Ce tome comprend les épisodes 13 à 22 de la série publiée par Dark Horse, initialement parus en 1997/1998, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai, en noir & blanc. Il vaut mieux avoir lu le tome précédent pour comprendre celui-ci. Ce tome s'ouvre avec une introduction de Will Eisner racontant dans quelles circonstances il a fini par lire cette série et pour quelles raisons il l'apprécie.


Cette histoire commence par 4 prologues. Le premier évoque la relation entre 2 kamis : Isanagi et Izanami. Le second raconte comment Susano-O a vaincu Koshi le dragon à 8 têtes. Le troisième montre à quelle occasion Yamato-Dake, le fils de l'empereur Keiko, a baptisé l'épée Murakumo-No-Tsurugi, du nom de Kusanagi (en anglais Grasscutter). Le dernier évoque la dernière bataille de la guerre de Gempei, le 25 avril 1185.


En 1605, la procession du seigneur Sakana-No-Ashiyubi se retrouve face à Jei, accompagné de Keiko, c'est un massacre. Plus loin Murakami Gennosuke essaye de tirer avantage d'un autre massacre, mais les gendarmes le font prisonnier. Inazuma se trouve également dans la région. Non loin de là, Miyamoto Usagi arrive dans un village côtier. Le jeune seigneur Noriyuki est obligé d'entreprendre un voyage vers la capitale. Le seigneur Kotetsu continue de comploter contre le Shogun, pour réinstituer la famille de l'empereur. Pour ce faire, il tente de récupérer l'épée Kusanagi, à l'aide d'une sorcière appelée Ryoko, et de son familier Kitanamono.


Par comparaison avec le tome précédent, celui-ci raconte une histoire complète et continue. Il reprend plusieurs intrigues secondaires débutées dans le tome précédent, telles que le complot fomenté par le seigneur Kotetsu et les autres insurgés, la reconversion du général Ikeda en fermier, ou encore les pérégrinations de Jei et de sa petite protégée. L'auteur fait en sorte que le destin de tous ces personnages converge dans la même intrigue. Cette dernière constitue la structure du récit, et sa dynamique principale, les personnages existant surtout par leurs actions et leur rôle dans cette intrigue. Murakami Gennosuke apparaît assez unidimensionnel, uniquement préoccupé par le profit qu'il peut retirer de telle ou telle capture. Tomoe Ame est réduite au rôle de garde du corps du seigneur Noriyuki. Inazuma est uniquement en mode colérique et belliqueux.


Stan Sakai offre un peu plus de place à son personnage principal pour exister, en particulier pour s'interroger quant à ce qu'il doit faire avec cette épée de légende, dont la réapparition risque de provoquer des graves troubles politiques. Il prend le temps de développer les personnages du prêtre Sanshobo et du général Ikeda, avec délicatesse. En particulier le lecteur suit avec curiosité l'évolution de la position d'Ikeda, en fonction de ses années passées comme fermier et de la vulnérabilité du seigneur Moriyuki.


L'auteur utilise une coïncidence bien pratique qui fait que tous ces personnages se retrouvent au même endroit et au même moment. Il est possible d'y voir une licence narrative qui demande un soupçon supplémentaire de suspension consentie d'incrédulité. Si faute avouée est à demi pardonnée, alors le lecteur veut bien faire un effort, car Miyamoto Usagi constate ce niveau de coïncidence (page 17 du chapitre 4). Sous cette réserve, il est alors possible de se laisser emporter par le souffle épique de cette intrigue d'envergure. Avec un peu de recul, il apparaît qu'elle mêle plusieurs personnages pour lesquels le lecteur a développé de l'affection, des combats à l'épée, des massacres, un peu de surnaturel, une dimension politique (les conséquences d'un potentiel rétablissement de l'Empereur), une dimension mythologique (l'épée Kusanagi, les crabes), des drames, un tremblement de terre (courant au Japon), et quelques touches d'humour.


Stan Sakai mène à bien son intrigue, sans oublier personne en route, et en s'en servant pour faire évoluer le statut de plusieurs personnages secondaires récurrents de la série. Sans tout dévoiler, les enjeux sont donc multiples entre l'intrigue principale autour de ce projet de renversement du régime politique établi, le devenir de l'épée Kusanagi, et le devenir de plusieurs personnages.


Tout au long de ces épisodes, le lecteur retrouve les particularités de la narration de Stan Sakai. Il met en scène des animaux anthropomorphes. S'il est facile de comprendre que Miyamoto Usagi tire son apparence d'un lapin et Gonnosuke de celle d'un rhinocéros, d'autres n'évoquent un animal que très vaguement sans qu'il soit possible d'identifier l'animal en question. Les personnages continuent de n'avoir que 4 doigts à chaque main. Lors des combats à l'épée, les adversaires portent des coups tranchants avec leur arme. L'artiste ne dessine pas la blessure, la plupart du temps il ne dessine pas non plus la déchirure des vêtements occasionnées par la lame du sabre. Sauf exception, il ne dessine pas le sang qui coule et les personnages font parfois montre d'une résistance à la douleur hors du commun (par exemple Ikeda qui continue à marcher alors qu'il a une flèche fichée dans le mollet gauche).


Le lecteur retrouve également l'attention portée aux détails de la vie courante et l'authenticité historique. Il y a bien sûr les habits de tous les jours, mais aussi les armures des soldats, les mon (marques de clan), les épées et leur poignée, les arcs et les lances. Stan Sakai retranscrit avec naturel la faible densité de population, et les chemins permettant de relier un village à un autre. Comme d'habitude les maisons présentent une architecture réaliste pour l'époque, le lecteur peut même observer l'effet d'un tremblement de terre sur les constructions d'un village.


Dans ce tome, le surnaturel joue un rôle modéré. Il y a bien un ou deux ninjas capables de se déplacer avec discrétion, sans pour autant disposer de capacités surnaturelles. Il y a une sorcière avec une aptitude à projeter son esprit dans des animaux (crabes), et entretenant un liant télépathique avec son familier Kitanamono. Sakai représente ce dernier également de manière anthropomorphe, en renforçant son côté animal sauvage. Un lecteur de passage peut s'offusquer de cette irruption du surnaturel : un lecteur régulier sait qu'il s'agit d'un parti pris narratif de l'auteur que d'intégrer cette dimension culturelle dans ses récits.


En termes de techniques, Stan Sakai dessine le premier prologue avec un trait plus fin, plus aiguisé, plus primitif, pour évoquer ces temps mythologiques. Dans le deuxième prologue, le niveau de détails du dragon à 8 têtes donne l'impression qu'il a été dessiné par Sergio Aragonés. Dans le troisième prologue, l'artiste se retrouve à dessiner des vaisseaux, ce qu'il accomplit avec le même niveau de recherche que pour le reste. Par contre la pluie de flèches a un aspect exagéré avec la densité de flèches trop élevée, criblant l'espace entre 2 bateaux.


Par la suite, le lecteur apprécie la puissance d'évocation de certaines séquences. La procession du seigneur Sakana-No-Ashiyubi présente la solennité voulue, avec les paysans s'agenouillant pour montrer leur respect. La représentation des crabes Heike est à la fois précise, drôle, et impressionnante. La procession du seigneur Noriyuki présente une apparence moins solennelle et plus pragmatique avec les porteurs pour la logistique. L'aménagement de la maison de paysan d'Ikeda, permet de se faire une idée de l'organisation concrète de la vie de la famille à l'époque.


Dans le chapitre 6, Tomoe et les autres doivent traverser un long pont de bois et de corde tendu au-dessus d'une gorge profonde, où coule une rivière au fond. Sakai sait utiliser cette convention des récits d'aventure pour l'intégrer à son récit et l'en nourrir. Le temps d'une page dans le chapitre 7, il dessine les fortifications en pierre d'un château, pour une longue chute. Les événements du chapitre 7 justifie une scène grand spectacle, avec l'équivalent d'effets spéciaux, à a fois simples et efficaces.


C'est d'ailleurs tout l'objet de l'introduction de Will Eisner. Il commence par faire observer que sa première impression sur Usagi Yojimbo était qu'il s'agit d'une série réalisée par un artiste un peu limité techniquement et qui se sert d'animaux anthropomorphes pour masquer ces manques. Il poursuit en indiquant qu'il a été séduit par l'aspect historique, par le degré d'immersion dans la culture japonaise, et aussi la qualité de la narration. À ses yeux, Stan Sakai dispose d'un niveau de compétence impressionnant pour raconter une histoire en bande dessinée. L'enjeu n'est pas de réaliser des dessins dignes d'un grand maître en peinture, ni d'écrire des dialogues relevant de la haute littérature. Avec ce point de vue, il devient possible de se focaliser sur la narration et cet auteur raconte une grande fresque historique, à hauteur d'homme (ou de lapin), avec une clarté exemplaire, et en réussissant à faire exister ses personnages, au-delà de simples marionnettes manipulées pour faire avancer l'intrigue.


Ce treizième tome propose une histoire de grande envergure qui met en scène une grande partie des personnages récurrents de cette série. Stan Sakai maître sa narration de bout en bout, pour une intrigue ben construite aux ramifications nombreuses, tant pour les personnages que pour l'histoire du Japon. Il lie cette histoire à la mythologie japonaise avec aisance et naturel.

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le 5 juil. 2019

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