cœur et de cul ? Marie-toi, et après tu feras tes cochonneries en plein accord avec le regard des vautours moralisateurs qui n’ont que ça à foutre.

Marie et Serge sont super-embarrassés de ces sommations, on s’en doute, et le bredouillement de leurs réponses est tout d’abord opportunément noyé sous les braillements du banquet de baptême qui se déroule au bon moment. Marie, travaillée par ses sentiments, et, comme le dit l’observateur de l’au-delà, « par le ventre », taquine Serge en se roulant dans l’herbe avec lui, lequel Serge, bien sûr, n’est pas intéressé... Alors, il faut bien s’expliquer et se confier pour faire avancer les choses ; entre Serge et Marie, d’abord, dont les confessions au clair d’une lampe à pétrole ont un petit quelque chose de Georges de La Tour ; ensuite, entre Marie et le jeune curé, qui l’entend en confession, et qui est si ébahi de la vérité qu’il doit rejoindre Serge afin de s’abrutir en tapant avec un marteau afin de construire le pont d’un bateau... La vérité entre hommes viendra de la consommation de plusieurs « petites prunes »... Mais Marie a visiblement des « envies de ventre », et sera amenée à savoir ce que signifie « se mettre dans de beaux draps »....

La saveur des travaux et des jours continue à former l’assise temporelle et anecdotique du récit : traite de la vache dans l’herbe grasse, défrichement d’un bout de forêt par brûlis, labour au crépuscule sous l’œil pirate des corbeaux, prélèvement du miel dans la ruche... Page 8 et page 12, les mêmes zooms sur ces détails se succèdent à plusieurs mois d’intervalle dans le même ordre, ce qui permet d’apprécier la course du temps. Un deuil, aussi (pages 46 et 47).

Simplet (Gaëtan), pas si demeuré que ça, commence à en remontrer en matière culinaire à son patron (Serge). De même qu’il arrange bien les choses vers la fin, sans trop le vouloir... Un aveugle, pas si handicapé que cela, un poète caché, dont on nous offre la production, enrichissent le tableau de cette gentille humanité.

Et le dessin de Loisel, d’un réalisme moins négligent qu’au début, est magnifié par le savoir-faire de Tripp, virtuose des volumes et des contrastes lumineux.
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le 19 juil. 2012

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