Artemisia
7.1
Artemisia

BD franco-belge de Nathalie Ferlut et Tamia Baudoin (2017)

Le portrait inspirant d'une artiste peintre déterminée

Sortie au beau milieu de l'été, en marge de la traditionnelle déferlante de la rentrée, Artemisia est une petite pépite qu'il serait fort dommage d'ignorer (on sait bien que les étals de nos libraires préférés ne sont pas extensibles à l'infini). L'histoire vraie d'Artemisia Gentileschi, première femme peintre officiellement reconnue par ses pères en Italie, à la fin de la Renaissance. Le portrait d'une personnalité hors du commun qui a réussi à bousculer l'ordre établi grâce à son talent et surtout à sa pugnacité.


Ça parle de quoi ?


Artemisia a une passion : la peinture. Fille du grand Orazio Gentileschi, lui-même disciple du Caravage, elle grandit à Rome au milieu des pinceaux de l’atelier de son père, préparant ses pigments et peignant en cachette sur quelques toiles. Mais Artemisia est née femme, et dans l'Italie du début du XVIIe siècle, celles-ci n’ont guère de droits, hormis celui d’être des épouses dociles et fidèles. Interdite d’acheter du matériel de peinture et encore moins de signer la moindre toile en raison de sa condition, Artemisia choisit de se battre pour s’imposer dans ce monde misogyne et brutal, jusqu’à devenir la première femme à entrer à la prestigieuse Académie des Arts du dessin de Florence.


Pourquoi j'adore ?


Je l’avoue sans honte, je n’avais jamais entendu parler d'Artemisia Gentileschi avant d'ouvrir cet album. Car en dépit d’une exposition qui lui était consacrée au musée Maillol à Paris en 2012, cette artiste italienne reste méconnue du grand public. Et pourtant, c'est un modèle à plus d'un titre. Peintre désormais reconnue (même si on a longtemps attribué ses toiles à son père), Artemisia Gentileschi est également une des pionnières du féminisme. D'ailleurs, on la verrait aisément figurer parmi d'autres "femmes qui ne font que ce qu'elles veulent” dans un prochain volume de Culottées, la délicieusement drôle et instructive galerie de portraits imaginée et conçue par Pénélope Bagieu.


Car si Artemisia nous plonge dans l’Italie du XVIIe siècle, l’histoire que nous raconte Nathalie Ferlut est des plus modernes. Plus qu’un portrait façon Renaissance, Artemisia est le récit de l’ascension d’une femme que son époque méprise. Violée à 17 ans par le peintre Agostino Tassi, chargé de lui enseigner l’art de la perspective (!), humiliée par son père qui l’oblige à raconter son calvaire lors d’un procès visant à démontrer qu’elle n’est pas "une femelle vicieuse" mais bien une "jeune fille martyre", Artemisia ne cessera jamais de se battre contre les préjugés dont les femmes de son temps étaient victimes.


Tassi sera effectivement condamné et Artemisia, sauvée de la disgrâce grâce à un mariage arrangé par son père avec un jeune peintre florentin. Peu à peu, elle s’imposera en tant qu'artiste à Florence, où elle accédera finalement à l’Académie des Arts du dessin, jusque-là interdite aux femmes. Plus que du prestige, cette entrée remarquée lui conférera l’indépendance à laquelle elle aspire tant. Désormais autorisée à signer ses toiles et à les vendre, elle reprendra son nom de jeune fille et parcourra l’Italie avec sa fille sous le bras pour vivre de son art, sans père ni mari, mais accompagnée de sa dévouée servante Marta, la narratrice de cette folle biographie.


Racontée avec style et élégance par Nathalie Ferlut (Andersen - Les Ombres d'un conteur, Lettres d'Agathe), la vie mouvementée d’Artemisia Gentileschi est remarquablement mise en dessin grâce aux traits délicats et presque fébriles de la jeune dessinatrice Tamia Baudouin. D'ailleurs, son style graphique rappelle un peu celui du Japonais Taiyo Matsumoto, dont on a récemment pu se délecter de la série Sunny (éd. Kana) et ce n’est sûrement pas un hasard, puisque Tamia Baudouin réside au Japon. Quant à la mise en couleurs de ses dessins que la jeune femme réalise elle-même, ils sont dans des teintes qui rappellent la palette de couleurs des peintres de la Renaissance, douces et tristes à la fois.


Rappelons qu’il existe depuis 2008 un prix Artemisia, décerné par l’association du même nom, qui récompense chaque année des albums scénarisés et/ou dessinés par une ou plusieurs femmes. Cette année, le Grand prix a été décerné à Céline Wagner pour son album Frapper le sol (éd. Actes Sud - L’An 2). Et nous, on trouverait rigolo et justifié que le prochain jury Artemisia récompense (pour ses dix ans) un album intitulé Artemisia. D'ici là, les deux jeunes femmes travaillent déjà sur un nouveau projet, Dans la forêt des lilas, "un voyage un peu triste, un peu cruel mais très lumineux" dont vous pouvez apercevoir quelques planches sur le tumblr de la dessinatrice et qui devrait paraître l'an prochain, toujours aux éditions Delcourt.


C’est pour vous si…


Vous aimez les Culottées de Pénélope Bagieu mais que vous êtes frustré par ce format de portraits très (trop ?) courts qui ne font qu'effleurer une vie et une personnalité féminine remarquable et souvent méconnue. Et nul besoin d'être un adepte du Caravage pour apprécier cet album. Artemisia est avant tout le récit inspiré d'une femme qui s'est battue pour être libre à une époque où cela était quasiment impossible. Puisse Artemisia être une source d'inspiration pour toutes les jeunes filles d'aujourd'hui.


Critique publiée sur Pop Up'.

Elodie_Drouard
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le 28 août 2017

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Elodie Nelson

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