Air Gear
6.1
Air Gear

Manga de Oh! Great (2002)

Jusqu'à une date récente, j'ignorais que le mot «branchitude» était admis dans le dictionnaire. Une date récente qui, figurez-vous, concorde avec ma première - et dernière - lecture de Air Gear. Ce mot, «branchitude», peut-être l'ai-je écrit un million de fois pour relever chaque idée - si on peut appeler ça des idées - propre à ce Shônen-ci. Peut-être même n'avais-je fait qu'écrire ce même mot de manière répétée et compulsive jusqu'à ce qu'enfin, je ne remarque que du sang me coulait des ongles. Sans doute que l'aspect «branchitude» aura été ici exploité déraisonnablement. Sans doute, oui.
C'est hélas un travers inhérent aux shônenneries d'usage dont les auteurs s'imaginent qu'un héros classe ne peut être qu'un héros appréciable. En ce qui me concerne et, peut-être que cela n'engage que ma modeste personne, je considère qu'un héros de Shônen appréciable se doit d'être avant tout un personnage bien écrit et approfondi.
Mais ne faites pas attention à moi, j'ai des lubies malsaines.


La branchitude... Si seulement les tares de Air Gear ne s'étaient arrêtées qu'à cela et à cela seulement. J'ai d'abord cru déceler dans ce vice le cœur nucléaire du problème récurrent que serait amené à rencontrer le fil de ma lecture puis... j'ai commencé à lire au-delà de la troisième page du premier chapitre. Ce faisant, je ne commettais pas une erreur rédhibitoire ; je lisais une erreur rédhibitoire. Une très longue erreur.
Pour prendre la mesure de ma lassitude, représentez-vous un homme - ou une femme, parce que moi aussi je peux être philogyne quand je le souhaite - glisser sur une peau de banane. Cette personne se relève et, à peine son premier pas effectué suite à sa chute, qu'elle glisse à nouveau sur une plus grosse peau de banane. Représentez-vous à présent le même scénario se répéter plus de cinq ans durant de manière ininterrompue.
Je n'en suis pas à quémander la légion d'honneur pour avoir seulement subit cette lecture, mais je vous assure, avec toute l'humilité qui me caractérise, que j'ai bien du mérite. Suffisamment en tout cas pour qu'on m'attribue une pension d'ancien combattant. Au moins.


Oubliez ce que vous savez de la spontanéité alors que chaque élan faussement impulsif du moindre personnage se veut savamment planifié et calculé afin que la plus parfaite insincérité ne soit retranscrite dans ses moindres détails, jusqu'au dernier cri faussement indigné. Oh! Great, l'auteur, (aucun commentaire sur le nom) ne dessine pas un manga, il applique une formule pré-conçue. Air-Gear est de ces mangas lyophilisés dont la recette tient dans un sachet de poudre. Le goût est dégueulasse, mais il faut ce qu'il faut pour faire un repas quand les temps sont rudes. Et depuis la fin des années quatre-vingt-dix, pour l'édition Shônen, la quête d'auteurs dignes de ce nom se sera voulue aussi laborieuse que vaine. La disette n'en finit pas et le lectorat en est réduit à sucer des cailloux. Et même pas des cailloux de qualité.


Le personnage principal a, pour postulat initial, le privilège de vivre en compagnie de quatre demoiselles. Connaissant par avance ce qu'impliquent pareilles dispositions quand une entité simiesque tient la plume, je devinais que le licencieux tapisserait jusqu'à la dernière case d'Air Gear. Je crois que même le dernier des pornographes aurait renoncé à seulement s'abaisser à écrire un pareil scénario de peur qu'il ne soit trop convenu. Air Gear peut se targuer de ce niveau de subtilité quant à l'abondante et exaspérante présence de ecchi graveleux et immature au possible. Merci monsieur Oh! Great mais... étant familier avec le concept du nichon, je crois qu'il n'est nul besoin d'épiloguer sur le principe en multipliant les situations faussement cocasses. À ainsi vous déverser dans la débauche, vous ne stimulez aucun organe sous ma ceinture si ce n'est mon genou que je serais disposé à vous incruster dans la mâchoire jusqu'à ce que ma rotule ne fatigue.
Si j'en suis - à demi mot - à menacer de violence un auteur, c'est qu'il se pourrait qu'il ait commis quelques bévues quant à la narration de son œuvre et ce, pour ne pas dire qu'il ait foiré son manga de A à Z. Nous n'en sommes pour l'instant qu'à la lettre B comme Boobs. À ce compte-là, l'alphabet vous paraît le bout du monde.


Nous sommes présenté à un dessin particulièrement travaillé et épuré qui ne nous remet entre les mains que le spectacle de belles figures d'où transpirent l'aseptisation déchaînée d'un auteur aux idées plus lisses encore que les visages qu'il dessine. Ça peut plaire sans se vouloir effectivement plaisant. Là encore, l'auteur applique une recette jusque dans son tracé. Air Gear est le meuble Ikea du manga. Notez bien qu'il est loin d'être le seul, mais il est de ceux qui se construisent en suivant une notice dont il faut respecter chaque étape et ne déroger à aucune instruction au risque de se montrer malencontreusement original. Vous parviendrez alors, en tant qu'auteur, à bricoler à un manga pré-conçu d'où n'émanera pas la moindre forme de créativité et encore moins d'authenticité mais sur lequel vous pourrez cependant vous reposer. Pas longtemps cependant ; car l'inconvénient du procédé Ikea veut que la qualité du produit laisse généralement à désirer au point de s'écrouler sous le poids de sa médiocrité après avoir été bâti à partir de matériaux non moins piteux. Il ne nous faudra toutefois pas attendre que pointe l'apogée avant que ne se profile l'inévitable démesure puisque nous entamons de toute manière l'histoire par une chute libre. À aucun moment vous ne pourrez tomber de haut durant votre lecture puisque vous serez déjà en-dessous de tout avant même d'aller où que ce soit. Avec les Air Trecks, on vole, avec Air Gear, on plonge.


Et pourtant, Air Gear aurait pu être une bonne idée. C'est ce que l'on aime dire des foirades pour sauver l'honneur, mais d'honneur, ici, il n'y en a point. La remarque se veut sincère.
Lorsque l'on a lu myriade de mangas sportifs, on ne peut s'empêcher de remarquer la redondance d'une œuvre à l'autre. Le plagiat ou le manque d'inspiration y est généralement moins à blâmer que le contexte sportif en lui-même. Une fois que vous avez appris les bases du basket dans Slam Dunk, vous ne les réapprendrez pas avec Kuroko no Basket ou I'll. Dès lors où il s'agit de se démarquer dans un manga sportif, la tâche est ardue en ce sens où elle requiert au moins une certaines habileté d'écriture voire de dessin. On peut se singulariser par l'originalité de l'apprentissage du sport décrit et du rendu des entraînements et des matchs.
À défaut de fournir cet effort, on peut aussi choisir un sport qui n'aura jamais été exploité dans un autre manga auparavant. Or, les pistes de nouveaux sports à exploiter commencent à se faire rares. Mais ce cadre limité du Shônen-sportif peut-être simplement pulvérisé par une bête bifurcation transversale si l'on opte pour le parti pris d'un manga sportif reposant sur un sport fictif. Dès lors, les opportunités sont infinies. Air Gear se veut - à ma connaissance - l'un des seuls Shônens-sportifs de cette engeance. Le malheur aura voulu qu'il soit abominablement mal exploité. L'idée est là cependant et ne gagnerait qu'à être réappropriée par des esprits plus fertiles et autrement moins libidineux.


Le Air Trek ne sera finalement pas un sport mais un support de combat qui, lui, n'aura rien de sportif. Pas à moins que le bordel fouillis et indéfini ne soit considéré comme une discipline olympique. Les affrontements tiendront du plus pur délire. Et je ne vous pas du délire qui vous fera rire comme un dément. Le ridicule ici atteint de telles strates qu'on pourrait ne demander qu'à en rire et pourtant, rien ne vient. L'exemple précédemment cité de la peau de banane n'était finalement pas si bien choisi puisque le gag suppose au moins une capacité à faire rire. Air Gear, rapporté aux codes cinématographiques ne tient hélas pas du nanard qui, par ses impérities diverses et variées, vous fait passer un bon moment. Non, c'est un navet ; le goût qu'il vous laissera en bouche sera au mieux amer bien que très largement teinté d'une certaine fadeur.


Ah, que n'aurais-je pas donné pour une licence centrée autour du Rug Ball, ce sport fictif qu'avait brillamment conceptualisé Buichi Terasawa - en piochant un peu à droite à gauche - le temps d'une aventure de Cobra.
Le Rug Ball avait pour lui d'être relativement bien élaboré ; le Air Treck n'a hélas pas ce mérite. Il n'y a pas de règles définies et encadrées, simplement des principes élémentaires ; le sport ici se prête mal au contexte sportif. Oui, l'échec de Air Gear se veut retentissant au point d'atteindre ces latitudes.


Air Gear n'a aucun enjeu à pourvoir. Ikki veut - dans un premier temps - devenir le roi de la rue. Quoi que cela veuille dire. Et il y a des rollers. Vous trouverez peut-être le propos confus, abscons même, alors, vous aurez pris la pleine mesure de ce qu'est Air Gear. La nature même des antagonismes tient du non-sens alors que rien ne les motive réellement. Nous sommes en deçà du prétexte afin de justifier que l'intrigue n'avance. Et elle avance la carne, elle dure même trente-sept tomes. C'est dire si elle a du faire du hors-piste pour aller aussi loin.


S'enquérir du pourquoi des agitations de Air Gear reviendrait à s'interroger sur l'origine des rixes entre les bandes de jeunes™ à la Gare du Nord entre autres lieux exotiques. La réponse s'impose d'elle-même : les cons font les cons, c'est encore ce qu'ils font font de mieux et la chose ne trouve un sens que dès lors où l'on prend part à la connerie. Je ne puis, pour ma part, pas y souscrire. Aussi, je suis, comme bon nombre de lecteurs, exclu de la dynamique Air Gear. Prendre des enfantillages au sérieux ne les rend pas sérieux mais au contraire, infantilise ceux-là même qui les prennent au sérieux. Se donner des airs graves et réfléchis n'y changera rien, le principe de la pratique du Air Trek compétitif ne repose sur aucune justification valable et ce vers quoi mènera sa pratique répétée dans l'intrigue encire moins. Il en va, par conséquent, de même pour le manga qui en fait sa chronique.


Mais fort heureusement, les outrances scénographiques atteindront ici des sommets jamais atteints auparavant. Ce qui était l'affaire d'un sport de glisse deviendra le bras armé d'une lutte contre des menaces sorties d'œuvres de science-fiction apocalyptiques. Vous trouviez con qu'une bande de collégiens ne sauve le monde en jouant au Uno ? Attendez qu'ils le fassent avec des rollers aux pieds en se tapant dessus avec des entités quasi-mystiques. Oui, on peut le dire au risque de céder à un jeu de mot facile : Air Gear est très vite parti en roues libres. Mais alors... loin.
Je vous parle d'une démesure absolue qui atteint des strates outrepassant de loin l'atmosphère terrestre si ce n'est notre système solaire. Le délire est parti Tu Schüss et sans les freins, c'en serait presque distrayant si le lecteur que j'étais ne croulait alors pas déjà sous le poids de la dinguerie ambiante et dont les éléments à charge ne cessaient de s'accumuler.


Confuses aussi seront les innombrables scènes d'action qui, bien que dessinées avec application, sont le plus souvent incompréhensibles quant au rendu retranscrit devant nos yeux ébahis et depuis, atterrés. La saturation d'éléments graphiques supposés impressionnants fera qu'on ne s'y retrouvera plus la plupart du temps. Bien que, par moments, le style de Oh! Great sembla inspiré de celui de Tite Kubo quant à la stylisation de ses personnages - et c'est un compliment que je fais - les décors eux, seront garnis jusqu'à l'extrême au point où l'on peinera à seulement deviner ce que l'on a sous les yeux.


Tout cela - le dessin excepté - m'aura évidemment rappelé un Reborn sans le long préambule de huit volumes avant d'entrer dans le vif du sujet. Quoi que, le recul m'enjoint à reconnaître avec honnêteté que je n'ai pas passé un aussi mauvais moment devant Air Gear qu'avec Reborn. Dans les deux cas, les personnages sont mal construits, l'intrigue chemine à l'aveuglette et les combats n'ont aucun sens, mais il s'agit de deux formes de désastres distinct dont le registre affecté par Air Gear m'aura été moins désagréable à la lecture. Moins désagréable en ce sens où un coup de poing dans l'estomac vaut mieux qu'un coup de pied dans les valseuses sans pour autant qu'aucune de ces deux situations ne soient souhaitables.


Air Gear ? Ça a tout d'une foirade susceptible de s'accepter par certains comme un plaisir coupable. Du genre inavouable celui-ci.
L'histoire - soyons généreux - d'un sport de glisse qui aura dérapé vers un horizon insoupçonné. Le genre de manga qui vous amènera à vous arrêter une fois toutes les dix pages pour vous frotter les yeux, regarder l'horizon d'un air perdu et vous exclamer du bout des lèvres : «Mais bordel, qu'est-ce que je suis en train de lire ?».
Cette question, je me la suis souvent posée sans même en entrevoir un soupçon de réponse. Air Gear est un mystère éditorial enveloppé dans la médiocrité du registre qui le caractérise. Ça se lit peut-être par curiosité, mais certainement pas par plaisir.

Josselin-B
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le 30 janv. 2021

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Josselin Bigaut

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