Architecte-designer de formation, le scénariste et dessinateur belge Jean-Yves Delitte n’en est pas à son coup d’essai en ce qui concerne les représentations maritimes. Peintre Officiel de la Marine, membre titulaire de l’Académie des Arts et des Sciences de la mer, il est aussi l’artificier et coordinateur de la collection les « Grandes Batailles Navales », toujours chez Glénat. Autant dire qu’avec Black Beard, il agit en terrain conquis.


Pour la mise en contexte, il y a le texte, le dessin et l’action. Le premier nous apprend qu’« au début du XVIIIe, corollaire au développement du commerce, la piraterie infecte les eaux des Caraïbes et les côtes des Amériques dans ce qui se nomme les Indes occidentales ». Le second nous montre des étendues océaniques à perte de vue et des navires esseulés, donc vulnérables, voguant au milieu des mers. La troisième rend les éléments à tout le moins inhospitaliers : les cartes maritimes demeurent imprécises, les traversées longues et périlleuses, surtout quand les vents ou la flibusterie s’en mêlent.


L’histoire de Jean-Yves Delitte, qui sera étalée sur deux tomes, est racontée à travers le récit d’un marin se disant victime d’une méprise judiciaire. C’est Daniel Defoe, l’auteur de Robinson Crusoé, qui recueille sa version des faits. Edward Teach, « Barbe Noire » (« Black Beard »), se trouve évidemment au cœur des événements : après une prise peu rémunératrice, il décide d’utiliser deux otages pour exiger du riche planteur Robert Lauwers une rançon. Parallèlement, un serviteur cherchant à s’affranchir de sa piètre condition fait valoir un carnet, précieux de par les renseignements qu’il contient, auprès de Barbe Noire. Les choses vont alors s’accélérer : « Le carnet de l’intendant donne l’ivresse et toute voile qui pique l’horizon ne peut être qu’une proie. »


Jean-Yves Delitte prend le temps d’exposer ses personnages et le contexte dans lequel ils s’inscrivent. C’est sur fond de commerce triangulaire, de « guerre marchande » et de collusions plus ou moins directes entre les pirates et la Couronne britannique que Barbe Noire mène ses actes de flibusterie. Ses compagnons de route ont voix au chapitre : il en va notamment ainsi de Benjamin Hornigold, ancien pirate devenu corsaire, présenté comme un ramasseur d’« ivrognes qui vivent d’imaginaires aventures ». En gros, Hornigold met la main sur des forbans de pacotille pour justifier auprès des Britanniques un juteux salaire qui lui permettra bientôt de se retirer sans avoir à se soucier de ses vieux jours (son principal fait d’armes restera la capture de John Auger).


Si les éléments factuels de Black Beard éclairent les figures mythiques et les situations politico-commerciales d’alors, l’intérêt de cette bande dessinée les excède amplement. Jean-Yves Delitte place l’amoralité au centre de vignettes dessinées avec soin et détails. Le pardon royal est ainsi accordé à des flibustiers aussitôt sollicités par la haute bourgeoisie pour régler ses problèmes – illégalement et par le sang s’il le faut. L’Empire britannique tolère la présence des pirates tant qu’ils se contentent de s’en prendre aux biens étrangers – une manière comme une autre de remporter la bataille commerciale. La caractérisation des personnages, bien qu’elle manque probablement de moments iconiques, est plutôt réussie : cruel et sans scrupule, Barbe Noire se défend pourtant vigoureusement d’avoir assassiné l’équipage d’un navire. Il avance ensuite avec euphémisme : « L’idée d’être un gibier me déplaît. » Car c’est cela aussi que Jean-Yves Delitte laisse entendre aux lecteurs, parfois avec humour : ses personnages, réels mais romancés, peuvent à tout moment mourir d’« une balade au bout d’une corde ».


Reste maintenant à savoir comment le scénariste et dessinateur belge va clôturer ce diptyque choral et prometteur.


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Cultural_Mind
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le 28 nov. 2020

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