Les mangas historiques, j’avoue sans honte ni vergogne que je m’en défie comme si ma vie en dépendait. Je suis un passionné d’Histoire pourtant, mais les Japonais, quand ils commencent à causer histoire et à la recouvrir d’encre, il se passe habituellement des choses. Des choses dont je ne souhaite généralement pas être le spectateur tant ce que je lis habituellement sollicite et éprouve mon système nerveux. Des mangas historiques, il y en a évidemment sur l’histoire du Japon. Je ne suis pas fondé à critiquer la véracité historique du contenu et m’en contente la plupart du temps. Il s’en trouve une pléiade qui soient assez romancés par ailleurs.

Mais les mangakas, fascinés qu’ils sont par l’Europe pour certains, il leur arrive aussi de toucher à un continent qui n’est pas le leur. Et souvent, leur approche est superficielle au possible et même jusqu’aux confins de l’impossible. Quand ils ne reprennent pas les truismes d’une histoire déjà frelatée de l’intérieur par des mensonges outrecuidants, ils romancent à l’extrême avec ce que ça comprend de parti-pris esthétique et de compromissions avec l’Histoire véritable. Alors qu’on me pardonne si c’est à reculons que j’avançais lorsque je me lançais dans les aventures d’Hannibal et Scipion l’Africain.


Ad Astra n’est pas la première œuvre nippone qu’il m’ait été donné de lire dont le contenu se pique de la Rome antique. Thermae Romae s’était pour sa part focalisé sur la période d’Hadrien. Je n’avais alors pas boudé mon plaisir. Pas de trop en tout cas.

Mais le cas présent a vocation à se concentrer sur une approche historique stricte. On retrouvera évidemment ici et là des inexactitudes aménagées pour mieux articuler la fiction qu’on nous présente sans que cela ne soit toutefois rédhibitoire. Excepté ce qui se rapporte aux excentricités mythiques. L’auteur cherchait parfois à exagérer une légende qui, compte tenu de ses hauts-faits, n’avait pourtant pas vraiment besoin de gonfler sa réputation historique afin de nous époustoufler. Car figurez-vous qu’Hannibal est un surhomme et ce, de naissance. Il était calme et composé alors qu’il était un nourrisson, ne cherchant même pas à boire au sein de sa mère. Quand son père chercha à le sacrifier à Baal, la foudre frappa au moment décisif et Hannibal, âgé de quelques jours, se mit à parler et à énoncer la prière adressée habituellement à Baal.


Oui…. 


Non ?


Non.


Cette légende, pour ce qu’elle a de ridicule, ne contribue pas à crédibiliser une œuvre qui, pourtant, cherchait à frayer avec l’Histoire, la vraie. Hannibal est ensuite présenté comme un enfant prodige, à l’esprit plus tranchant encore que ne pourrait l’être son glaive. Tous voient en lui le héros qui sauvera un jour Carthage alors que le marmot n’a que six ans. À douze ans, il tenait tête au Consul de Rome en l’humiliant de son seul verbe et ce, après que Baal ait frappé le sanctuaire de sa foudre pour marquer sa réprobation.

Amis de l’exactitude, au revoir.


Pour avoir parcouru les critiques précédant celle que je rédige présentement, j’ai retrouvé bon nombre d’internautes n’étant pas férus de mangas, mais intéressés par l’histoire de cette période. Ceux-là soutenaient que les dessins étaient grandioses. Je ne leur emboîterai pas le pas en ce qui me concerne et tempérerai mes louanges pour ce qui est des graphismes. Le trait est détaillé, très bien travaillé, typique de l’auteur et donc, pareil à nul autre, mais les visages sont très peu expressifs et même crispés pour la plupart. Je ne pense pas me fourvoyer en retrouvant des personnages dont le concept graphique a été inspiré des esquisses de BLAME!. Cela passait admirablement bien dans l’œuvre pré-citée, mais tend ici à rendre le récit plus atone et morne qu’il ne devrait l’être alors que tout y est froid et figé dans la manière d’agir et de réagir. On jurerait contempler des statues et non pas des personnages. Ça se déride néanmoins passé le quatrième tome.


Les personnages sont initialement insupportables pour ce qui est de leur caractère. Quand ceux-ci vont au-delà de leur rôle historique, qu’ils laissent transparaître leur part d’humanité, cette dernière étant bien pauvre. L’arrogance et la certitude de Scipion comme d’Hannibal nous détournent d’eux par instinct. La narration s’emploie par ailleurs à leur faire des cadeaux en leur permettant d’être ce qu’ils sont car le récit est écrit à l’avance. N’attendez aucune personnalité marquante.


Dès le deuxième chapitre, on nous évoque la possibilité de la traversée des Alpes. Ce que personne n’a jamais envisagé à cette époque, et ce qui contribua à faire d’Hannibal une figure mythique. Les stratégies militaires, ici, sont assez datées et n’impressionnent pas souvent pour ce qu’elles ont à offrir. Feindre la retraite pour attirer un ennemi confiant dans un piège ; il ne se trouvera pas un lecteur pour s’en surprendre.


Les discours d’Hannibal à ses débuts paraissent tout droit tiré d’une adaptation hollywoodienne. Vous savez, ces emphases grandiloquentes qui, en quatre groupes nominaux, permettent de changer l’avis de tout le monde pour se rallier les masses. Et le tout, au point de faire basculer l’allégeance de mercenaires gaulois en pleine bataille. C’est bien beau, on voudrait y croire, mais on sait. On sait que si Hannibal avait palabré comme il l’a fait face aux Gaulois cisalpins, ceux-ci l’auraient acclamé à grands coups de pompes dans l’oignon. L’or et les chaînes, dans les faits, ont été plus persuasifs qu’une salive abondamment versée.


Scipion, d’un regard, d’un seul, devine que Brennos lui cache quelque chose et, avec un sourire doublé d'une réplique imbibée dans la fraîcheur de ce personnage terne, parvient à tout lui faire avouer. Le charisme des protagonistes se joue de toutes les embûches de la narration. Il y a Hannibal, il y a Scipion l’Africain… et puis y’a le reste ; les figurants, les grouillot. Eux sont là pour mettre les deux autres en valeur par leurs laudations et leur soumission.


La mise en scène et la narration sont aux fraises alors que l’une et l’autre pavent une voie dorée aux deux protagonistes. Ceux-ci, avec une seule adversité de façade sur leur route, trottinent gaiement jusqu’à l’issue de l’histoire.

Plus hilarant encore, d’une hilarité suscitée par la nervosité : pas une case n’a été accordée à la traversée des Alpes d’Hannibal et de ses troupes. Ce qui a, excusez du peu, constitué une épreuve remarquablement douloureuse pour cette armée terrifiante se retrouve simplement occulté d’un revers de main. Chaque fois qu’Hannibal pourrait potentiellement se retrouver en difficulté, la narration, magnanime jusqu’à se perdre dans des accès de laxisme outrecuidants, évacue ces épisodes afin que son héros reste propre et immaculé. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Mahichi Kagano, par la seule rédaction de son récit, est parvenu malgré lui à amoindrir considérablement la gloire du héros dont il relate les chroniques passées. En le rendant aussi parfait, il n’a finalement contribué qu’à le rendre ridicule et improbable.


En face, les stratèges qui s’opposent à Hannibal sont tous d’inqualifiables débiles poussant les limites de l’incompétence jusqu’à des strates inexplorées. Les premiers généraux de Verdun eux-mêmes n’étaient pas aussi cons. Et ils constituent pourtant la norme-mère en matière d’inaptitude militaire. Si les pièges d’Hannibal sont si efficaces dans la trame, cela ne tient finalement qu’à la bêtise de ceux qui se ruent dedans tête la première. Sa tactique militaire reposant sur le déplacement a été le facteur décisif de ses victoires.


Même les espions ne présentent aucun intérêt alors qu’ils sont repérés par Hannibal quasiment au premier coup d’œil (celui qui n'a pas été éborgné). La perspective même du revers est inenvisageable, Hannibal marchera sur tout jusqu’à ce que l’histoire se rappelle à son bon souvenir et qu’il échoue dans sa glorieuse entreprise.

Les tactiques d’Hannibal – notamment celle usant de bœufs – manquent même de panache alors que la narration s’emploie à les rendre prévisible au possible. Je ne nie pas que l’œuvre est documentée, elle l’est de fait, mais la part de fiction prend le pas sur l’histoire au point même de la gâter considérablement. Je suis abasourdi de me dire que quelqu’un a réussi à m’ennuyer par moments en me rapportant l’épopée d’Hannibal. Comment diable est-ce possible ?

L’œuvre a eu en tout cas le mérite de m’apprendre qu’Hannibal avait délibérément brûlé toutes les terres à l’exception de celles de Fabius Maximus pour que ce dernier soit suspecté d’intelligence avec lui et qu’on lui ôte sa charge. C’était brillant.

Le volet politique a été trop occulté. On se mêle parfois au Sénat romain et ses agitations, mais le plus important était encore d’aborder les politiques entreprises par Hannibal. Car sans les villes qui lui ont prêté allégeance sur son passage, jamais celui-ci n’aurait pu trouver les assises nécessaires pour poursuivre sa campagne si loin de Carthage. Et cela, sans compter la démission du sénat carthaginois qui aura abandonné Hannibal plutôt que de le soutenir jusqu’à une victoire à portée de glaive. On déplorera qu’une part trop considérable fut accordée à la guerre dans le récit.


Récit qui, je trouve, s’affine après le premier tiers. Il est plus facile à lire, une importance plus considérable est accordée aux personnages secondaires, mais il y a toujours des lenteurs indues et du babillage constant. Ça s’affine néanmoins. Assez pour me rappeler à certains moments de ce que Vinland Saga avait à offrir. La lecture devient effectivement plus agréable après la bataille de Cannes, événement à partir duquel Hannibal commence à enfin se heurter à quelques déboires. Marcellus d’un côté et Maharbal en supplément contribuent à enfin générer de l’adversité dans le périple.


On fait un détour du côté d’Archimède et Philippe V de Macédoine pour se détourner un instant du tumulte envahissant de l’armée carthaginoise. Je dois admettre que c’était bienvenu alors qu’une certaine lassitude s’installait insidieusement malgré la reprise en main du récit. Les libertés prises avec la mort d’Archimède auront cependant été copieuses et même, particulièrement honteuses. Là encore, voilà qui n’aide pas à crédibiliser le travail de recherche pourtant exhaustif.


La fin est en revanche très satisfaisante ; sans doute parce qu’elle était écrite par l’Histoire et qu’il n’était pas besoin d’en rajouter. Les héros ne meurent pas tous l’épée brandie vers le soleil dans un dernier éclat de vaillance. Certaines vivent et regrettent d’avoir échappé aux griffes de la tragédie car ils ne sont plus que des hommes.


À Ad Astra, on préférera de beaucoup Historie. Hitoshi Iwaaki qui, sans excentricité dans le récit, nous livrait alors une vision du parcours d'Eumenes avec davantage de maîtrise et de pudeur dans la scénographie tout en sachant maîtriser le rythme de ce qu’il nous conte. Si l’on souhaite se gargariser d’un manga dont le récit – lui aussi pétris de fiction – s’avère délectable pour ce qu’il relate de l’Antiquité en Europe, Historie sera un incontournable quand, Ad Astra, en ce qui le concerne, est davantage un agrément en comparaison.


Ma lecture d’Ad Astra fait suite à une recommandation d’un de mes abonnés ayant titillé mon excitation en comparant l’œuvre à Ginga Eiyuu Densetsu. C’est sans l’ombre d’une hésitation dans la plume que j’invalide cette comparaison et que je choisis, par déception, d’abaisser la note d’un point pour exorciser ma frustration d’avoir voulu y croire. Il ne suffit pas de deux stratèges face-à-face, avec l’un d’eux en proie à l’incompétence constante de ses supérieurs, pour émuler – même de loin – ne serait-ce qu’un micron de cette œuvre monstrueuse. Abjure PARISTONU, voilà le Tanto avec lequel tu commettras Seppuku pour ton erreur de jugement. À moins que tu ne préfères la ciguë pour rester dans la thématique.

Josselin-B
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le 25 mars 2023

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Josselin Bigaut

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