Alors j'en vois qui se réjouissent et qui se frottent les mains à l'idée de lire ce que je vais pouvoir dire du dernier livre de l'incontournable Joann Sfar dont l'incontinence éditoriale épuise les éditeurs, au point qu'il est obligé d'en trouver à chaque fois un nouveau, ici Marabout, dont on se demande pourquoi ce n'est pas leur section bd Marabulles qui a été choisit pour publier ce recueil... Sans doute pas assez chic. Les autres éditeurs attendent encore la suite de ses séries en cours. Ils peuvent attendre.


Ah alors, on est content ? Ça y est, je dis du mal ? On se réjouit. Et pourtant, j'aime bien ce gars, je lui dois beaucoup, vraiment. Et il a fait des choses superbes. Alors quoi, Joann Sfar, c'est comme le rap, c'était mieux avant ?


On me dira que je ne vais pas être objectif, et c'est juste, que, étant donné que j'ai fait les frais récemment de sa propension à ouvrir la bouche et le stylo pour dire ce qui lui passe par le coeur sans arrêt par la gare de triage de cerveau.


(pour ceux qui ne savent pas, chercher le #rougeVertGate ou comment accuser de plagiat un auteur et son éditeur à la fraîche sur la foi de couverture faisant référence à des drapeaux de couleurs similaires)


Donc oui, hein, je ne suis pas trop objectif sur le personnage, mais comment l'être puisque toute l'œuvre du monsieur tient à une broderie sur sa personne, habillée du prétexte de la fiction. Il devient difficile dans ces conditions de parler d'un de ses livres "out of the blue".


Donc ouais, je vais parler d'un type que j'admire beaucoup et qui m'agace prodigieusement, ce qui est le cas de beaucoup de gens (dans les deux cas, mais rarement de façon combinée).


Venons en donc au livre, "Si jétais une femme je m'épouserais" dont le moins qu'on puisse dire est qu'il a un des pire titres du monde. Son sujet a de quoi effrayer aussi puisque Joann Sfar se propose de raconter sans fard et sans recul (mais on est habitué) sa psychanalyse, analyse entamée pour se guérir de la dépression où l'a plongé l'abandon d'une femme. Pas la sienne, celle d'un autre.


Alors voilà : Joann est très malheureux, cette femme qui semblait être le plus grand amour de sa vie, qu'il aime toujours follement l'a finalement quitté après lui avoir fait miroiter pendant un an qu'elle quitterait son mari pour lui. Joann est triste, il a perdu l'apétit, il ne dessine plus, Le chat du Rabin tome 48 est en retard, son éditeur va se faire virer, la maison d'édition va couler, la France ne s'en remettra pas, il doit guérir pour sauver la planète et ramener la paix dans le monde.


Deux solutions : La psychanalyse ou la synagogue.


Joann choisit la première, la seconde étant apparemment contraire à ses convictions, même si quand même, il va envoyer ses enfants faire une petite initiation au judaïsme pour "mieux connaître leur père". Hum...


Donc voilà, Joann se raconte... la mort de sa maman enfant l'a laissé désenparé, l'abandon de cette femme, c'est la redite de ce drame, il n'arrête pas de pleurer, alors qu'il n'avait pas pleuré la mort de son papa.


La psy, probablement payée en douce par l'éditeur, lui dit : vous allez m'amener des pages du Chat du Rabin tome 62, et ainsi, nous progresserons.


Quand il n'est pas chez sa psy, Joann est avec ses copains, qui lui disent que son amoureuse est une pute (subtilité) ou avec des copines dénudées qui lui disent que cette fille est idiote. Mais non, lui, il est amoureux "je ne vous permets pas..blabalbalbla"


Régulièrement, Joann nous résume l'histoire : Ils ont vécu un amour incroyable. Pendant un an elle lui a promis monts et merveilles. Elle l'a quitté. La pute (disent les copains).


Bon tout de même, Joann nous explique qu'il lui a écrit 50 lettres par semaine (par jour ?) lui disant son angoisse qu'elle l'abandonne, mais ça, c'est parce qu'il n'est pas un homme comme les autres, c'est un artiste, il est "intelligent comme une femme" (youpi sexisme), vu que les autres hommes "équilibrés" sont, eux, très chiants (mais rassurant, les cons).


Alors visiblement, personne ne lui a dit que c'était hyper creepy et que ça se rapproche du harcèlement, d'ailleurs la "conne-pute-sotte" finit par lui demander d'arrêter de lui envoyer des tonnes de dessins et de lettres.


Si on le présentait en inversant les rôles, ce serait navrant de banalité : un homme marié a une aventure avec une petite énamourée qui lui écrit des lettres et lui fait des poèmes et dessins. Il aime bien la baiser, lui promet de quitter sa femme et puis en fait, non.


Ça pourrait d'ailleurs être intéressant, pour une fois d'avoir le point de vue de la femme, mais vous savez ce que c'est, les femmes, c'est pas très intéressant. Donc voilà, on a le point de vue de l'homme abandonné qui cherche à comprendre pourquoi on l'a abandonné, alors que c'est très clair : le mec a été lourd, tellement lourd que la fille qui l'aimait (pour de vrai ou pour le sexe, on ne saura pas) en a eu marre.


Le tout est ponctué de séquence dessinée, au début torchée comme souvent, puis soignés (très belle séquence d'après photo ou, miracle, Sfar fait des crayonnés, et c'est super) avec parfois de monologues intelligents mais épuisants, toujours très autocentrés, et enfin un nombre outrageusement élevé de découpage pour son film en cours (la femme à lunette femme à quéquette avec un fusil titre approximatif ) anoté de texte pour raccrocher au sujet du livre... On sent que Sfar, toujours dans son délire de Midas (tout ce que je touche devient or) ne peut pas se résoudre à ne pas utiliser ce bon matériel et vazy que ça fera de la page en plus à pas cher, le lecteur va en avoir pour son argent...


Bref, c'est graphiquement inégal, mais revenons au fond : la psychanalyse de Joann Sfar.


Et c'est là que c'est navrant. Parce que durant tout le livre, le mec ne se remettra jamais en question.


Il a un éléphant dans le couloir qui l'empêche d'avancer et, plutôt que de s'attaquer au pachyderme, il blâme les cadres : c'est ma maman qui est morte, c'est mon éducation-rejet du judaïsme de papa, c'est le monde qui n'est pas fait pour moi (le couloir qui est trop petit pour l'éléphant, quoi)...


Bref, tout, sauf soi. A aucun moment, l'auteur ne considère qu'il puisse être un tant soit peu responsable de sa situation. Et visiblement tous ses proches, son ex-femme, ses meilleurs copains, ses copines de cul et sa psy en tête ne le titille là-dessus (ou alors on ne le voit pas, nous n'avons que son point de vue...)


Parce que le problème de Sfar est en fait assez simple : il refuse l'effort.


Le mec est intelligent, talentueux et produit sans problème tant que ce n'est que jeu et amusement. Son indéniable talent lui ouvre toutes les portes, mais, dès qu'il s'agit de pousser un peu, il s'écroule en pleurant, accusant le monde et appelant au secours.


L'effort sur soi même n'existe pas dans la logique Sfarienne, et, en conséquence, il est absolument incapable d'envisager que celui-ci puisse être récompensé. Quand il y a un problème, c'est toujours l'autre, et la solution va toujours venir de l'autre, qui est en général une autre fille, une nouvelle. Ou acheter un chien.


Mais le problème étant inhérent au personnage principal, rien ne changera jamais et quand il déplore que nul n'existe pour lui, qui est si formidable, effectivement, il n'a pas tort, sauf sur son caractère formidable.


L'unique critique qu'il se fasse, c'est quand il met ses défauts sur les autres, notamment le mensonge, la peur de l'infidélité, où il ne fait que projeter sa propre nature sur les autres, sans être capable un seul instant de croire que les autres ne sont pas comme lui, alors même qu'il clame à longueur de page qu'il est un être "différents des autres hommes" (le meilleur d'entre eux, n'en doutons pas).


Alors que, pourtant, les moments les plus touchants du livre sont ceux où il parle des autres, de son ami malade, d'une cascadeuse squatteuse, d'une correspondante internet coquine...


Autant dire qu'on peut aller au bout de cette analyse en étant sûr qu'elle n'apportera nul apaisement au patient, lequel refuse absolument de regarder la plaie, se contentant de se plaindre de la douleur et des tâches de sang partout.


On appréciera d'ailleurs l'atroce jeu de mot Autopsie-Auto-psy, un temps vaguement envisagé comme titre de l'album (et heureusement non, hein, c'est encore pire que le titre finalement retenu).


Hélas, cela n'a rien d'une autopsie, puisqu'à aucun moment, par complaisance totale, on n'ouvre le corps. Dans le genre, on conseillera plutôt le Journal de Fabrice Neaud, qui lui ne se ménage pas dans sa quête pour se comprendre, même si, pour le coup, ça se fait aux dépends de la compréhension des autres, mais c'est un choix assumé.


Ici, Sfar ne cherche pas à pointer ses faiblesse, pourtant patentes, ni à se mettre à la place de l'autre (la connu-pute-sotte). On pourra aussi déplorer un sexisme d'un autre âge à toutes les pages, les femmes sont toujours les coupables, les rares hommes choisis sont toujours irréprochables et pardonnés par avance.


Enfin, à la page 336 sur 342, Joann Sfar a une épiphanie : "Être sincère, ça n'est pas déverser en permanence mon sentiment, mon imaginaire et ma perception des choses. Je dois apprendre à laisser le monde respirer"


Sérieusement ? Enfin ? Il a fallu tout ça, pour ça ?


Mais fallait nous demander, Joann, on t'aurait dit.


Et de conclure (y a trois pages de monologues-conclusions relou dont on se fout)


"Tiens si j'arrêtais tout simplement de raconter le monde ? Rien se s'écroulerait"


Chiche ? Allez, on le tente.


Bon quand même, on va en faire un livre hein ?

CapitaineNemo
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le 9 oct. 2016

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CapitaineNemo

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