À ça pour soigner, il soigne, le Gibrat. Dessinateur d'exception, il devient un auteur complet en 1997 avec Le Sursis, où il signe pour la première fois le scénario de ses planches. Une claque. Depuis, par intervalle de deux ou trois ans, il sort un nouvel album, qui développe son univers, basé sur des personnages ordinaires, mais profond, et avec un contexte historique important. Avec Mattéo, il exploite à fond cette recette puisque son personnage va traverser successivement la première guerre mondiale et la révolution russe à Pétrograd en 1918. Le mois dernier est paru un troisième album de cette série, où l'auteur fait un bond en avant avec les premiers congés payés de 1936.


Scénario : Collioure est l'endroit où vit Mattéo depuis que sa famille a fuit l'Espagne pour fuir la guerre. Né d'un père anarchiste, celui-ci marche tout droit dans les pas de son père et refuse de partir à la guerre en 1914, du moins dans un premiers temps. Car s'il veut reconquérir le coeur de Juliette, il va bien falloir qu'il l'affronte, la guerre des tranchées... Après de nombreuses péripéties que je ne dévoilerai pas ici, Mattéo se retrouve vingt ans après de retour à ce village, profitant de ses premiers congés payés. Jean-Pierre Gibrat n'a aucune prétention de militant, mais on devine que si ses personnages sont soit anarchistes, soit socialistes, et se soucient grandement de l'Espagne menacée par Franco, ce n'est pas pour rien. Le bonhomme est un gauchiste convaincu, et profite de son statut d'auteur pour partager ses idées sans que cela gêne la fluidité du récit.


Dessin : Un réalisme exotique, avec de superbes visages, expressifs, détaillés, en un mot : vivant. Sans oublier deux personnages féminins très sensuels, même si ces dernières ont pour défaut d'un peu trop se ressembler. Quand aux décors, ils sont superbes, bien documentés, et pas du tout académiques, loin de là. Et la mise en couleur ! Sublime, elle donne un cachet unique aux planches de l'auteur.


Pour : Si Gibrat fait traverser à ses personnages des événements historiques de grande envergure, il ne les laisse en aucun cas sans personnalité et s'amuse, avec de nombreux dialogues et autres mimiques, à développer leur caractère le plus possible. On sent que c'est un de ses plus grands plaisirs de scénariste... D'ailleurs, il le fait bien comprendre dans l'interview qui accorde à CASEMATE dans le numéro 63, où il déclare qu'il aimerait bien au moins 200 pages, au lieu de 70, pour développer ses personnages. Mais n'oubliez pas : Gibrat, il soigne. Je vous recommande d'ailleurs chaudement ce numéro datant de l'été dernier, puisqu'en plus d'étirer l'entretien avec l'auteur sur plus de six pages, il propose les vingt premières planches du dernier album de Mattéo commentées par l'auteur. Un vrai complément à la BD elle-même.


Contre : La relation entre Mattéo et Juliette est pour la moins ambiguë. Dans le premier tome, cela en fait un ressort narratif bien fichu, Mais dans les deux albums suivants, leur romance a tendance à lasser, étant donné qu'elle n'a pas trop l'air d'évoluer radicalement.


Pour conclure : Prévue en cinq albums, dont le quatrième se passera pendant la guerre d'Espagne contre Franco et le dernier pendant la seconde guerre mondiale, on risque d'entendre parler de Mattéo pendant encore cinq ou six ans. Et tant que Gibrat nous livrera des planches aussi magnifiques et passionnantes, on sera toujours client de cette série.

Marius_Jouanny
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le 28 sept. 2014

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