Entre les longs souffles de L’Incal et de La Caste des Méta-Barons, Alejandro Jodorowsky s’offre une respiration et s’amuse avec un récit court qu’il propose à Georges Bess. Un peu en dehors de leurs habitudes, loin de l’univers du Lama Blanc, les compères créent ici un héros cybernétique,



espion sidéral sidérant,



et développent une énième variation des univers de science-fiction hallucinés du franco-chilien. Anibal 5, ce sont les aventures simples, plus linéaires qu’à l’accoutumée, et tendrement humoristiques d’un cyborg de muscles plus que de finesse, pleines des



obsessions poétiques, sensuelles et apocalyptiques de l’auteur.



De l’espace, l’équipage disparate et caractériel d’un vaisseau anonyme largue un homme au cœur de la forêt, l’y laissant là, proie des autochtones. Amnésique, le voyageur vomit une arme avant de se réfugier au centre de la planète, où s’épanouissent les klownes, femmes sensuelles, guerrières nues, sous l’œil autoritaire de leur reine. Là-haut, le capitaine de l’équipage prend alors contact avec son espion, technologie télépathique, l’aide à recouvrer la mémoire et l’accompagne dans l’accomplissement de sa mission.


Avec l’esquisse du procédé narratif du double point de vue qui sera celui utilisé jusqu’à l’usure pour La Caste Des Méta-Barons, Alejandro Jodorowsky fait avancer l’action parfois au cœur, au plus près de son héros, ou avec le recul des supérieurs qui l’observent et le guident à chaque pas dans sa poursuite du Mandarin, sorcier lugubre qui cherche à détruire l’espèce humaine. Tapisserie sensuelle et résurgences dictatoriales, d’Adolf Hitler à Napoléon, une armée de morts pour le décorum, l’auteur parsème le récit de ses obsessions de poésie surréaliste, de l’incongrue horreur du monde qui s’épanche des plus belles fleurs, et si le scénario n’est pas extraordinaire, le rythme en survol convient au volume : pas de zone d’ombre, pas de métaphysique complexe ni de philosophie délirante.



Humour simple, absurde, et action explosive



dans un univers de science-fiction contenu, l’imaginaire sans limite d’Alejandro Jodorowsky trouve ici la simplification efficace.


Le dessin de Georges Bess est comme toujours impeccable, fourmillant de détails dans un trait fin et riche. Un art discret et intense de la narration : portraits magnifiques, découpage sensationnel et action dynamique, un régal de bande-dessinée classique dans un univers ouvert aux possibilités les plus débridées.



Des allures de space-opera



avec les principaux personnages, fortement caractérisés, aisément identifiables, la perfection des courbes sur les nombreux corps nus qui entourent le héros. L’univers est riche, dessiné avec minutie, pour le plus grand plaisir des mirettes et de la lecture.
Comme à chaque collaboration de l’auteur et de l’artiste, illustration parfaite.


Sans réelle surprise, l’excellent duo formé par Alejandro Jodorowsky et Georges Bess livre, avec le premier tome du diptyque, une introduction plaisante et entraînant aux aventures de l’espion Anibal 5, sorte de James Bond folklorique réinventé pour la gloriole spatiale. L’efficacité approximative sous la carapace de confiance du personnage se fait



reflet humoristique des vies intérieures riches de l’auteur



et le voyage sidéral dans les obsessions de ce dernier, sous les traits appliqués de l’artiste, est agréablement sensuel.

Matthieu_Marsan-Bach
7

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le 24 janv. 2017

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