Après « La Malédiction de Gustave Babel », Gess récidive avec ce nouveau récit des Contes de la pieuvre, qui se lit de façon totalement indépendante du premier opus. La lecture de cet album peut laisser une impression pour le moins étrange, difficile à décrire, entre admiration pour le travail impressionnant fourni par cet auteur à double casquette, dessinateur de son propre scénario, et indigestion, et ce exactement pour les mêmes raisons. Cette plongée dans les bas fonds d’un Paris de la fin du XIXe siècle impressionne en effet par l’érudition de Gess, qui émaille le livre de citations de Jean-Jacques Rousseau et glisse des références plus ou moins explicites à la pensée libertaire, à travers les Sœurs de l’ubiquité, un groupe de femmes dont le héros Emile Farges a épousé l’une d’entre elles. Celles-ci utilisent leurs pouvoirs surnaturels pour lutter contre un patriarcat que peu cherchaient à remettre en cause à cette époque. Des féministes très virulentes avant l’heure !


Que pourrait-on donc reprocher à cette œuvre imposante — plus de 200 pages tout de même ? Le scénario est assez touffu, mais sans temps morts, et Gess réussit à ne pas nous faire lâcher le livre. De même, les personnages sont très nombreux, trop peut-être, si bien que parfois on a un peu de mal les identifier, même si l’on finit tout de même par faire les recoupements. Les textes quant à eux sont assez denses et les phylactères abondent, provoquant quelques saccades dans un rythme de lecture déjà frénétique à la base. En résumé, la lecture s’avère quelque peu ardue, et à ce titre, on aurait apprécié un plus grand contrôle de la narration. Côté dessin, rien à dire, le trait nerveux et réaliste de Gess est toujours plaisant dans son souci du détail et extrêmement vivant de par ses perspectives et cadrages variés.


Incontestablement, Gess est un auteur digne d’intérêt et à suivre dans ses velléités scénaristiques. « Un destin de trouveur » possède plusieurs atouts, le moindre n’étant pas sa capacité à fasciner le lecteur. L’entrée en jeu du genre fantastique n’y est certainement pas étrangère. On ne dessine pas pour Serge Lehman pendant si longtemps sans en garder des traces... Il ne reste plus qu’à Gess d’alléger un peu sa structure narrative pour le prochain volume de son projet, si tant est qu’il ait vocation à être tentaculaire… Si celui-ci a des petits cailloux dans ses poches et qu’Emile Farges — Far-Gess ? — se révèle être son double, il devrait finir par trouver la formule parfaite…

LaurentProudhon
7
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le 8 avr. 2020

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