Il s'agit du premier tome d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2015/2016, écrits par Greg Rucka, dessinés, encrés et mis en couleurs par Nicola Scott. Chiara Arena a apporté son aide pour la mise en couleurs. Ce tome comprend également la reproduction des 6 couvertures variantes réalisées par Jill Thompson, Rick Burchett, Tristan Jones, Afua Richardson, Ming Doyle et Stéphanie Hans.


Dans une clairière, de nuit, un coven (assemblée ou clan) de sorcières (avec quelques individus mâles) psalmodie un chant rituel. Leur rituel est interrompu par la sonnerie d'un téléphone portable. Il s'agit de celui de Rowan Black, inspectrice de police. Elle est appelée par son supérieur hiérarchique, pour se rendre sur le lieu d'une prise d'otages dans un établissement de restauration rapide Buddy Burger, rue McKenna, à Portsmouth dans le New Hampshire. Le preneur d'otages exige qu'elle pénètre seule et sans arme dans l'établissement, condition sous laquelle il procèdera à la libération des otages.


Le lendemain, Rowan Black trouve le temps d'aller s'excuser auprès d'Alex, la responsable du coven. Elle assiste à la réunion de briefing matinale du commissariat pendant laquelle le chef Justin Pegg attribue les tâches du jour, fait un point d'avancement sur les affaires en cours. À l'issue de cette réunion, il lui demande de se rendre au bureau des affaires internes (Internal Affairs Bureau) pour répondre aux questions des inspecteurs F. Prestes et N. Bellowes. Puis elle et son partenaire Morgan Chaffey doivent se rendre au port, où un cadavre a été repêché. Il lui manque la main gauche qui a été sectionnée.


L'attention du lecteur est tout de suite attirée par les créateurs : Greg Rucka (scénariste renommé pour différentes séries comme Gotham Central ou Lazarus) et Nicola Scott (dessinatrice ayant travaillé avec Gail Simone sur la série Secret Six et ayant participé au lancement de la série Earth 2 avec James Robinson]]). La couverture annonce bien la thématique du récit : un croisement entre 2 genres, policier et magie, grâce à cet amalgame entre l'étoile de shérif et le pentagramme. Le récit commence dans le vif du sujet avec une cérémonie qui relève d'un dogme non explicite, avec des femmes et des hommes simplement recouverts d'un voile, laissant apparaître leur nudité, avec une déclamation relative au renouveau qui accompagne les saisons. Les ustensiles font d'abord penser à une pratique de type Wicca, puis à du (néo)paganisme, ce premier tome ne permettant pas de trancher. En fait à l'issue de 5 épisodes, le lecteur a constaté que le scénariste s'intéresse plus à ces pratiques comme outil narratif, que pour leur credo ou leur système de croyance.


Dès la deuxième séquence, la narration revient à un milieu normal, avec une prise d'otages réalisée par un individu anonyme qui a bien préparé son coup (en particulier pour rester à l'abri du regard des tireurs d'élite. Le lecteur apprécie le soin apporté aux images. Nicola Scott dessine dans une approche descriptive, avec un bon niveau de détails. Elle a opté pour un choix de mise en couleurs très tranché : toutes les pages sont habillées par un lavis dans les teintes gris, parfois tirant sur le brun. Seules les rares manifestations de magie bénéficient d'une mise en couleurs plus vive et plus variée. Indépendamment du moment de la journée, toutes les pages baignent donc dans ces dégradés de gris. Nicola Scott et Chiara Arena ne les appliquent pas à grands coups de pinceau, mais effectue un travail similaire à une mise en couleurs avec une palette plus grande : variation dans les teintes pour faire ressortir les surfaces les unes par rapport aux autres, pour sculpter les volumes de chaque surface, pour rendre compte des ombres portées par la source d'éclairage. Elles jouent également sur des gris plus moins clairs ou foncés en fonction du moment de la journée auquel se déroule la scène.


Au vu du titre de la série, le lecteur est animé d'une curiosité quant aux spécificités de la magie évoquée. Il scrute donc les cases pour voir comment elle se manifeste. L'aspect concret des dessins de l'artiste permet de voir les étoffes posées sur les épaules des sorcières, de distinguer leur région pubienne (mais il ne s'agit pas de gros plans), de détailler les accessoires : bandeau muni de bois de cervidés, épis de maïs, gerbe de blé, statuettes, pentagramme, amulettes, etc. L'artiste montre ces accessoires de manière prosaïque et factuelle, sans dramatisation, sans ornementation baroque. Le lecteur voit donc des individus à l'apparence normale, au comportement normal (pas de regard halluciné, pas de gestes théâtraux) les utiliser de manière pragmatique. Les quelques éclats de couleurs (une demi-douzaine en tout et pour tout) indiquent que le récit intègre bien des manifestations d'énergie magique, et s'inscrit donc dans le genre fantastique au sens large.


Les dessins de Nicola Scott permettent au lecteur de regarder un monde réaliste, riche et consistant. Les personnages ont des morphologies normales, tant pour les femmes que pour les hommes, et l'artiste n'insiste pas sur les attributs sexuels. Lorsque le preneur d'otage exige que Rowan Black se déshabille pour s'assurer qu'elle n'a pas d'arme et pour lui enlever son micro, la dessinatrice la représente en sous-vêtements fonctionnels et basiques, à l'opposé de dessous chics et affriolants. De la même manière, elle représente des tenues vestimentaires variées reflétant pour partie la personnalité de celui qui la porte. Ainsi Rowan Black a une préférence pour les vêtements basiques (jean, teeshirt, blouson), alors qu'Alex préfère les robes un peu plus habillées. Morgan Chaffey préfère les pulls aux chemises, et Stepan Hans porte un veston.


Scott se montre tout aussi attentive pour les façades d'immeuble ou de maison, dans les rues de Portsmouth, l'établissement de restauration rapide, la magnifique demeure de Rowan Black, le presbytère où se rend Stepan Hans, le bâtiment abritant l'école où exerce Alex, la belle demeure d'Alex, ou encore la maison plus modeste d'Anna & Morgan Chaffey. Elle s'implique également pour meubler chaque pièce, en concevoir l'aménagement et y représenter les accessoires propres à sa fonction : l'aménagement intérieur et le mobilier de l'établissement de restauration rapide, le mobilier de bureau du commissariat et les outils informatiques, la décoration intérieure très personnelle de la maison de Rowan Black et les objets décoratifs choisis avec soin.


S'appuyant sur le talent et l'implication de la dessinatrice, le scénariste peut lui laisser porter toutes les informations relatives aux lieux, aux personnages, aux accessoires. Afin d'être sûr de capter l'attention du lecteur, il commence par une scène ésotérique (le rassemblement du Coven), avec une incantation un peu vague, un peu de nudité (justifiée par les pratiques apparentées au paganisme). Le lecteur a ainsi l'assurance qu'il sera bien question de magie. Puis il établit la dimension policière avec la prise d'otages, avec une dose de suspense quant à son issue et une dose d'action. Il lie ces 2 composantes avec la scène finale du premier épisode.


Ayant mordu à l'hameçon, le lecteur s'immerge dans le récit. Les caractères des personnages sont peu développés. Il est possible d'observer que Rowan Black n'a pas froid aux yeux (à commencer par son face-à-face avec le preneur d'otages), que son partenaire Morgan Chaffey est plus prévenant qu'elle, déjà presqu'un père de famille, qu'Alex semble plus à l'aise avec la magie qu'elle. Le scénariste sait rendre l'impression donnée par des individus ayant l'habitude de travailler ensemble, que ce soit Rowan avec Morgan, ou encore Rowan avec Sean O'Malley, le médecin légiste. Il sait créer des moments de convivialité qui rendent compte des liens entre les personnages, comme un verre après le boulot, ou le repas chez les Chaffey. Le peu de pages consacrées à Stepan Hans, Laurent et Anne-Marie ne suffit pas pour leur faire dépasser le stade de stéréotypes, mais Rucka les fait se comporter comme de vrais adultes. Le lecteur côtoie donc des personnages crédibles et plausibles, même dans des situations sortant de l'ordinaire (les époux Donna & Frank Belle apprenant la mort de Bruce Dundridge, l'individu ayant violenté leur fille).


Greg Rucka n'abuse pas trop des tours de passe-passe magique, se limitant à quelques sorts de protection ou de dissimulation, avec une apparition surnaturelle en fin de volume. Il ne s'aventure pas non plus à considérer ces pratiques comme relevant d'une croyance clairement établie, ce qui lui évite de devenir ridicule, mais ce qui fait descendre l'histoire, d'un degré de réalisme puisqu'elle ne dispose pas de fondement. Le lecteur s'attache donc à l'intrigue. Arrivé à la fin du tome il a plus eu l'impression de lire un prologue qu'un chapitre complet. Il s'est produit plein d'éléments mystérieux tels que le tatouage que porte Rowan Black au-dessus du sein gauche, la main disparue de Bruce Dunridge, la mystérieuse organisation à laquelle appartient Stepan Hans, le symbole du marteau sur le briquet, le vrai nom de Rowan Black, et bien d'autres encore. Pourtant le lecteur a l'impression que le récit n'a pas pris sa véritable ampleur.


Ce premier tome de Black Magick est très intriguant avec une partie graphique de haute volée qui s'astreint à raconter l'histoire, sans essayer de lui voler la vedette. Comme le montre la couverture, Greg Rucka mélange 2 genres (fantastique à base de sorcières et policier), et réalise un prologue bien mené, mais tout à fait assez substantiel.

Presence
8
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le 14 mars 2020

Critique lue 72 fois

Presence

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