Cat's Eye
7.1
Cat's Eye

Manga de Tsukasa Hojo (1981)

Un manga excellent bien que sans ligne directrice !

On sent qu'au fur et à mesure l'auteur a cherché à prendre différentes directions improvisées qui ne furent pas souvent très assumées. Et, comme l'animé n'est pas du tout une adaptation fidèle au manga, il faut pourtant souligner que les deux derniers tomes de la série, même si la fin semble arriver de manière accélérée et laisser des possibilités ou questions en suspens, sont fascinants. On ne relève pas le nez de la lecture, tant ils sont prenants.


Tel qu'il est édité en France, le manga compte 15 volumes. Nous suivons les aventures de trois sœurs très jolies qui tiennent un café, mais qui volent des tableaux avec le panache d'annoncer à l'avance à la police leur cible et l'heure du crime. Et le piment vient de ce que la deuxième sœur a une relation depuis le lycée avec un policier chargé de coincer les fameuses voleuses au nom de visite Cat's eye. Ce policier rapporte involontairement aux filles tout un lot d'informations favorisant les vols, mais parfois aussi la cohabitation devient risquée, sachant qu'assez tôt dans la série le policier vient habiter chez les trois sœurs.
Les histoires ne se veulent pas du tout réalistes. Les filles agissent à visage découvert et ne sont jamais reconnues. Leur café s'appelle lui-même le Cat's eye, mais cela ne fait jamais monter les soupçons bien haut, et le policier continue imperturbablement à révéler des secrets professionnels sur les affaires en cours. Par ailleurs, la plus jeune sœur est lycéenne, mais c'est elle qui de temps en temps crée des inventions technologiques et elle pilote comme pour rien des engins motorisés.
L'intérêt de la série est déjà dans le côté glamour des héroïnes avec leurs célèbres justaucorps. Rui, l'aînée, Hitomi la première cadette et Aï la benjamine sont des atouts charmes de la série. Hitomi est particulièrement fascinante, et Aï a un enjouement extraordinairement contagieux. C'est dans la mesure où elle est encore jeune et a des cheveux plus courts que ses sœurs qu'elle fait songer parfois à un prototype pour Kaori de City Hunter, mais les deux personnages sont nettement distincts : Aï est une meneuse espiègle et n'a pas tous les travers qui servent à ridiculiser Kaori dans City Hunter. La sœur aînée, Rui, est sous-exploitée, en revanche. La vedette de la série, et c'est flagrant sur les deux premiers tiers du manga, c'est Hitomi. C'est elle qui réalise les vols les plus audacieux, qui réalise les prouesses techniques, elle est l'occasion d'une avalanche de dessins sensuels de son visage, de son corps, de ses jambes...
Mais la série joue sur un autre aspect invraisemblable. Seul Aï est mineure, et Hitomi entretient une relation depuis le lycée avec le policier Toshio, sauf que leur relation est parfaitement platonique. On sent que le manga s'adresse en effet à un public de jeunes adolescents des années 80, quand il exerçait une censure un peu plus stricte des œuvres pour la jeunesse. Ce schéma doit surprendre les plus jeunes lecteurs et cette pudeur des récits de fiction du passé ne correspond plus du tout à nos critères actuels. D'ailleurs, même à l'époque, c'était étrange, et certaines cases du manga sont émaillées de remarques de l'auteur en-dessous des cases pour critiquer le fait que Toshio soit un dégonflé au moment de passer à l'acte. Bref, Toshio et Hitomi, qui ont quelques années de couple en vie adulte, ont une relation platonique d'adolescents. Et il faut qu'elle progresse. Or, autant Hitomi est une brillante voleuse, contrairement à Toshio qui se fait quand même pas mal ridiculiser (même s'il est prétendu qu'il serait bon s'il n'affrontait pas "Cat's Eye"), autant dans les moments tranche de vie du manga on découvre une Hitomi maladivement possessive et jalouse. Les deux amoureux sont finalement aussi immatures l'un que l'autre et ce qu'on découvre c'est qu'après un début de série où les chapitres montraient des actions de voleuses où les policiers étaient mis en échec, nous avons de plus en plus des chapitres développant le fond romanesque des déboires et quiproquos amoureux en laissant parfois nettement de côté le fait que nos héroïnes soient des voleuses.
On sent que ceci a posé problème à l'adaptation en animé. Il existe deux saisons en animé de la série Cat's Eye. La première saison n'adapte que les premiers volumes, et encore en les remaniant énormément, tandis que la deuxième saison a préféré partir sur des histoires inédites et conserver le schéma d'un épisode autour d'un vol avec des policiers ridiculisés. Le manga est complètement différent. A partir environ du tome 6, il s'appesantit complètement sur les relations amoureuses et les développements sont moins prononcés en ce qui concerne les vols.
Au-delà d'Hitomi et Toshio, les relations amoureuses sont étoffées par l'intervention de toute une galerie de personnages secondaires qui sont également absents du manga. Nous avons un journaliste qui est aussi un voleur, le Rat, et il connaît l'identité des trois filles. Nous avons des collègues policiers, l'un amoureux de la soeur aînée, l'autre de la benjamine, l'un l'autre s'insultant de lolicom et d'obacom (fan des vieilles). Ces personnages n'apparaissent pas dans la série animée. Nous avons le chef de la police, nous avons aussi le personnage d'Asatani, la collègue de Toshi, qui est présente dans l'animé, mais qui a ici un rôle différent et plus fouillé. C'est comme beaucoup de ses collègues policiers, une femme célibataire. On lui reproche son manque de féminité. Mais elle est aussi maladroite que Toshio et a de gros problèmes de mauvaise foi. Elle souffre de sa solitude affective et évidemment elle tombe amoureuse de Toshio en rivale déclarée d'Hitomi, et elle va connaître d'autres amours sans conclusion dans ce récit.
Il y a un autre collègue policier qui arrive assez tard et devient à son tour un personnage récurrent du manga. Il y a aussi une petite Reiko qui apparaît de temps en temps. Mais, en gros, on voit l'écart important entre la conception du manga et la conception de l'adaptation animée.
Il faut ajouter que dans l'animé Toshio n'habite pas sous le même toit que les trois sœurs, sauf le temps d'un épisode, alors que ça devient un élément décisif pour faire avancer le récit dans le manga. Et, de surcroît, nous avons une complication dans la mesure où des doutes peuvent s'installer sur la relation de Toshio à Rui, la sœur aînée, et sans spoiler il y a une très efficace mise en place d'une rivalité possible entre Rui et Hitomi au sujet de Toshio, ce qu'aggrave Aï avec son envie de provoquer des événements.
Pourquoi la série animée a-t-elle refusé de suivre le manga sur ce terrain ? La série animé devait penser à produire un récit en 20 minutes et elle était partie sur les bases du début du manga, alors que l'évolution du manga aurait encouragé à faire plus de lien entre les épisodes pour montrer l'évolution amoureuse des personnages, et surtout le public n'aurait pas retrouvé à chaque épisode les mêmes thèmes attendus : on serait passés à des intrigues autour de vols à des intrigues amoureuses. Ce changement de nature est plus acceptable dans un manga que dans une série animée qui sort un divertissement hebdomadaire. En tout cas, dans les années 80, un dessin animé qui change de nature, ce n'était pas envisageable comme ça peut l'être désormais.
Mais il y a d'autres problèmes qui ont dû encourager à ce refoulement. On sent bien que le changement de nature est lié à deux facteurs : d'abord, il fallait produire à un rythme soutenu des chapitres avec des intrigues policières réfléchies, ce qui a dû entraîner l'auteur à lever le pied avec une peinture plus portée sur les sentiments, ensuite, on voit que l'auteur s'est lancé dans une série sans avoir anticipé sa fin, sans maîtriser toute la logique du scénario.
On a un fil conducteur selon lequel les filles volent pour reconstituer la collection de leur père, qui elle a véritablement été pillée, assassinats à la clef. Mais il n'est pas évident du tout de relier autant de vols à la reconstitution d'un trésor familial. Puis, le manga ne s'attarde pas spécialement à la recherche du père disparu. On a aussi un règlement de comptes avec les responsables du pillage des collections du père, mais il est expédié au premier tiers du manga. Le personnage du voleur concurrent, Le Rat, est complètement laissé en plan. J'ai oublié de citer un vieux policier de petite taille, pickpocket et psychologique, dont on ne comprend pas très bien ce qu'il apporte. Il a été lancé, annoncé comme exceptionnel dans un chapitre, mais il est tout de suite passé au rang de personnage accessoire. Il parle, mais il n'apporte pas sa compétence de policier. L'auteur est aussi instable dans les emplois qu'il fait d'Asatani. On passe enfin à une autre intrigue : il faudra un jour que Toshio sache la vérité sur Hitomi et si un jour il sait la vérité est-ce qu'il prendra le parti de Cat's Eye. L'intrigue reprend de la saveur avec l'idée de faire passer la principale "Cat's Eye" pour blonde et étrangère. On va avoir aussi un quatrième "Cat's Eye" qui serait un homme, l'idéal d'Asatani, etc. Mais évidemment il n'y a que trois sœurs toujours. Tout est prétexte à quiproquos et scènes comiques. Hitomi est un peu cruche dans sa relation sentimentale, mais une femme fatale en tant que voleuse. Un autre aspect très négligé du manga et où l'animé est encore une fois très différent, c'est que dans les premiers chapitres les trois sœurs agissent seules, mais assez tôt dans la série elles rencontrent un allié qui connaissait leur père et qui va les aider dans leurs aventures. Mais, le personnage est mis en place pendant quelques chapitres, cela justifie des actions plus spectaculaires, mais à nouveau ça s'arrête. L'auteur fait définitivement primer les gags sur le récit de longue haleine. L'animé a tranché en faveur de l'action, puisque dès le premier épisode les héroïnes ont déjà une assistance lourde et sont des multimillionnaires qui le cachent.
L'alchimie entre action et romanesque humoristique sera mieux maîtrisée dans City Hunter. Toutefois, en-dehors de ce défaut dans la conception de l'intrigue principale, Cat's Eye offre à chaque fois un chapitre bien écrit avec un traitement touchant des vérités du cœur, comme nous aurons cela dans tous les mangas ultérieurs de Tsukasa Hojo, tant dans les histoires courtes que dans les séries longues.
Même si le mangaka reconduit un peu toujours les mêmes visages, c'est un dessinateur exceptionnel. Le premier tome sent encore l'amateurisme du début, mais il prend son envol, on voit la transition petit à petit avant la série City Hunter. Cette dernière série ne saurait dispenser de lire Cat's Eye, car Aï et Hitomi n'ont aucun équivalent féminin dans City Hunter, elles ont une construction psychologique fouillée qui n'apparaît plus de la sorte dans les autres mangas de l'auteur, et Hitomi a une sensualité assez unique qui ne sera pas purement et simplement remplacée par celle d'une Saeko par exemple.

davidson
8
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le 12 août 2021

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davidson

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