Dîtes que c'est le Punisher qui vous y a forcé.

En termes de parution, ce tome fait suite à Punisher the platoon (2018), dessiné par Goran Parlov. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par Garth Ennis, dessinés Jacen Burrows, encrés par Guillermo Ortego, et mis en couleurs par Nolan Woodard. Les couvertures ont été réalisées par Paolo Rivera. Ce tome contient également les couvertures alternatives réalisées par Jacen Burrows, Marcos Martin, Michael Dowling, Esad Ribić, Valerio Giangiordano, Cananovas, Takashi Okazaki.


Dans une grande ville des États-Unis, Frank Castle (Punisher) pénètre dans le sous-sol d'un bâtiment pour éliminer les criminels qui s'y trouvent. Il découvre qu'ils sont déjà tous morts, abattus par une arme à feu maniée par un professionnel : toutes les balles ou presque ont trouvé leur cible, quasiment aucune ne s'est perdue dans un mur. Cela fait quelques mois qu'il avait pris cette bande en chasse, après avoir obtenu des informations d'un policier désemparé sur leur chef Konstantin Pronchenko, un russe. Non seulement cette bande avait amélioré leur système de livraison de drogues en l'acheminant par convoi de plusieurs véhicules utilitaires sport (SUV), mais en plus en passant par des banlieues dortoirs pour bénéficier d'un environnement tranquille et peuplé de civils, mais en plus Pronchenko avait commencé à investir dans des affaires légales. Le policier ouvre sa boîte à gant et remet une enveloppe avec des informations sur ces opérations, à Castle. Ce dernier étudie le dossier et est en train d'y penser en planque de nuit dans une banlieue en attendant le passage d'un convoi de SUV. Quand il a débarqué sur la côté ouest, Pronchenko a commencé par se faire une place au soleil en accomplissant ce que les autres refusaient de faire. Il a écœuré pas mal de parrains qui ont fini par aller voir ailleurs, pour ne pas avoir affaire à lui. Il en est à sa cinquième épouse trophée, et a eu trois fils, maintenant adultes. Castle se pose deux questions. Comment Pronchenko en est venu à mettre en œuvre des méthodes plus élaborées et sophistiquées ? Qui a abattu ses hommes dans le sous-sol avec un fusil d'assaut de type AK ?


Le convoi de SUV noirs passe devant le SUV blanc du Punisher : il est temps de passer à l'action. Castle sait pertinemment que ce convoi constitue à la fois un bon moyen pour réussir à acheminer la marchandise, et également un piège pour toute personne qui souhaiterait l'attaquer, à commencer par lui. Il fait feu sur l'un des véhicules avec une arme automatique, et il est immédiatement pris en chasse par quatre véhicules avec des hommes armés à bord. L'un d'eux réussit à le percuter latéralement, mais pas assez fort pour l'arrêter. La course-poursuite prend fin quand Castle arrête son véhicule dans un entrepôt. Les autres s'arrêtent sur le parking devant. Les hommes armés descendent, se couvrant les uns les autres et s'avancent prudemment vers le SUV blanc. Bien sûr Punisher a préparé son coup et est sorti du véhicule sans se faire remarquer. Le responsable du groupe armé donne l'ordre de tirer.


Pour peu qu'il ait goûté à la version MAX du Punisher, le lecteur achète ce tome les yeux fermés : c'est la version MAX de Garth Ennis, c'est forcément de la bonne. En plus c'est un type de récit qu'il n'espérait plus voir : une histoire se passant au temps présent, plutôt que dans le passé. Dès la scène d'ouverture, le lecteur retrouve les sensations qu'il attend : Punisher massif et immarcescible, inexpressif et calme. Il examine le carnage comme s'il était chez lui, avec un œil de professionnel, une analyse technique dépourvue d'émotion. Frank Castle est de retour au meilleur de sa forme, l'incarnation du nettoyeur sans âme, du justicier froid et efficace. Il est certain qu'il sortira triomphant des épreuves qui l'attendent et qu'il éliminera tous les criminels de manière définitive : une solution simple et cathartique pour un lecteur vivant dans un monde complexe, sans jamais de dénouement tranché et satisfaisant. Le personnage russe attendu (figurant sur la couverture) fait son apparition à la fin du premier épisode. Surprise ! Lui et Castle vont faire équipe dans une relation de confiance de qualité. La confrérie de Solntsevo (Solntsevskaya Bratva) n'avait aucune chance face à Punisher… elle en a encore moins avec ce duo à ses basques.


En revanche, le lecteur ne peut pas réprimer une petite déception en voyant que ce n'est pas Goran Parlov qui dessine cette histoire, artiste extraordinaire alliant une impression de dessin simple et immédiatement lisible, avec une précision étonnante dans les éléments historiques. D'un autre côté, Jacen Burrows n'est pas le premier venu : il a déjà collaboré avec Ennis pour Crossed - L'Intégrale (2008-2010), et avec Alan Moore pour Providence (2015-2017). Effectivement les traits apparaissent plus appliqués, tout en étant fidèlement encrés par Guillermo Ortega. Le dessinateur trace ses traits des décors à la règle, bien rigides, utilise un trait fin et précis pour détourer les formes. Le lecteur constate rapidement qu'il s'est investi pour respecter la véracité historique des uniformes militaires, et pour représenter les différentes armes à feu. Ennis est très exigeant sur ces éléments visuels, et est connu pour faire reprendre leur planche aux artistes qui se tromperaient sur un détail militaire ou paramilitaire. Sans surprise, le récit développe une guerre du vingtième siècle, une des marques de fabrique du scénariste : la guerre d'Afghanistan (1979-1989). Sans surprise, Burrows se montre à la hauteur, ayant été à bonne école avec le niveau d'exigence légendaire des scénarios d'Alan Moore.


Effectivement, le lecteur peut trouver les dessins un peu figés, un peu trop sages ou académiques par comparaison avec ceux de Parlov. Il peut aussi les comparer aux interprétations réalisées par Rivera et les autres artistes des couvertures variantes. Ces derniers ne peuvent pas s'empêcher de dramatiser leur image, avec Punisher plus vers le personnage d'action romantique ou hyper viril. L'interprétation de Burrows reste dans un registre plus réaliste, avec une apparence factuelle, sans exagérer ni ses mouvements, ni ses capacités, ni son expressivité. De ce point de vue, il est en phase avec la tonalité d'Ennis, racontant l'histoire de manière visuelle, sans trahir les intentions du scénariste. Le lecteur voit un homme avec une solide carrure, effectivement aux gestes mesurés de professionnel, au visage inexpressif, même sans colère ou agressivité apparente. L'artiste dessine les décors dans les cases avec une haute régularité, avec un bon niveau de détails, toujours dans une veine réaliste. Les scènes d'action et d'affrontement restent dans le même registre réaliste, avec des plans de prise de vue d'une grande clarté, pour un déroulement plausible. La narration visuelle fait exister les personnages de manière crédible, au service du scénario, en le respectant.


Le lecteur sait que Garth Ennis a une affinité certaine pour Punisher, et qu'il met en valeur le personnage, soit en faisant ressortir le contraste entre lui et ses opposants ou ses plus rares alliés, soit en le montrant avancer sans relâche habité par une valeur morale chevillée au corps, ou motivé par une obsession de vengeance. Il retrouve bien ces deux composantes dans le récit : le jeu des différences entre Punisher et le russe, sa motivation différente de celle du russe. Même si la fin du récit ne fait aucun doute (Punisher massacre le criminel), le scénariste maintient le suspense avec des situations de combat haletantes, et des événements inattendus. Le lecteur apprécie un thriller musclé et viril au premier degré, une histoire de vengeance, avec des moments Ennis (cruauté avec une dimension gore) qui ne virent pas à la farce macabre. Cela fait belle lurette que Garth Ennis est un auteur confirmé et le lecteur savoure les autres thèmes entremêlés à l'intrigue. Castle a constaté que Konstantin Pronchenko a gagné en finesse dans ses méthodes, et même en intelligence : il a recours à des professionnels compétents. Impossible de ne pas y voir un commentaire sur la spécialisation des métiers et sur le recours à des consultants, et même à une organisation du travail fondée sur l'externalisation. Progressivement, le portrait de Zinaida Sebrovna, cinquième épouse de Pronchenko, s'étoffe pour une étude savoureuse sur l'ambition et d'une femme entièrement à la merci d'un caprice arbitraire de son époux aux méthodes expéditives et au tempérament colérique. Il y a également l'histoire personnelle du russe, et un regard inhabituel sur le ressenti d'un soldat d'une force d'occupation, face à des ennemis aux méthodes barbares, et à une population qui voit les russes comme des occupants illégitimes plutôt que comme une force armée les protégeant d'une guerre civile atroce. Comme dans de précédents récits du Punisher, le lecteur peut être déstabilisé par le fait qu'Ennis ne présente qu'un côté du conflit (celle du soldat russe, et pas celle de la population ou des moudjahidines), mais c'est bien l'intention de l'auteur.


Un nouveau récit de Punisher par Garth Ennis, ça ne se refuse pas. Il est possible de regretter l'absence de Goran Parlov, mais Jacen Burrows et Guillermo Ortega réalisent des pages qui développent l'esprit du récit, sans contresens, avec une application et un solide savoir-faire pour ses différentes composantes : attitude et apparence de Punisher, consistance des décors, authenticité des accessoires et uniformes militaires, mise en scène des séquences d'action et des affrontements. Garth Ennis écrit plus en retenue que d'habitude, ce qui donne encore plus de force aux horreurs, avec un regard personnel sur le monde qui nourrit ce récit de genre.

Presence
9
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le 7 oct. 2020

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