Vu de l'Europe, et même de la France, le Canada, c'est loin. Ça paraît sombre et froid, et peu de gens par ici savent qu'au début du XXe siècle, existait là bas un mouvement artistique, le Groupe des 7, constitué de peintres qui ambitionnaient d'appliquer les nouvelles idées de la peinture moderne européenne à la description "émotionnelle" de la nature canadienne. Ni même que "l'âme" de ce groupe fut Tom Thomson, aujourd'hui toujours l'une des fiertés du Canada... Tom Thomson, guide dans le Nord Canadien, qui sut capturer comme personne, entre expressionnisme et abstraction, la beauté de paysages sauvages mais aussi les émotions puissantes qu'elle provoque... Tom Thomson, mort mystérieusement à 40 ans à l'aube de la célébrité...


La première très belle idée de Sandrine Revell, c'est de nous raconter dans son "Tom Thomson" l'enquête menée quarante ans plus tard par un amateur déterminé à retrouver le corps du peintre, possiblement enterré loin de sa sépulture officielle, et de retrouver les témoins de ses derniers jours pour révéler la "vérité" sur ce drame humain, qui priva en outre le Canada de l'un des génies qui aurait pu, aurait dû faire progresser l'Art. D'où une construction habile, un peu post-moderne ceci dit, entre les deux époques, l'un des récits (celui de 1956) progressant chronologiquement vers la résolution - terriblement dérisoire, terriblement humaine - de l'énigme, l'autre revenant au contraire sans cesse vers un passé plus lointain, nous permettant de comprendre peu à peu les raisons d'une vocation - pour la peinture, pour la vie dans le Grand Nord - et les sources d'un talent unique. Le tout est absolument passionnant, d'une grande profondeur, à même de satisfaire quiconque s'intéresse aux mécanismes de la création artistique.


La seconde très belle idée de Sandrine Revell, c'est de travailler le graphisme de sa BD dans une continuité respectueuse de l'esprit de Thomson, sans pour autant se contenter de faire de la pure copie. D'adapter donc les intuitions géniales du peintre dans le cadre d'une narration en format BD, et ainsi non seulement de nous fournir notre content d'images sublimes - il faut vraiment prendre le temps de déguster chaque page de "Tom Thomson" -, mais aussi une expérience esthétique et émotionnelle forte, celle de la découverte d'une nature sauvage, rude, austère, sublime. Au fond de nous, à une époque où nous craignons, et à juste titre, pour la survie de ces étendues sauvages, cette expérience se révèle terriblement émouvante. Et accentue encore l'importance de ce livre singulier, aussi ambitieux thématiquement que remarquable en termes de narration.


[Critique écrite en 2019]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/09/12/tom-thomson-esquisses-dun-printemps-la-nature-sublimee-par-la-peinture/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures BD de 2019

Créée

le 7 sept. 2019

Critique lue 199 fois

3 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 199 fois

3

D'autres avis sur Tom Thomson, esquisses d'un printemps

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

105

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

187 j'aime

25